
Marie-Ève Godin, correspondante en stage
Le 30 mai dernier, dans le cadre des événements organisés par la conférence internationale de La Grande Transition à Montréal, une des deux grandes conférences portait sur « Climat contre capital : quelles issues possibles ? » Cette rencontre, rassemblant des chercheuses et militantes de milieux variés, a mis en lumière la tension fondamentale entre la logique capitaliste et l’urgence climatique, tout en ouvrant la voie à des alternatives porteuses d’espoir.
Le comité organisateur de l’événement a fait valoir le dilemme qui existe entre le modèle économique dominant et la cause environnementale. « Opposer climat et capital implique de reconnaître qu’il faut collectivement choisir entre perpétuer un modèle complice de la crise climatique ou construire les alternatives qui rompent avec le schéma imposé », affiche le descriptif de la conférence.
Le capitalisme vert a-t-il un impact légitime ?
L’Américaine Alyssa Batistoni, politologue et professeure adjointe de sciences politiques au collège Barnard à New York et co-autrice de l’ouvrage A Planet to Win : Why We Need a Green New Deal a d’abord adressé les efforts récents de relier capitalisme et enjeux climatiques.
Par exemple, la naissance du capitalisme vert, au sein duquel les mécanismes du capitalisme et du libre-échange serviraient à pallier les changements climatiques. Battistoni souligne que le capitalisme vert se limite cependant souvent à échanger certaines sources d’énergies fossiles par des sources d’énergies renouvelables pour alimenter les mêmes industries. Ces dernières conservent ainsi le même modèle économique qui a contribué à la dégradation environnementale.
Elle nuance en avançant qu’« un capitalisme vert tend également à être un capitalisme dans lequel l’État joue un rôle plus actif dans les marchés et les activités économiques que dans le modèle néolibéral ». Le capitalisme vert peut ainsi servir à atténuer les ardeurs des compagnies privées de façon plus importante qu’une société adhérant à une forme de capitalisme pur.
Le virage environnemental des nations et de leurs grandes compagnies respectives s’est aussi rapidement transformé en concurrence entre ces pays, surtout entre la Chine et les États-Unis, soutient la panéliste. L’objectif des États d’adopter une posture plus écoresponsable s’est fait remplacer par celui d’être les vainqueurs de la course vers le futur en développant de nouvelles technologies vertes. De plus, elle souligne que l’on observe une chute de l’engouement envers ces politiques et ces technologies vertes, particulièrement aux États-Unis sous la présidence de Donald Trump. C’est que, explique-t-elle, « le prix n’est pas le facteur clé de l’essor des nouvelles technologies, c’est la rentabilité qui l’est ».
Un retour aux sources de la démocratie
Joëlle Zask, autrice et maître de conférences au département de philosophie de l’Université d’Aix-Marseille, s’est plutôt penchée sur le lien souvent oublié entre la culture démocratique et les pratiques écologiques.
Elle souligne qu’un des fondements de la pensée démocratique libérale des États du Nord est de reconnaître que l’humain fait partie de la nature et qu’il s’accomplira davantage s’il reconnaît sa place dans l’ordre de la nature. Zask fait référence aux pensées de Rousseau ou même de Thomas Jefferson, figures libérales importantes, et leur lien étroit avec la nature.
Elle explique cette rupture entre démocratie et nature par la transformation de la démocratie en tant qu’autogouvernement en une démocratie simplement représentative. En oubliant la démocratie, c’est-à-dire « l’efficacité dans l’action » selon Zask, les systèmes mis en place ne servent non seulement pas la population, mais la participation démocratique n’est plus considérée comme une « action efficace ».
Pour la chercheuse, il s’agit de « la réduction du rôle citoyen à une personne qui vote une fois de temps en temps, à une personne citoyenne qui regarde ce que font les gouvernants sans agir lui-même, mais [qui] réagit après coup aux décisions politiques ».
L’autre raison du clivage en la nature et la démocratie serait le passage de la démocratie politique à la démocratie économique, particulièrement le libéralisme économique. Selon l’autrice, la pensée selon laquelle la liberté humaine repose sur la liberté de développer son capital est venue rompre les liens qui existaient entre libéralisme, démocratie et environnement.
Ainsi, la démocratie en soi n’a pas toujours été si dissociée des préoccupations écologiques — bien au contraire. L’autogouvernance, l’action efficace et le rapport à la nature sont au fondement de cette pensée qui, aujourd’hui, est critiquée pour son manque d’action concrète et immédiate.
L’écoféminisme et la connexion humaine pour l’environnement
La troisième et dernière intervention de la séance a été portée sous la forme d’une prose engagée énoncée par Élisabeth Germain, qui a annoncé d’emblée qu’elle s’exprimait en tant que militante plutôt qu’en tant qu’universitaire. Cette dernière est sociologue, chercheuse et travailleuse communautaire chez divers groupes de lutte à la pauvreté et de défense des droits des femmes, notamment la Fédération des femmes du Québec. À travers son texte, Germain fait ressortir les liens entre le contact humain et la proximité avec la nature.
Elle insiste sur la fracture entre l’accumulation de capital et la vie humaine : « l’argent médiatise notre rapport aux ressources vitales et nous sommes écartelé.es entre deux sphères étrangères l’une à l’autre. D’un côté notre activité rémunératrice, de l’autre notre vie propre ».
Germain est d’avis que les luttes écoféministes sont essentielles au retour de la société vers des préoccupations environnementales basées sur la subsistance humaine. Elle met de l’avant « un écoféminisme construit par l’expérience trop longtemps ignorée d’une moitié de l’humanité ».
Le rapport des femmes aux soins et au travail reproducteur donnerait à celles-ci une perspective particulièrement apte à répondre aux questions de subsistance humaine. Pour Germain, il est essentiel de « mettre au centre de nos visées écologiques le souci d’une vie humaine riche de connexion avec les vivants et la planète qui les porte ».
Développer les initiatives existantes
Alors que la lutte contre le climat semble de plus en plus liée avec le capitalisme et les investissements privés dans les technologies vertes, la prochaine voie à prendre pour faire avancer le combat environnemental devient difficile à identifier.
Pour Zask, les actions de groupes environnementaux locaux, notamment les pratiques écologiques autochtones, pourraient étendre leur portée en servant « de préfiguration, de source d’inspiration pour toutes sortes d’initiatives un peu partout sur la planète ».
Élisabeth Germain rappelle qu’au-delà d’une minorité climatosceptique existe une préoccupation réelle envers l’urgence climatique. « Autour du climat existe un état d’alerte qui est alimenté par des réseaux bien organisés et documentés », rassure-t-elle. Toutefois, les outils de ces luttes ont trop souvent été ceux du système qui a mené à la crise qu’elle tente d’atténuer.
« Les mouvements écologistes se sont souvent trop appuyés sur les outils du libéralisme politique et sur le droit, sur la réglementation, comme moyen de faire avancer les choses », soutient Alyssa Battistoni. Selon cette dernière, il s’agirait d’adopter « une stratégie qui lie la décarbonisation aux besoins de la vie quotidienne et qui fait du changement climatique une question de lutte des classes plutôt que d’accumulation du capital ».
Enfin, les trois panélistes ont mis l’accent sur l’importance du côté social des luttes écologiques, que ce soit dans l’établissement de connexions humaines pour se rapprocher de la nature ou dans l’agissement collectif vers une prise de conscience mondiale.