Gideon Levy, Haaretz, 2 mars 2020, traduit par Alencontre
Laissez tomber le pathos et le drame: l’élection législative du 2 mars n’est pas décisive, et probablement même pas importante. Comme les deux élections précédentes [le 9 avril 2019, le 17 septembre 2019], elle ne déterminera que peu, voire pas du tout, l’image d’Israël; et pas seulement parce que le résultat sera apparemment très voisin, si ce n’est à égalité. Il en est ainsi lorsqu’il y a un accord général sur les questions décisives, et que les questions controversées sont marginales. C’est comme ça quand la frontière qui sépare les camps relève presque entièrement du caractère personnel des candidats – «Netanyahou, oui ou non»! – et que le conflit entre les camps est un conflit d’identités bien plus que d’idées.
La colère qui accompagne cette lutte n’atteste pas de son importance politique, elle montre en fait le vide idéologique qui se cache derrière la tempête d’émotions. La dispute concernant Benyamin Netanyahou n’a presque rien à voir avec sa politique, mais porte surtout sur sa conduite personnelle. Il n’y a presque rien à débattre de sa politique, car l’opposition
[représentée par Benyamin «Benny» Gantz]
n’a pas de véritable alternative à offrir. La loi du retour, la loi sur l’Etat-nation, le blocus de Gaza et l’occupation de la Cisjordanie – sur ces questions fondamentales, il existe un consensus funeste. La discussion porte sur le style de vie de Netanyahou et ses efforts indécents pour faire plier le système juridique afin d’échapper à la justice [il est accusé de fraude, de corruption et d’abus de confiance par le procureur Avichaï Mendelblit]. Contrairement aux prophéties de malheur, ces questions détermineront beaucoup moins l’image d’Israël que ce que suggèrent ceux qui osent combattre Netanyahou. Le visage de la démocratie israélienne est façonné entre Rafah [ville palestinienne située dans le sud de la bande de Gaza] et Jénine [capitale du gouvernorat de Jénine en Cisjordanie, auquel se rattache le camp de réfugiés de Jénine], bien plus qu’entre la résidence du premier ministre et le tribunal de district.
Le thème qui définit Israël plus que toute autre se concentre sur une question à propos de laquelle tout le monde s’accorde. La supériorité des Juifs et leurs privilèges dans ce pays ne sont pas à discuter. Son sous-produit, le droit de l’Etat de poursuivre l’occupation comme il le souhaite, n’est pas non plus l’objet d’un véritable débat. La plupart des gens sont également d’accord sur ce point. Entre la droite et la gauche, il n’y a pas de dispute.
A l’exception de la Liste unifiée [alliance entre le parti Hadash – au sein duquel le Parti communiste est le plus fort et dispose de cinq élus à la Knesset – et les trois formations arabes: la Liste arabe unie, Ta’al et le Balad], tout le monde est sioniste. Tout le monde soutient le maintien de la supériorité juive. La seule chose qui reste à débattre est ladite loi française, un projet de loi visant à empêcher l’inculpation de Netanyahou dans les affaires de corruption qui le concernent. Une telle loi est inacceptable, mais contrairement aux voix clamant une sinistrose à ce sujet, elle ne changera pas notre système de gouvernement.
A part cela, tout le reste fait l’objet d’un large consensus public concernant un Etat juif non égalitaire avec des privilèges juifs et une supériorité juive. De là découle également le droit incontesté de régner sur un autre peuple dans les territoires occupés. Netanyahou et Gantz n’ont aucun désaccord à ce sujet. Netanyahou propose l’annexion (et il n’ajoute rien), Gantz accepte l’annexion (et ajoute: sous certaines conditions), alors que l’annexion de facto existe ici depuis des décennies, avec le consentement de tous, sans intention d’y mettre fin. De l’extrémiste de droite Itamar Ben-Gvir [du parti Otzma Yehudit qui a appelé à l’expulsion des citoyens arabes d’Israël] au président du Parti travailliste, le député à la Knesset Amir Peretz, en passant par le Meretz du député Nitzan Horowitz, personne ne conteste vraiment ce que les Juifs sont autorisés à faire en Terre d’Israël. Tout le monde est pour l’Etat juif et pour la démocratie, malgré la contradiction insurmontable entre ces termes et la nécessité inévitable de choisir entre eux [l’Etat juif et la démocratie]. Ainsi, l’élection du 2 mars est moins importante qu’il n’y paraît. L’Israël de Netanyahou et l’Israël de Gantz se ressembleront à merveille.
La psychose anti-Netanyahou est un épouvantail destiné à dissimuler cela. Le «destin de la démocratie», l’«avenir de l’Etat de droit», la «fin de l’Etat», la «destruction du temple» sont tous des termes ronflants, sans rien pour les étayer. S’il existe un profond fossé idéologique, c’est uniquement entre la Liste unifiée et tous les autres. Soit, quelque 15 députés à la Knesset face à 105, voilà la vraie histoire. Les ultra-orthodoxes se déclarent également antisionistes, mais c’est totalement faux: ce sont les plus grands des colons. Il est temps pour Netanyahou de partir, il est temps pour Gantz de le remplacer, mais l’obscurité décrite est beaucoup moins forte et la lumière est aussi beaucoup moins forte. En Grande-Bretagne, des élections critiques ont récemment eu lieu entre la droite et la gauche. Aux Etats-Unis, il pourrait y avoir une élection critique entre le président Donald Trump et le sénateur Bernie Sanders.