À l’occasion de la tenue de la 13e édition du Forum des peuples, organisée par la CAD-Mali (Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement) à Bamako, du 20 au 22 décembre 2018, les mouvements sociaux du Mali et d’Afrique de l’Ouest étaient invités à prendre la parole sur les luttes qui les animent au quotidien. Voici la déclaration finale de ce Forum
DÉCLARATION DU FORUM DES PEUPLES 2018
Nous, femmes, hommes, jeunes, étudiant-e-s, paysan-ne-s, commerçant-e-s, ouvrier-e-s, chercheurs, migrant-e-s, militant-e-s des mouvements sociaux, citoyen-ne-s d’Afrique, et d’Europe, mobilisé-e-s du 20 au 22 décembre 2018 à la Maison des Jeunes du District de Bamako, adoptons la présente déclaration à l’occasion de la 13e Édition du Forum des Peuples du Mali, couplée à la commémoration des 20 ans de luttes sociales de la CAD-Mali qui a porté sur le thème central : « Gouvernance et Développement Durable dans un contexte de Paix et de Sécurité ».
Cet événement inédit a réuni plus de 800 participantes et participants, venant des différentes régions du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry, du Togo, du Sénégal, du Niger, de la République démocratique du Congo, du Cameroun, du Maroc et de l’Europe, représentant plus d’une centaine d’organisations et mouvements sociaux.
Face à la crise globale du système capitaliste et à la faillite du mode de gouvernance néolibéral dicté par les multinationales et les puissances de l’Occident, qui cherchent davantage à reconquérir notre continent, les résistances s’organisent un peu partout dans le monde pour construire des alternatives respectueuses des droits humains, de l’équité, de la justice sociale et environnementale.
Les participantes et participants au Forum des Peuples se sont indignés des politiques de répression, de stigmatisation et de racisme des États du Nord à l’encontre des populations immigrées, reflet d’un passé colonial et d’un présent néocolonial.
Considérant qu’en dépit des accords sur le droit de libre circulation des personnes et des biens dans les espaces régionaux comme la CEDEAO, les participants voient ce droit bafoué ;
Constatant que les accords commerciaux inéquitables comme ceux des APE (Accords de Partenariat Économique) et le Post-Cotonou, que l’Union européenne est en train d’imposer aux pays de l’Afrique-Caraïbes-Pacifique, constituent des instruments en faveur des grandes puissances capitalistes et des multinationales du Nord contre les peuples du Sud ;
Nous constatons que le système de microcrédit, au lieu de lutter contre la pauvreté, nous enfonce davantage dans la pauvreté, le stress, l’humiliation et la violence ;
Nous constatons de plus en plus l’infiltration des questions migratoires dans les missions assignées au G5Sahel ;
Constatant, que les interventions militaires étrangères sur le continent, et les accaparements de ressources naturelles qui s’en suivent, plongent l’Afrique dans une nouvelle phase de domination impérialiste. Les peuples africains sont pris dans le piège d’une spirale de conflits qui entrainent l’utilisation de la violence et esclavagisme sexuel des femmes et des enfants comme armes de guerre, la prolifération des armes et la présence massive et permanente des forces étrangères sur nos terres ;
Considérant que les peuples africains sont victimes des effets du dérèglement climatique causé principalement par les industries du Nord, de l’accaparement des terres agricoles, de l’agrobusiness et la destruction de l’agriculture vivrière accentuant l’appauvrissement des paysans et la dépendance alimentaire de nos pays ;
Étant donné que le système de la dette, imposé par les Institutions de Bretton-Woods, est un instrument de domination, de pillage et compromet le développement de l’Afrique et constitue une violation flagrante des droits humains ;
Considérant les limites du francs CFA qui se trouve être une monnaie de domination économique ;
Considérant que l’exode massif aggrave la crise alimentaire pour l’ensemble des populations ;
Considérant que le partenariat public-privé est une nouvelle forme d’infiltration des Entreprises étrangères dans les économies nationales ;
Considérant l’absence de volonté et l’incapacité des dirigeants du G8 et du G20 à trouver des solutions à la crise du capitalisme (crise financière, économique, sociale, migratoire et écologique) ;
Constatant les déficits constitutionnels conduisant à des dictatures politiques ou économiques de droit. La plupart des constitutions, leurs interprétations ou encore leurs modifications sans participation populaire, ne représentent pas les intérêts des peuples et sont des outils permettant aux pouvoirs despotiques de se maintenir ou d’imposer des décisions violant ainsi les droits des peuples.
Eu égard à ce qui précède nous, mouvements sociaux présents à la 13e Édition du Forum des Peuples exigeons :
- L’arrêt immédiat de l’accaparement des terres, du pillage des ressources naturelles et de la destruction de l’environnement du continent africain ;
- L’expropriation des terres sans indemnisation des multinationales qui se sont approprié des domaines des populations autochtones ;
- La mise en place de politiques publiques sociales et environnementales basées sur la redistribution des richesses, la production vivrière pour garantir la souveraineté alimentaire, la justice sociale et environnementale ;
- La sortie immédiate et sans condition du franc CFA et la création d’une monnaie unique africaine indépendante de l’euro ;
- La mise en place d’une Banque du Sud parallèlement à l’abolition des Institutions du Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) ;
- L’arrêt de la criminalisation et de la persécution des migrant-e-s et la libre circulation des personnes et des biens ;
- L’arrêt des accords de réadmission, de l’utilisation des Laissez-passer européens et de l’externalisation des frontières européennes sur le continent ;
- La suppression des visas et la liberté de circulation des Africains dans tous les États du continent ;
- La sortie de tous les pays africains de la Cour pénale internationale(CPI) et la création d’une Cour pénale africaine ;
- Le financement souverain de l’Union africaine (par les fonds propres africains) ;
- La mise en place d’audit citoyen de la dette extérieure et intérieure publique des États, pour en déterminer les parts illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables, et de procéder à leur abolition pure et simple ;
- Nous encourageons la transformation des tontines traditionnelles en coopérative d’épargne et de crédit autogérée à taux zéro et non clientélisme ;
- Nous exigeons parallèlement l’audit des Institutions de microcrédit, comme celui de la dette publique, en vue de l’annulation des dettes privées illégitimes ;
- Nous exigeons que toutes les femmes et les hommes, victimes du microcrédit, reçoivent des réparations pour les préjudices subis ;
- L’arrêt et l’annulation des contrats de concession de nos États avec les multinationales ;
- L’arrêt et annulation des contrats de désendettement et de développement (C2D) qui maintiennent les peuples africains sous le joug colonial ;
- L’arrêt de la vente des titres de dettes publiques sur les marchés financiers des pays les plus industrialisés aggravant la situation d’endettement des pays du Sud ;
- L’arrêt de l’émission d’euro-obligations que certains de nos États (le Cameroun, la Zambie, Côte d’Ivoire et Sénégal) sont en train d’effectuer sur le marché financier international ;
- L’arrêt immédiat de l’ingérence opéré par l’Union européenne au travers du G5 Sahel afin de gérer les flux migratoires en Afrique subsaharienne ;
- L’abolition de l’OMC et de tous les accords de libre-échange (ACP/UE…) ;
- La renationalisation de toutes les sociétés et services publics d’État qui ont été privatisées sous la pression du FMI et de la Banque mondiale et contre les intérêts des Africains ;
- Procéder à la refondation de la gouvernance au Mali avec, à la clé, une lutte acharnée contre la corruption et l’impunité ;
- Surseoir au projet de découpage territorial engagé par le Gouvernement du Mali qui porte en lui les germes d’une partition du pays ;
- Impliquer davantage la société civile et les mouvements sociaux dans toutes les réformes politiques et institutionnelles ;
- Réglementer le financement des campagnes électorales pour éradiquer la corruption et la fuite des capitaux.
Nous, mouvements sociaux du Sud comme du Nord, nous nous engageons à poursuivre ce combat en développant une solidarité concrète pour que toutes nos luttes légitimes constituent les piliers du monde de demain.