Intervention de Chantal Ismé, féministe et militante politique, au Contre-sommet de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN qui a eu lieu les 23 et 24 novembre dernier. Chantal intervenait lors du premier atelier sur Les menaces de l’OTAN pour le monde.
L’exercice de cet après-midi est de mettre en lumière les menaces de l’OTAN pour le monde et d’appréhender comment une alliance militaire créée pour protéger l’Atlantique Nord se retrouve impliquée dans des crises dans d’autres parties du monde, en Ayiti dans mon cas. Pour ce faire, il importe de comprendre comment les différentes missions de paix ou de stabilisations ont contribué plutôt à l’exacerbation de la crise Ayitienne.
Si l’on croit à sa rhétorique, l’OTAN jouerait un rôle important dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction dans des pays non membres en crise. Ces missions visent, dit-elle, à stabiliser des régions après des conflits violents, à former les forces de sécurité locales et à aider à la reconstruction des institutions.
Dans le cas qui nous concerne, l’OTAN elle-même n’a pas directement mené d’opérations militaires en Haïti, mais plusieurs pays membres de l’OTAN, comme les États-Unis, le Canada, et la France, ont participé à des missions dites de soutien. Quel a donc été l’impact de ces missions ? Stabilisation ? Sécurisation ? Reconstruction ?
Si l’objectif était de stabiliser, de sécuriser ou de reconstruire, le résultat est très loin d’être atteint. La situation haïtienne parle plutôt d’un pays déstructuré complètement à tout point de vue et d’un climat d’insécurité sévissant sur l’ensemble du territoire national par l’expansion exponentielle des gangs, notamment dans la région Métropolitaine de Port-au-Prince et dans l’Artibonite. Cette situation prend des proportions si démesurées que cela amène à oublier que cette insécurité est l’expression d’une crise profonde, multidimensionnelle, multiforme et pérenne. Elle est la résultante d’actions combinées de l’ingérence des puissances impérialistes et de leurs laquais locaux, apatrides.
Ce qui prévaut aujourd’hui remonte à plus de 38 ans. Faisons un bref survol de la question sécuritaire Ayitienne dans les 30 dernières années dans un contexte géopolitique mondial d’implication accrue de l’OTAN dans des crises (Afganistan, Koweit).
Les crises successives à la suite du départ de Duvalier fils en 1986 ont été marquées sous le sceau des coups d’état et de répressions paramilitaires ainsi que d’une présence notable du narcotrafic. Tout cela sous le regard indifférent et complice des chantres de la paix et de la sécurisation. Les premiers germes du banditisme social faits de rapts, de kidnapping, d’exécution sommaire, d’incendie, de bâtiments publics, etc., vont émerger également pendant cette période. En même temps on observe l’élimination de l’armée inféodée aux intérêts américains et de l’oligarchie, une instrumentalisation de la police infiltrée déjà par les organisations criminelles malgré les tentatives initiales de professionnalisation. « Le trafic de drogue et le crime organisé menacent d’anéantir irrémédiablement l’autorité de l’État… en Ayiti, au Mexique et en Jamaïque » (paroles du no 2 du département d’État américain John Negroponte en 2008 — cité dans Claude Moïse, p. 97). Pendant toute cette période, l’ingérence américaine est prégnante et incisive appuyant, finançant les strates les plus réactionnaires de la société, excroissance de l’état duvaliérien.
Puis il y a eu le séisme en 2010 qui marque un tournant avec l’entrée officielle, à visière levée du Core Group dans les affaires internes d’Ayiti. Le Core Group est un consortium d’ambassadeurs de pays membres de l’OTAN sous la houlette du chef de file, les États-Unis d’Amérique du Nord créé en 2004. Il est constitué des É.-U., Canada, France, Espagne, Union européenne, ONU, l’Allemagne, Brésil, OEA. Une année après cet événement traumatique, les É.-U. vont imposer Martelly comme président et c’est le début du règne du parti PHTK de triste renommée. Aujourd’hui de manière ironique ou plutôt quel sadisme ce même Martelly est accusé pour implication dans le trafic de drogues et d’avoir joué un rôle important dans la crise politique et sécuritaire qui frappe le pays. Une découverte pour la superpuissance étatsunienne que le peuple ayitien claironne depuis plus de dix ans.
La spirale infernale de violence mentionnée plus haut va s’accentuer durant la présidence de Martelly et de son poulain Jovenel Moise, imposé aussi et maintenu au pouvoir avec la bénédiction de ses alliés internationaux au sein du Core Group. Les gangs armés seront instrumentalisés pour mater la résistance de la population à une politique inique, corrompue et à relents dictatoriaux.
Ces gangs armés sont fédérés à la suite de la recommandation de Hélène Lalime, représentante de la BINUH et circulent en toute impunité sous la présidence de Moïse soulignant ainsi leur accointance avec le pouvoir de facto. Les mêmes qui se sont relativement autonomisés et agissent aujourd’hui. Cycle infernal d’enlèvement portant atteinte à la vie et à la dignité humaine tout en appauvrissant les familles et en détruisant le tissu social ; de massacres, de viols collectifs et d’exécutions sommaires. Les gangs armés contrôlent une bonne partie du territoire avec la complicité de l’État et des membres de l’oligarchie. (citer l’entrevue de l’ambassadeur américain qui avoue négocier avec les gangs pour la protection de ses sites)
La police nationale, transformée en bras armé de l’État, réprime les protestations citoyennes, persécute les opposants politiques et cible les journalistes. Exécutions sommaires, arrestations arbitraires, usage de balles réelles dans les manifestations organisées par des opposant.es au gouvernement sont devenus la norme. Personne n’est épargné par cette vague de répression. Pourtant, la formation de cette force de police est financée par le Canada. Aujourd’hui, on estime que plus de 60 % des membres de la PNH sont inféodés aux gangs.
Après l’assassinat crapuleux et odieux de Moïse, un autre gouvernement de facto va être mis au pouvoir par un tweet de l’ambassadeur américain appuyé par le Core Group qui s’est révélé sans surprise incapable de relever les défis de l’heure.
Mais, la crise n’est pas que politique, elle est aussi économique et sociale. Crise économique : : la destruction systématique de l’appareil productif Ayitien en imposant l’application de politiques néolibérales, la disparition de la classe paysanne, pilier de l’économie nationale obligée à émigrer face à l’absence de sécurité, le vide institutionnel, pas d’élection depuis 2016, la déliquescence des structures étatiques influent sur les facteurs économiques. Crise humanitaire, des milliers de déplacé.es internes (plus de 700 000 selon l’ONU dont plus de 310 000 femmes et filles et 180 000 enfants soient plus du double du chiffre de 2022, entraînant dans le pays le plus grand nombre de déplacements dans le monde en raison de la violence liée à la criminalité) vivant dans des conditions infrahumaines (dans des caveaux au cimetière), insécurité alimentaire. En 2021, 4,4 millions d’Haïtiens et d’Haïtiennes, soit environ 40 % de la population, sont en insécurité alimentaire.
Les conséquences de cette situation de non-sécurité publique ne font qu’aggraver les autres secteurs d’insécurité et contribuer à la situation de crise générale, que traverse le pays. Les gangs armés (dont les armes et minutions proviennent en grande partie des États-Unis et transitent avec la complicité de certains hauts gradés de l’armée dominicaine via la frontière) constituent littéralement un État dans l’État et on a le sentiment qu’il n’y a plus de gouvernement dans le pays. Les gangs surfent sur l’absence de l’état dont toutes les instances sont caduques pour coopter la population à coup de ce qu’ils nomment « faire du social ».
En sous-bassement de cette violence apparemment aveugle se jouent et s’entrechoquent des intérêts inavoués et inavouables de l’élite Ayitienne et de la poursuite de la domination impérialiste sur Ayiti (géopolitique [situation d’Ayiti par rapport à Cuba, Venezuela, Floride], économique [exploitation minière], politique (contrôle des institutions, notamment celles électorales. Se joue également une vision de société, quelle Ayiti doit émerger de tous ces branle-bas chaotiques : un pion de la chaîne de domination impérialiste, une société aliénée et dépendante du mal nommée « aide internationale » ? Un pays souverain, une société axée sur sa culture et son héritage ?
Entretemps, la Communauté internationale continue d’insister pour mettre en place des solutions surannées et traditionnelles qui ont prouvé leur inefficacité. Les solutions haïtiennes sont dévoyées, mises de côté, dont l’effort tremblotant de créer un consensus de différents secteurs pour rompre avec les pratiques politiciennes et retrouver notre souveraineté au sein de l’accord dit de Montana. Un conseil présidentiel de 9 membres avec présidence tournante a été plutôt choisi pour diriger la transition avec un premier ministre, technocrate des organisations internationales, proche du pouvoir dévoyé PHTK. Ou comment faire neuf dans la continuité ? Une force multinationale qui s’est révélée mal équipée, dépendante de la PNH, incapable de ne mener aucune action, devenue la risée de la population. Tragicomédie : les blindés livrés par le Canada tombent en panne en pleine opération causant la mort des vaillants policiers, policières qui osent affronter les bandits. Les équipements de ladite force internationale ne leur permettent pas de riposter !!!
Aujourd’hui, on revient alors avec la sempiternelle force internationale onusienne.
Or, pendant plus de 20 ans, des pays membres de l’OTAN dont les Forces armées canadiennes (FAC) et des forces policières comme la GRC (Gendarmerie royale du Canada) ont fait partie des Casques bleus des différentes missions de l’ONU en Haïti, de la MINUHA 1993 à la BINUH 2023. Ont été déployées (MINUHA 1993, MANUH 1996, MITNUH 1997, MIPONUH 1997-2000, MINUSTAH 2004, MINUJUSTH 2017-2019, BINUH 2019 -2023). Cette dernière force de stabilisation au pays jusqu’en 2023 avait pour mandat « appui à bonne gouvernance, stabilité, professionnalisation de la police, réduction de la violence communautaire et de la violence des gangs ». Toutes ces missions, forces dites de stabilisation et de maintien de la paix ont été non concluantes, car ne donnant aucun résultat en termes de leurs propres objectifs et de surcroît n’ont apporté que souffrance pour la population tout en accroissant sa vulnérabilité : viols, enfants sans père, prostitution, choléra. Ceux qui ont perpétré ces crimes n’ont jamais été interpellés, voire jugés.
L’exemple emblématique de l’échec de l’ingérence dans les affaires internes de pays sous couvert de sécurisation et de stabilisation que constitue le cas d’Ayiti démontre, si besoin était, qu’il est clair qu’il faut dire NON à l’OTAN et ses satellites. Nous, Femmes de diverses origines, aurions pu illustrer les ravages directs et indirects de la logique belliqueuse de l’OTAN sur nos pays d’origine, mais aussi sur nos vies ici au Canada.
Dire Non à OTAN veut dire comprendre les causes structurelles qui amènent les guerres. La logique de la guerre est inscrite dans un paradigme de surexploitation en vue de garantir les profits des superpuissant.es.
Dire NON à l’OTAN consiste à mettre en cause les logiques impérialistes d’appropriation et d’accumulation du capital des pays dominants sur les pays dominés pour le financement, entre autres, de l’arsenal de guerre qui tue et détruit.
Dire NON à l’OTAN c’est rejeter la logique de croissance infinie du système capitaliste mondialisé qui repose sur le contrôle des ressources des pays dominés par le viol de leur souveraineté.
Dire NON à l’OTAN c’est reconsidéré nos styles de vie de consommation à outrance qui repose sur le pillage et l’appauvrissement d’autres nations.
Dire NON à l’OTAN c’est lutter pour des sociétés écoresponsables et égalitaires en exigeant l’utilisation des milliards investis dans la course aux armements dans la justice climatique et le bien-être des peuples sur la planète.
Dire NON à l’OTAN c’est s’opposer au génocide palestinien et les guerres par procuration sur le continent africain dont le Soudan, le Congo, etc.
Face à l’alliance belliqueuse des puissances impérialistes, à la montée du fascisme et de l’ultradroite, doit se tenir debout et ferme l’alliance des progressistes planétaires pour dire oui à la vie et à la paix !