Adam Baczko & Gilles Dorronsoro, Le Monde diplomatique, septembre 2021
À Kaboul, des attentats revendiqués par l’Organisation de l’État islamique ont tué, le 26 août dernier, quelque deux cents personnes, dont des soldats américains et des combattants talibans. Dès leur arrivée à la tête du pays, ceux-ci se trouvent donc à leur tour fragilisés par le terrorisme islamiste. Et l’intervention occidentale en Afghanistan se termine en chaos, ce qui ébranle le crédit des États-Unis. Car une question demeure : comment les talibans, que des commentateurs méprisants ont qualifiés de « va-nu-pieds en motocyclette », ont-ils pu l’emporter ?
Dans un conflit à première vue très déséquilibré, la défaite occidentale est due à une vision erronée de l’Afghanistan, produite par un champ d’expertise où se retrouvent think tanks, administrations, universités, organisations non gouvernementales (ONG) internationales ou afghanes et entreprises privées. Cette interprétation constitue une anthropologie imaginaire qui a défini la société afghane comme localiste dans ses intérêts et rétive à toute forme de présence étatique. Bien que contredite par l’historiographie récente (1), la vision d’une opposition culturelle à Kaboul revient de manière récurrente dans les rapports, les articles et les ouvrages consacrés à l’intervention, et jusque dans les discours les plus officiels.
À la veille de sa nomination à la tête des troupes occidentales, en 2009, le général Stanley McChrystal déclarait ainsi : « Les griefs historiques renforcent les liens avec l’identité tribale ou ethnique et peuvent diminuer l’attrait d’un État centralisé. Toutes les ethnies, en particulier les Pachtounes, ont traditionnellement cherché à obtenir une certaine indépendance vis-à-vis du gouvernement central (2). » La plupart des experts opposaient un État « lointain », « illégitime » et, finalement, « artificiel » à un échelon local « proche », « légitime » et « naturel ». La proximité aurait été garante de familiarité et de relations personnelles, à l’opposé des eaux glacées de la raison bureaucratique.
Comme les militaires, les institutions chargées du « développement » ont fréquemment mobilisé ce poncif qui autorisait le contournement de l’État en place. L’éloge du local a justifié l’absence de coordination avec le pouvoir afghan au nom de la légitimité de petites assemblées (jirga, shura). Présentées comme coutumières, celles-ci étaient en réalité créées par les organisations qui mettaient en place l’aide internationale : ce fut le cas des shuras de village pour le Programme national de solidarité de la Banque mondiale. L’obsession du local a également conduit à une ethnicisation des politiques publiques. On a invoqué les traditions pachtounes pour contourner le droit positif, sur l’héritage ou le mariage par exemple, et on a offert un espace aux revendications ethnonationales d’entrepreneurs ouzbeks, hazaras ou tadjiks — ce qui leur a permis d’occuper des postes et de s’enrichir.
Enfin, l’Afghanistan a été présenté comme un pays de tribus — une vision orientaliste inspirée par la relecture des textes ethnographiques de la période coloniale. Une pseudo-anthropologie a été mise au service de la guerre : « Les structures de sécurité nationale doivent être nourries d’anthropologie, une discipline inventée pour soutenir les combats dans les zones tribales. »
Montgomery McFate, qui tenait ces propos en 2006 (3), a été conseillère scientifique auprès du comité des chefs d’état-major interarmées. Dans ce cadre, elle a mis en place le Human Terrain System, qui visait à intégrer des anthropologues (en réalité, des titulaires d’une licence ou d’un master de sciences sociales) au sein des unités américaines. Elle a également contribué à la rédaction du manuel de contre-insurrection FM. 3-24, qui promeut l’implication des militaires américains dans les conflits sociaux en vue de se faire des alliés et de collecter du renseignement : « Aller dans le sens de la population locale, et non à contre-courant. D’abord, gagner la confiance de quelques villages, puis travailler avec ceux avec qui ils commercent, se marient ou font des affaires. Cette tactique permet d’obtenir des alliés locaux, une population mobilisée et des réseaux de confiance (4). »
Un officier américain, le major Jim Gant, raconte comment il a aidé un notable dans un conflit foncier alors qu’il dirigeait un détachement des forces spéciales dans la province de Kunar en 2003 : « La population des montagnes avait pris et exploitait de la terre qui appartenait aux habitants des plaines. Le malik [chef] m’a dit que la terre avait été donnée à sa tribu par le “roi de l’Afghanistan” il y a très, très longtemps et qu’il me montrerait les documents. Je lui ai dit que ce n’était pas nécessaire : sa parole me suffisait. (…) J’ai décidé de le soutenir.“ Malik, je suis avec vous. Mes hommes et moi irons avec vous parler aux montagnards. S’ils ne vous rendent pas la terre, nous combattrons à vos côtés.” » Le major Gant ne raconte pas comment s’est terminée cette histoire ; il suggère seulement, par un laconique « Il suffit de dire que le problème a été résolu », qu’il a aidé son « ami » à s’approprier des terres contestées (5).
Un mouvement centralisé, une idéologie structurée
En réalité, l’intérêt proclamé pour la « culture afghane » dissimule l’absence de prise en compte des (vraies) recherches anthropologiques menées depuis les années 1980, qui montrent la détribalisation et les limites d’une lecture ethnique de la société (6). L’allergie à l’État du « royaume de l’insolence (7) » a été un thème d’autant plus prisé qu’il excusait les échecs de plus en plus difficiles à dissimuler de la « communauté internationale ». Par les sommes dépensées, l’entreprise de state-building (construction de l’État) a été l’une des plus ambitieuses depuis l’occupation américaine du Japon et de l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. Dans les années 2000, l’intégralité du budget du gouvernement afghan provenait des bailleurs de fonds ; aujourd’hui, la proportion est de 75 %. À ces sommes s’ajoutent les dizaines de milliards de dollars investis dans le financement de la police, de la justice, de l’armée, ainsi que dans la construction d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures routières et de bâtiments publics.
Cette aide s’est caractérisée par un cloisonnement systématique entre les programmes et une mauvaise gestion généralisée. La sous-traitance en cascade des projets s’est traduite par des collusions systémiques dans l’attribution des marchés et par une captation des financements, en premier lieu au bénéfice des entreprises occidentales. Prenant l’exemple de la justice, M. Ronald Neumann, ancien ambassadeur américain en Afghanistan (2005-2007), admet : « Notre propre plongeon dans l’assistance juridique était chaotique. L’Usaid [l’Agence des États-Unis pour le développement international] a géré certains programmes par le biais d’entreprises privées. Le département d’État avait ses propres appels d’offres, mais payait également plusieurs procureurs expérimentés détachés du ministère de la justice qui semblaient souvent agir de manière indépendante. Les militaires américains finançaient de leur côté certains programmes, mais ni eux ni nous ne savions ce que l’autre faisait. La coordination entre nos composantes était faible et les relations tendues (8). » De plus, le personnel étranger, qui ne parlait que rarement les langues locales, vivait dans des enclaves, à distance de la population afghane. À Kaboul, les pratiques de la bulle humanitaire — soit quelques milliers d’étrangers vivant dans la capitale — ont beaucoup fait pour déconsidérer la présence occidentale. Le crédit des French doctors, durement acquis dans les années 1980, a ainsi été dilapidé par une nouvelle génération d’expatriés travaillant à l’intersection du business et de l’humanitaire.
Par ailleurs, les institutions étrangères chargées de la reconstruction de l’État ont systématiquement sapé les institutions afghanes qu’elles étaient censées soutenir. Avec la Constitution de 2004, les dirigeants américains ont imposé un régime présidentiel qui a marginalisé le Parlement et les partis politiques. Les chancelleries occidentales rédigeaient parfois des lois qui étaient ensuite promulguées par le président, comme le lui permettait un article de la Constitution lors de vacances du Parlement.
Dans le domaine de la sécurité, les États-Unis ont fait le choix d’un double système. En plus des organes officiels afghans (armée, renseignement, police), ils se sont appuyés sur divers groupes armés : milices sous l’autorité directe de la Central Intelligence Agency (CIA), anciens moudjahidins qui avaient combattu contre les Soviétiques nommés gouverneurs, etc. Ceux-ci ont initialement servi d’auxiliaires à l’armée américaine dans sa traque des militants d’Al-Qaida, puis contribué à la lutte contre les talibans en fournissant des traducteurs et des guides pour les raids des forces spéciales et les attaques de drones. Ils ont été en position de manipuler les militaires américains — qui ne parlaient pas les langues afghanes et ignoraient les configurations locales — pour éliminer leurs rivaux en les présentant comme des membres de l’insurrection (lire « La fabrique des conflits tribaux »). À partir de 2011, durant la phase où Washington préparait son retrait, la formation de milices est devenue un élément central de la stratégie pour freiner l’avancée de l’insurrection, notamment dans les provinces de Kondoz, Wardak, Kandahar et dans le Loya Paktia (Paktia, Khost et Paktika). Leurs exactions et le désordre qu’elles ont provoqué (conflits entre communautés, banditisme) ont durablement affaibli les institutions étatiques et délégitimé le gouvernement aux yeux de la population.
De façon surprenante, la coalition n’a jamais pris la juste mesure de son adversaire. En novembre 2008, le commandant des troupes occidentales, le général David McKiernan, déclarait ainsi : « Je ne vois pas de cohérence entre ces groupes d’insurgés au niveau opérationnel et stratégique. Je vois une insurrection qui est largement localisée, régionalisée, qui coopère parfois, qui se combat d’autres fois, et qui n’est pas soutenue (…) par le peuple afghan (9). » La contre-insurrection a ainsi été menée avec le présupposé que le mouvement taliban regroupait des dizaines de groupes qui se battaient pour des motifs tribaux, ethniques ou économiques. Par exemple, l’idée que les combattants étaient payés 300 dollars par mois — une somme considérable pour les Afghans — s’est imposée sans être avérée. De même, les experts ont longtemps considéré le réseau Haqqani comme indépendant des talibans, alors que rien ne justifiait cette assertion, au contraire : M. Sirajuddin Haqqani lui-même se présente comme l’adjoint de leur dirigeant dans la tribune publiée par le New York Times intitulée « Ce que nous, les talibans, voulons » (10).
En réalité, ce mouvement est centralisé, porteur d’une idéologie structurée. Ses principaux cadres sont issus des madrasa deobandies (11) du Pakistan, qui ont régulièrement envoyé leurs étudiants combattre en Afghanistan. Ce réseau d’écoles religieuses forme des oulémas qui partagent une vision fondamentaliste et possèdent un esprit de corps et les compétences nécessaires pour constituer la base d’une bureaucratie.
La rotation régulière des cadres d’une province à l’autre et la coordination des groupes indiquent sans ambiguïté une organisation hiérarchisée et relativement efficace — avec les limites dues aux éliminations ciblées qui ont décimé les cadres du mouvement. Si les commandants disposent d’une autonomie tactique, ils sont tenus de respecter les ordres de leur hiérarchie, et de nombreux chefs militaires ont été démis de leurs fonctions pour manquement à la discipline. À partir de 2006, les talibans ont distribué à leurs combattants un code de conduite qui reprend des éléments de droit islamique et, dans sa version révisée de 2009, certains principes du droit humanitaire international. Officiellement, il est interdit de voler, de commettre des violences contre des civils et d’exécuter des espions sans procès, ce qui n’empêche pas que des crimes de guerre soient régulièrement commis. Il reste que, contrairement à l’Organisation de l’État islamique (OEI, ou Daech), qui revendique des attentats spectaculaires contre des cibles civiles (dont celui de l’aéroport de Kaboul le 26 août dernier), les talibans pratiquent surtout l’assassinat politique.
Mise en place de tribunaux « de l’ombre »
Les successions à la tête du mouvement et la cohérence des positions lors des négociations confirment la stabilité de l’organisation. Ainsi, quand les services secrets afghans ont annoncé en 2015 que le mollah Omar était mort depuis 2013 et que cette mort avait été dissimulée, les dissidences ont été marginales. Quand son remplaçant, le mollah Akhtar Mansour, a été tué par un drone au Pakistan l’année suivante, M. Haibatullah Akhundzada s’est imposé sans difficulté. Ces successions contrastent avec les trois dernières élections afghanes, lors desquelles les deux candidats du second tour ont revendiqué la victoire. Localement, l’insurrection a remplacé ses cadres sans heurts, alors que l’élimination d’un gouverneur a souvent fait basculer l’équilibre politique d’une province.
Enfin, les talibans ont largement outrepassé leur recrutement initial, majoritairement pachtoune du Sud. Ils se sont étendus dans le Nord et l’Ouest, où ils mobilisent des combattants originaires de toutes les communautés, et sont présents dans l’ensemble du pays, à l’exception de la vallée du Pandjchir et du Hazaradjat, la région chiite du centre. En 2016, leur organe suprême, le conseil de commandement, comptait parmi ses douze membres un Tadjik, un Ouzbek et un Turkmène, même si l’équilibre restait favorable aux Pachtounes (environ 40 % de la population). En refusant tout discours ethnique, à la différence des partis qui, à Kaboul, fonctionnaient de plus en plus sur cette base, le mouvement s’est posé en champion du nationalisme afghan. Les politiques de manipulation communautaire, en particulier celles des forces occidentales, ont fini par créer une réaction favorable aux talibans. À Kondoz, ces derniers ont pu utiliser la multiplication des milices à caractère ethnique ou tribal, mises en place par les militaires allemands, puis américains, pour recruter à la fois des Pachtounes, des Ouzbeks, des Tadjiks et des Turkmènes — et s’emparer deux fois de la ville, en 2015 et 2016.
La stratégie de l’insurrection a été de pallier les déficiences du gouvernement central, répondant ainsi à la demande populaire de services publics. Les talibans se sont implantés dans les campagnes en installant un gouvernement de l’ombre avec des gouverneurs, des juges, des responsables des questions scolaires (contrôle des programmes, exclusion des filles après 12 ans) et sanitaires ainsi que des relations avec les ONG. Comme durant les années de gouvernement de l’émirat islamique (1996-2001), lorsque le mouvement avait construit sa réputation sur le retour à l’ordre, les tribunaux ont été les instances essentielles de leur administration. À partir de 2005, ils ont nommé des juges dans les endroits où ils étaient implantés. Ils sont désormais présents dans pratiquement tous les districts.
D’un point de vue matériel, ces tribunaux se révèlent sommaires. Les juges, habillés sans signes distinctifs, siègent dans les mosquées des villages, dans des maisons privées ou sous le couvert des arbres. « Les tribunaux talibans fonctionnent de manière très simple, témoignait l’un d’entre eux. Le juge taliban est assis avec, devant lui, une tasse de thé vert qui a fini par refroidir. Il reçoit en personne les requêtes. Puis il appelle un membre du mouvement et lui dit d’aller demander aux gens contre qui une plainte a été déposée de venir le lendemain (12). » Les juges interrogent les témoins, examinent les pièces apportées par les parties en litige et rendent leur verdict, souvent au bout de quelques jours — au plus quelques mois pour les affaires les plus délicates. La plupart des disputes concernent le foncier ou les questions matrimoniales, mais les juges punissent aussi les vols, les meurtres et les adultères, avec des peines parfois très sévères (exécutions, amputations, lapidations).
Cette simplicité apparente dissimule un système judiciaire sophistiqué. En continuité avec celui de l’émirat islamique déchu en 2001, ce dernier compte trois niveaux de juridiction : des tribunaux d’instance dans les districts, des cours d’appel dans chaque province et une Cour suprême. Les juges, formés dans une madrasa, doivent réussir un examen qui porte sur leur connaissance de la jurisprudence islamique. Les recrues sont ensuite nommées en dehors de leur province d’origine. Un système de rotation vise à s’assurer qu’ils restent impartiaux vis-à-vis de la population et des combattants locaux. Comme l’explique l’un d’entre eux, « c’est pour éviter tout incident déplaisant. Parfois, quand vous restez au pouvoir longtemps, vous vous habituez à tout, vous arrivez à bien connaître les gens, mais, d’un autre côté, vous devenez despotique et il est probable que vous vous laissiez corrompre. C’est pourquoi les talibans ont mis au point un système pour transférer tout le monde après un mandat fixe afin qu’il n’y ait aucune possibilité que cela se produise ». Le mouvement envoie également des inspecteurs vérifier la probité des juges, et plusieurs d’entre eux ont été punis pour avoir pris de l’argent ou accepté des cadeaux.
L’incarnation du droit face à un système corrompu
L’impartialité généralement reconnue aux juges les a rendus populaires dans les milieux ruraux : « Si j’étais riche, je ferais appel aux juges du gouvernement : il suffit de payer et tu gagnes. Mais, quand on est pauvre, les talibans sont la seule solution », assure un usager dans la province de Logar. Il y a eu recours parce que sa future belle-famille a nié avoir reçu le paiement de la dot nécessaire au mariage. Le reçu du bureau de Western Union en Angleterre, où il a travaillé plusieurs années, lui a permis de gagner son procès.
Même motivation chez un proche de M. Faizal Akbar, gouverneur de la province de Kounar entre 2002 et 2005. En dépit de son opposition politique aux talibans, il a été obligé de se tourner vers eux pour un vol de bétail car, les juges du régime étant « corrompus », les frais occasionnés par une plainte auprès de la police et par un procès officiel auraient largement dépassé la valeur du bétail volé. Originaire d’un village, mais résidant généralement à Kaboul, il commente avec lucidité l’opposition entre les ruraux, qui apprécient les juges talibans, et les urbains, qui rejettent cette forme de justice.
Dans les campagnes, le caractère plus accessible, mais aussi plus familier, de ces tribunaux est attractif. Au cours des dernières décennies, beaucoup de juges ont reçu leur éducation primaire dans une madrasa et possèdent quelques notions de droit islamique. À l’inverse, le droit étatique apparaît hermétique dans une société qui compte deux tiers d’analphabètes. La maîtrise, même minimale, des codes et des normes islamiques permet aux hommes des régions rurales d’évaluer la cohérence et l’impartialité de la décision. Le procès étant mené dans les règles — les personnes présentes à l’audience peuvent l’attester —, les décisions sont plus difficilement contestables. Ce système favorise évidemment les hommes aux dépens des femmes, mais cette exclusion de la moitié de la population, qui a peu de moyens de contester les coutumes et la domination qu’elle subit, ne nuit pas à l’insurrection. Surtout en milieu pachtoune, qui est (encore) plus oppressif pour les femmes. Le droit issu de la charia, tel qu’il est interprété dans ces cours, permet un ancrage légal du système patriarcal d’autant plus efficace que les discours féministes, même très modérés, sont inaudibles en raison de leur identification aux pays occidentaux.
Face à une ingérence étrangère qui contournait les institutions qu’elle construisait et à un système étatique de plus en plus corrompu, les talibans ont pu incarner le droit aux yeux de nombreux Afghans. Ironiquement, ils ont su — plus que la coalition — penser la reconstruction de l’État. C’est probablement la condamnation la plus sévère qu’on puisse prononcer contre vingt ans d’intervention.
Adam Baczko & Gilles Dorronsoro
(1) Cf. Gilles Dorronsoro, Le Gouvernement transnational de l’Afghanistan. Une si prévisible défaite, Karthala, coll. « Recherches internationales », Paris, 2011.
(2) Stanley McChrystal, « Comisaf initial assessment (Unclassified) », ministère de la défense, Washington, DC, 21 septembre 2009. Document publié sur le site du Washington Post.
(3) Montgomery McFate, « The military utility of understanding adversary culture » (PDF), Office of Naval Research, Arlington (Virginie), 2005.
(4) The United States Army and Marine Corps, The US Army/Marine Corps Counterinsurgency Field Manual, University of Chicago Press, 2007.
(5) Jim Gant, One Tribe at a Time : A Strategy for Success in Afghanistan, Nine Sisters Imports, Los Angeles, 2009.
(6) Bernt Glatzer, « The Pashtun tribal system », dans Georg Pfeffer et Deepak Kumar Behera (sous la dir. de), Contemporary Society : Concept of Tribal Society, Concept Publishers, New Delhi, 2002.
(7) Michael Barry, Le Royaume de l’insolence. L’Afghanistan 1504-2011, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », Paris, 2011 (1re éd. : 2002).
(8) Ronald E. Neumann, The Other War : Winning and Losing in Afghanistan, Potomac Books, Lincoln (Nebraska), 2011.
(9) « Transcript : General David McKiernan speaks at Council’s Commanders Series », Atlantic Council, Washington, DC, 19 novembre 2008.
(10) Sirajuddin Haqqani, « What we, the Taliban, want », The New York Times, 20 février 2020.
(11) Courant rénovateur de l’islam, la madrasa de Deoband (Inde) a été fondée en 1867 en réaction au colonialisme britannique.