Alexis Legault est participant à la délégation jeune à l’UÉMSS
Cet article est tiré des ateliers Vivre dans une société soutenable : politiques de sobriété au sein de l’espace écologique et La décroissance, réponse politique aux maux de notre temps présentés par la Maison commune de la décroissance, Attac France et Les Amis de la Terre France dans le cadre de l’Université des mouvements sociaux et des solidarités à Bobigny.
La croissance a colonisé l’ensemble de nos sociétés et pas seulement nos économies. Ainsi, le produit intérieur brut ou PIB n’est plus qu’un thermomètre, mais semble être devenu l’unique boussole. 1. Toutes les sphères de la vie sociale (rapport à soi, aux autres et au monde; activités de loisir et temps libre; etc.) sont aujourd’hui dictées et influencées par la logique de la croissance perpétuelle.
Dans ses grandes lignes, la croissance prône principalement trois choses, souvent de façon intrinsèque : 1. le plus; 2. la nouveauté; 3. la vitesse.
La décroissance consiste quant à elle en une réduction des activités de l’ensemble de la chaine économique (production et consommation) et elle est entendue comme démocratiquement planifiée. Elle n’est pas une finalité, mais dure le temps de retrouver une empreinte écologique soutenable, et ce dans une société juste. La décroissance est donc un trajet, un passage vers d’autres formes de sociétés. À la rigueur, elle peut être décrite comme une désintoxication vis-à-vis de la consommation. Un tel processus, certes nécessaire, urgent et plein de promesses, peut évidemment constituer une période difficile, et il ne faut pas s’en cacher.
La décroissance représente l’opposition politique à la croissance et au monde qu’elle propose. Elle repose sur trois grands piliers :
- Décrue économique : une réduction de la production et de la consommation matérielle et énergétique pour ne pas dépasser les limites planétaires;
- Décolonisation écologique : émancipation et décolonisation des imaginaires, car une décroissance désirable et acceptable ne sera atteinte qu’à ces conditions;
- Utopie politique : la décroissance comme un socialisme du 21e siècle; le socialisme définit le projet alors que la décroissance définie le cadre.
Servent premièrement comme justification à la nécessité de la décroissance les limites planétaires (9) (perturbation des cycles biogéochimiques, acidification des océans, érosion, changements climatiques, appauvrissement des sols, etc.). Huit de ces limites sont aujourd’hui dépassées selon des équipes de chercheur.es comme celle du Stockholm Resilience Centrer en Suède 2. Un deuxième indicateur est l’empreinte écologique : la pression exercée par les humains sur les ressources naturelles. Il est question ici du fameux « nombre de planètes nécessaires » et du « jour du dépassement » annuel.
Le développement du mouvement de la décroissance passe globalement par trois grandes avenues, lesquelles peuvent être considérées comme complémentaires :
- Il y a la voie électorale, par laquelle les partis politiques tentent de promouvoir le projet de la décroissance et de le mettre en œuvre;
- Il y a la voie des alternatives, qui peut inclure la création de monnaies locales ou les diverses initiatives citoyennes de microsociétés écologiques;
- Il y a la voie du discours, des idées et du programme. C’est cette voie qui constitue les fondements théoriques sur lesquels reposent les deux voies précédentes.
Sobriété
La sobriété libérale, souvent uniquement discursive, ne prend pas en compte les inégalités et ne porte souvent pas plus attention à la sobriété des grandes industries comme celle du domaine agricole. De plus, les gouvernements occidentaux se gardent généralement de fixer des objectifs clairs de sobriété. La part de richesse est évidemment plus importante chez certains acteurs (riches vs pauvres; Occident vs Sud global). Le fait que certains disposent d’une plus grande aisance socioéconomique devrait aussi se traduire par une réduction plus importante de leur niveau de consommation.
Concrètement, la sobriété souhaite identifier les besoins pour ensuite mettre l’appareil économique et productif au service de ces grands principes qui demeurent à établir. La planification de la production constitue alors un outil permettant d’agir sur les enjeux socioécologiques tout en s’assurant de pouvoir répondre aux besoins de tous les groupes sociaux. Cet outil offre ainsi une alternative à la méthode du libre marché. La planification permet alors :
- de sortir de la dimension désordonnée des décisions marchandes;
- de rompre avec le critère de la maximisation des profits;
- d’intégrer la situation des plus vulnérables (autres espèces animales, populations marginalisées et générations futures).
Avec la planification économique, il devient alors possible d’agir sur la réglementation (un quota, une limite ou une interdiction, etc.). En guise d’exemple, pourrait être restreint l’usage de certains produits et services considérés comme particulièrement nocifs pour l’environnement tels que les pesticides ou les voyages en avion. Le rationnement est également un outil dans l’arsenal de la sobriété pour atteindre ses objectifs. À ce titre, le gouvernement tunisien va déjà jusqu’à imposer des rationnements sur des produits de base tels que le pain et le riz. Alors que l’eau potable commence même à manquer dans plusieurs pays occidentaux depuis quelques années, cette ressource vitale demeure accaparée par les plus riches : golfs; piscines privées; production de produits animaux destinés à la consommation, etc. Alors que les populations les plus vulnérables ne peuvent répondre à certains de leurs besoins les plus essentiels, la notion de rationnement de produits ou de services spécifiques, une option qui se situe évidemment hors du consensus actuellement, mérite à tout le moins d’être mise sur la table.
La sobriété repose aussi sur le souhait de définir un plafond et un plancher de consommation. Sous le plancher se trouve la misère, alors qu’on n’a pas même le nécessaire. Au-delà du plafond, il y a le nécessaire, mais aussi le superflu. Finalement entre le plancher et le plafond se trouve l’espace du commun, décrit comme un objectif, un lieu où chacun devrait et pourrait se trouver. L’espace du commun consiste en un espace où le nécessaire permet de combler globalement les besoins de chacun, mais où le superflu n’est pas permis pour assurer que nul ne se trouve sous le niveau du plancher.
Il est possible de présenter assez aisément des exemples de ce modèle plancher/espace commun/plafond. Pour les déplacements, le plafond pourrait être de posséder une ou deux voitures par ménage, ce qui pourrait être modulé d’après le nombre d’individus qui compose le ménage. Il pourrait aussi être question de limiter les vols en avion à un nombre de kilomètres ou à un nombre de vols sur une base annuelle ou pluriannuelle. Une interdiction des vols à l’intérieur d’un pays pourrait aussi être prescrite, et ce avec ou sans possibilité d’exceptions selon le métier ou la condition socioéconomique. Le plancher pourrait alors être un accès universel et gratuit pour tous aux transports en commun (autobus, métro, train, tramway, etc.).
Vous aurez constaté que les notions de décroissance et de sobriété sont particulièrement interreliées et consistent en deux perspectives complémentaires d’un horizon considéré comme désirable et viable pour tous. Le capitalisme néolibéral et le PIB représentent respectivement la lorgnette par laquelle on observe actuellement le monde et la boussole avec laquelle nos sociétés s’orientent. De manière similaire et alternative, la décroissance et la sobriété consistent en de nouvelles grilles de lecture par lesquelles il devient possible de juger du bienfondé des décisions socioéconomiques prises dans nos sociétés.
Crédit photo : YangGuangWu dans le cadre de l’initiative Eco – Walking and Pedestrian-Friendly : https://www.ecolife.zone/walking-and-pedestrian-friendly-initiatives/ téléchargée via Pixabay
NOTES ET RÉFÉRENCES