La doctrine Monroe et son corollaire Trump en Amérique latine

Illustration de la pétition du Comité de solidarité Canada-Colombie

Isabel Cortés, correspondante

La publication de la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis en décembre 2025 a provoqué une onde de choc dans l’ensemble de l’hémisphère occidental. Sous l’administration de Donald Trump, la doctrine Monroe — formulée en 1823 par James Monroe — est réactivée dans une version modernisée et résolument agressive. Baptisée « corollaire Trump », cette approche ne se contente plus de réaffirmer l’hégémonie étatsunienne sur la région : elle l’élargit à des enjeux contemporains tels que le narcotrafic, les migrations et la compétition pour le contrôle de ressources stratégiques.

Avec le Venezuela comme épicentre implicite, cette stratégie expose des pays comme le Mexique, la Colombie ou le Brésil à des risques accrus, rappelant que l’impérialisme n’est pas une relique du passé, mais un instrument constamment réadapté aux réalités du XXIᵉ siècle.

Daté de novembre mais rendu public le 4 décembre, le document met l’accent sur la « protection des géographies clés » et l’exclusion des « compétiteurs non hémisphériques ». Il actualise ainsi le slogan « L’Amérique aux Américains » — en réduisant implicitement le terme « Américains » à la seule population des États-Unis — afin de légitimer des interventions présentées comme relevant de la sécurité nationale.

Le corollaire Trump : de la théorie à l’action militaire

Le cœur de cette stratégie se trouve dans la section consacrée à l’hémisphère occidental, où le corollaire Trump est explicitement présenté comme une mise à jour de celui de Theodore Roosevelt, formulé en 1904. Ce dernier justifiait déjà les interventions militaires en Amérique latine au nom du maintien de l’ordre, ouvrant la voie à la « diplomatie du gros bâton ». Trump reprend cette logique en la réorientant vers la lutte contre les « narcoterroristes » et les cartels transnationaux, tout en invoquant une prétendue « coopération conjointe » avec les gouvernements de la région.

Cette rhétorique se heurte toutefois à des contradictions flagrantes. La même administration a récemment gracié un ancien dirigeant hondurien condamné pour narcotrafic, affaiblissant considérablement la crédibilité de son discours antidrogue.

Concrètement, la stratégie recommande un renforcement de la présence navale afin de contrôler les routes maritimes, freiner les flux migratoires et neutraliser les menaces jugées prioritaires. Si le document évite de nommer explicitement le Venezuela ou Nicolás Maduro, il y fait clairement allusion par des références répétées aux « routes de la drogue » et à la « sécurité maritime ». Cette ambiguïté calculée offre une marge de manœuvre politique, mais le contexte — marqué par des attaques dans les Caraïbes et des désignations terroristes controversées — désigne sans équivoque Caracas.

C’est dans ce climat que Donald Trump a révélé, pour la première fois, des détails sur une attaque visant une installation côtière, lors d’une entrevue radiophonique accordée le 26 décembre au multimillionnaire John Catsimatidis sur les ondes de WABC à New York. Le président a affirmé que les États-Unis avaient « éliminé » une « grande usine ou installation » servant au chargement de drogue sur des embarcations, évoquant une explosion majeure ayant rendu le site « hors service ». Il a toutefois refusé de préciser si l’opération avait été menée par l’armée ou la CIA, entretenant un flou qui soulève de sérieuses questions quant à la légalité et aux véritables objectifs de cette phase terrestre de l’Opération Lance du Sud.

Réactions internationales à l’ONU : des divisions profondes

Le 16 décembre, une session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’est tenue à Genève. Un large groupe d’États s’est rangé aux côtés du Venezuela, invoquant la Charte des Nations unies et dénonçant les mesures coercitives unilatérales comme un obstacle majeur à la jouissance effective des droits humains.

La Chine a rappelé que le droit au développement constitue un droit humain fondamental et a condamné la saisie de pétroliers, qualifiée de violation grave du droit international. La Russie a mis en garde contre l’instrumentalisation de la lutte antidrogue comme prétexte à l’usage ou à la menace de la force, en violation de l’article 2.4 de la Charte. Cuba, par la voix de son ambassadeur Rodolfo Benítez Verson, a dénoncé un « déploiement militaire sans précédent » dans les Caraïbes et la résurgence de la doctrine Monroe comme une menace directe à la souveraineté régionale.

À l’inverse, l’Union européenne et plusieurs de ses États membres — dont l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, la Tchéquie et la Grèce — ainsi que le Canada, le Royaume-Uni, le Japon et certains gouvernements latino-américains, ont concentré leurs interventions sur la responsabilité exclusive du gouvernement vénézuélien. Ils ont exigé la libération des prisonniers politiques et la restauration des institutions démocratiques, une position largement critiquée pour son omission systématique du contexte de coercition économique et militaire externe.

Des organisations telles que l’Association internationale des droits humains et du développement social (AIDHDES), le Conseil mondial de la paix et Maloca International ont soutenu que défendre le Venezuela revient avant tout à défendre le droit international contre la « loi du plus fort ». Lors du débat, David López, consultant externe en droits humains auprès d’AIDHDES et de Maloca International, a dénoncé les opérations étatsuniennes — incluant la saisie de pétroliers comme le Skipper, transportant 1,8 million de barils de brut, ainsi que des attaques meurtrières contre des embarcations — comme des violations graves de l’article 2.4 de la Charte de l’ONU. Il a rappelé que la défense de l’intégrité territoriale du Venezuela ne saurait être confondue avec un soutien à un gouvernement donné, mais relève de la préservation de normes universelles protégeant tous les États face à l’unilatéralisme.

López a également invoqué la Proclamation de la CELAC déclarant l’Amérique latine et les Caraïbes zone de paix (2014), avertissant que l’usage sélectif des droits humains par les puissances occidentales contribue à leur « colonisation » et menace la crédibilité même du Conseil des droits de l’homme, déjà affaibli par les dérives ayant mené à la dissolution de la Commission en 2006. Il a conclu en affirmant que le mandat du Haut-Commissariat perd tout sens s’il ignore les événements en cours dans les Caraïbes.

Réunion du Conseil de sécurité de l’ONU du 23 décembre 2025 @ Loey Felipe – ONU.

Le 23 décembre 2025, le Venezuela a porté l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Son ambassadeur, Samuel Moncada, a qualifié les actions de Washington de « piraterie d’État » et d’« actes de conquête coloniale ».

Les débats ont mis en lumière des fractures profondes : tandis que les États-Unis invoquent la légitime défense prévue à l’article 51 pour justifier leur offensive contre des cartels présumés, le Venezuela et ses alliés rappellent l’interdiction stricte de l’usage de la force inscrite à l’article 2.4. Le sous-secrétaire général de l’ONU, Khaled Khiari, a mis en garde contre une escalade aux conséquences régionales imprévisibles et a appelé à privilégier le dialogue.

Les critiques dénoncent un récit étatsunien biaisé, occultant les effets humanitaires dévastateurs des sanctions, qui aggravent la pauvreté et les migrations. Le Venezuela, pour sa part, inscrit cette confrontation dans une dynamique plus large de résistance du Sud global à l’unilatéralisme, soulignant l’épuisement de l’ordre hégémonique tel que l’a théorisé Immanuel Wallerstein et l’émergence d’un monde multipolaire.

Appel à la solidarité internationale

Dans cet esprit, le Comité de solidarité Canada–Colombie a lancé une pétition internationale, disponible en dix langues, exigeant la levée immédiate du blocus, la restitution du brut saisi et le respect intégral de la souveraineté vénézuélienne. Citoyens et citoyennes du monde, gouvernements progressistes, organisations de défense des droits humains, syndicats et mouvements sociaux sont appelés à se mobiliser en signant et en diffusant cette initiative.

Ce qui se joue au Venezuela dépasse ses frontières : c’est le respect du droit international et de la souveraineté des peuples qui est en cause. Face à cette agression, la solidarité internationale demeure l’outil le plus puissant pour y mettre un terme.