Erick Mota, Autres Brésils, 10 décembre 2019
Le 26 novembre 2019, quatre pompiers bénévoles ont été emprisonnés préventivement après une opération de combat des feux de forêts à Alter do Chão, dans l’État du Pará. Ils étaient suspectés d’avoir provoqué des incendies et filmé ces crimes, dans le but d’obtenir des dons provenant d’organismes internationaux. Ces accusations reposent sur leur appartenance à l’ONG Brigada de Alter do Chão, une ONG constituée en 2018 et soutenue par des dons internationaux, qui forme des pompiers bénévoles à la lutte contre les incendies dans la région d’Alter do Chão, et vient en appui aux forces de police et aux pompiers. Les quatre pompiers bénévoles ont été libérés le 28 novembre. Une instruction est en cours pour connaitre l’origine des incendies, que l’on prête déjà à des grileiros, des faussaires de titres fonciers.
Deux jours après l’emprisonnement de quatre pompiers bénévoles dans l’État du Pará
[le 26 novembre]
, certaines des plus importantes organisations environnementalistes brésiliennes ont exprimé leur préoccupation à ce sujet. Pour le coordinateur politique de Greenpeace, Marcio Astrini, il ne s’agit pas d’un cas isolé et cela atteste que le pays se dirige vers un État autoritaire. La représentante de l’Institut Socio-Environnemental (ISA ; Instituto Socioambiental), Adriana Ramos, estime que le Brésil se rapproche d’un état d’exception. Pour André Lima, le coordinateur du projet #RADAR Climat & Durabilité (#RADAR Clima & Sustentabilidade) de l’Institut Démocratie et Durabilité (IDS, Instituto Democracia e Sustentabilidade), le gouvernement a même agi de forme « abusive, antidémocratique, arbitraire et fasciste ». Selon lui, on est en présence d’un état d’exception du point de vue politique, mais non juridique.
Dans une entrevue accordée à Congresso em foco, Marcio Astrini explique qu’il voit se répéter au Brésil un scénario dont Greenpeace a déjà fait l’expérience dans d’autres pays. « On est très préoccupé·es, car on a déjà vu ce genre de situation se produire dans d’autres pays du monde. On y instaure des régimes autoritaires ou on y réduit le droit de la société civile à s’organiser et à manifester. Il y a actuellement au Brésil un processus très similaire : on organise une campagne publique de diffamation contre ces mouvements, contre ces organisations, contre un secteur entier, pour ensuite lancer des mesures concrètes, légales et législatives afin de mettre fin à leurs actions, les criminaliser et poursuivre certaines personnes. Ce n’est pas un acte isolé, c’est un acte qui entre en résonance avec plusieurs autres actions qui ont eu lieu depuis le début de l’année », explique-t-il.
Le coordinateur de Greenpeace informe qu’en Inde, l’organisation a été expulsée après des faits similaires à la détention des pompiers bénévoles. « En Inde la même méthode a été appliquée. Premièrement, vous criminalisez verbalement les organisations de protection de l’environnement qui luttent pour les droits de la personne. Ensuite, vous commencez à mettre en place des législations et des restrictions : restriction à liberté d’expression, restriction au droit de manifester, restrictions budgétaires. Enfin l’État, par le biais du gouvernement, commence à mettre en place des mesures qui vont jusqu’à expulser des personnes du pays. C’est alors un état d’exception, un véritable régime autoritaire. Greenpeace a fermé en Inde et la même chose est arrivée à Amnesty International. C’est pourquoi nous sommes très préoccupé·es par ces faits, car nous avons déjà vu ce scénario se réaliser et il est en train de se dérouler ici au Brésil » explique-t-il.
Le climat entre les institutions de protection de l’environnement dans le pays suscite de graves inquiétudes, indique Astrini. « Nous nous dirigeons vers un État autoritaire, qui a des cibles bien définies, lesquelles sont les ennemi·es cité·es par le président et son gouvernement. Notre inquiétude vient du fait que nous voyons clairement se dessiner et se concrétiser un mouvement d’attaques contre la démocratie mené principalement par le gouvernement. Ce mouvement commence clairement à s’afficher publiquement. Nous sommes extrêmement inquiets », explique-t-il.
Pour Adriana Ramos de l’Institut Socio-Environnemental, dès la campagne électorale, le gouvernement avait déjà donné des signes d’alertes concernant cette tendance. « Dès la fin de l’année dernière, encore en campagne électorale, le président parlait déjà de mettre fin à tout type d’activisme. Il avait déjà fait quelques déclarations cherchant à criminaliser les organisations non-gouvernementales, que ce soit concernant les incendies ou la marée noire sur la côte brésilienne », explique la représentante de l’institut.
Elle aussi s’inquiète de la période politique mouvementée que traverse le pays. « C’est très préoccupant de voir qu’il existe des initiatives pour tenter de concrétiser ce genre de criminalisation sans que la moindre preuve, ou la moindre procédure judiciaire soit requise. D’une certaine manière cela renforce ce qui semblait être la volonté du gouvernement », indique-t-elle.
Même si la période suscite des inquiétudes, l’activiste environnementale montre que les ONG ne se laisseront pas faire. « Tout mouvement social surgit justement de la lutte et de la résistance contre des forces qui s’opposent à leurs intérêts », rappelle Adriana. « Dans un État démocratique, le rôle du gouvernement et le rôle de la société sont garantis et régis par la Constitution. Notre Constitution reconnaît notre droit à s’organiser et à agir en société », complète-t-elle.
Elle estime que le gouvernement du président Jair Bolsonaro s’est acheminé vers un état d’exception. « Le gouvernement est ouvertement allé à l’encontre de nombreuses règles constitutionnelles et des législations, ce qui configure donc une dérive vers un état d’exception », affirme-t-elle.
André Lima abonde dans ce sens et il va jusqu’à dire que nous vivons déjà dans un état d’exception. « Pour moi, il s’agit déjà d’un gouvernement d’exception. Exception quant aux responsabilités envers le pays. Du point de vue politique, et non juridique, parce que ces personnes ont été élu·es, mais d’un point de vue politique, c’est un état d’exception » explique-t-il.
Le coordinateur de l’Institut Démocratie et Durabilité (IDS) a également exprimé son inquiétude au sujet de l’emprisonnement des environnementalistes. « On est très inquiets de cette stratégie abusive, antidémocratique, arbitraire et fasciste », dit-il.