Mario Gil Guzman, correspondant présent à la rencontre du Conseil international du FSM à Cotonou en juillet 2025
Depuis le début des années 2000, un modèle agricole néolibéral s’est imposé en Afrique de l’Ouest, bouleversant les pratiques traditionnelles et coutumières qui structuraient la vie rurale. À l’ombre des grandes orientations financières et commerciales, les communautés paysannes voient leurs terres, leurs ressources et leurs droits se transformer à un rythme effréné.
Un accaparement des terres sans précédent
Entre 2000 et 2012, l’Afrique de l’Ouest a été le théâtre d’un vaste mouvement d’accaparement foncier. Environ 1,5 % des terres arables ont changé de mains, souvent sans la moindre consultation des populations concernées. Dans plusieurs régions, des villages ont été déplacés, des réglementations contournées, et des contrats conclus en catimini. Selon Rousselle (2016), près de 43 % de ces acquisitions impliquaient des élites locales — entrepreneurs, personnalités politiques et entreprises nationales — actrices centrales de cette dynamique.
À l’image de nombreuses régions du Sud soumis aux politiques du FMI et de la Banque mondiale, la région a subi les effets des programmes d’ajustement structurel : privatisations, austérité, ouverture forcée aux marchés internationaux. La FAO estime qu’entre 50 et 80 millions d’hectares ont été négociés au bénéfice d’intérêts privés durant cette période, dont les deux tiers sont situés en Afrique de l’Ouest.
Des monocultures pour le marché mondial
Dans ce contexte, les pays de la région ont été poussés vers des monocultures orientées vers l’exportation : cacao en Côte d’Ivoire et au Sénégal, palmier à huile ailleurs, céréales sous forme de grandes plantations industrielles. Le modèle repose sur la propriété privée — souvent étrangère — et sur l’intégration forcée au marché mondial. Les promesses officielles évoquaient modernisation, production accrue et lutte contre le changement climatique. Mais sur le terrain, les bénéfices se sont concentrés entre quelques mains tandis que l’appauvrissement, la précarité et la destruction des écosystèmes se sont aggravés.
Des traditions marginalisées
Ces choix politiques ont profondément ébranlé les systèmes fonciers coutumiers, qui régissent encore aujourd’hui plus de 80 % des terres. L’arrivée de multinationales telles que Nestlé, Coca-Cola ou Cargill a accéléré l’exploitation intensive des terres et surtout de l’eau, souvent utilisée gratuitement. Les conséquences sont brutales : pollution, assèchement des sols, dépendance aux intrants chimiques, disparition progressive des savoirs paysans.
Le paradoxe est criant : malgré la multiplication des projets dits «de développement», ni la faim ni les besoins alimentaires fondamentaux ne sont résolus. Les marchés imposent des produits pauvres sur le plan nutritionnel qui concurrencent les productions locales. Les femmes, pilier de l’agriculture subsaharienne (80 % de la main-d’œuvre), restent largement exclues de la propriété foncière : elles ne détiennent que 15 % des terres.
COPAGEN et les comités d’observation
Face à l’ampleur des dérives, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN) voit le jour en 2004. Rapidement, elle élargit son champ d’action à l’accaparement foncier, dénonçant la signature d’accords opaques sur des terres publiques ou communautaires, souvent sans aucune consultation des populations, en violation des normes internationales.
Une étude menée par la coalition a mis en lumière une réalité frappante : 1,5 % des terres arables contrôlées par des groupes étrangers, et 43 % détenues par des privés locaux bénéficiant de faveurs fiscales. Ces révélations contribuent à la mise en place de comités villageois chargés de surveiller les terres, marquant un tournant dans la capacité d’organisation communautaire.
Les caravanes transnationales : une mobilisation régionale
En 2014, la Coalition globale de lutte pour la terre, l’eau et les semences lance des caravanes régionales, traversant plusieurs pays pour amplifier la voix des populations touchées — particulièrement les femmes et les petites productions. L’initiative, née au Forum social mondial (FSM) de Dakar en 2014 et consolidée au FSM de Tunis en 2015, rassemble aujourd’hui 700 organisations dans 15 pays. Son Livret vert documente systématiquement les opérations d’accaparement et renforce le plaidoyer auprès des gouvernements.
Ces mobilisations ont déjà permis plusieurs avancées : reconnaissance de terres communautaires, création de zones agricoles protégées, participation directe de mouvements paysans à l’élaboration de politiques publiques.
Vers le FSM de Cotonou : une dynamique régionale renforcée

Cette même coalition est aujourd’hui au cœur de l’organisation du Forum social mondial 2026 à Cotonou, au Bénin. Membre du Conseil international du FSM et liée à Via Campesina, elle ancre le forum dans les revendications locales, culturelles et traditionnelles. L’édition 2026 s’annonce comme un lieu d’effervescence politique et culturelle : un espace pour échanger sur les luttes, partager des stratégies et célébrer les victoires.
Cette mobilisation survient alors que les droits sociaux reculent sur plusieurs continents et que de nouveaux autoritarismes utilisent le chaos comme instrument de contrôle. Les guerres — en Ukraine, le génocide en Gaza et au Soudan — et l’exploitation accrue des ressources dans des pays comme la RDC rappellent combien les peuples du Sud restent en première ligne des crises économiques, militaires et climatiques.
Solidarités indispensables et urgentes
Dans ce paysage incertain, la nécessité de construire des solidarités internationales se fait pressante. Renforcer les réseaux de lutte, créer des alliances entre communautés, affirmer l’internationalisme comme horizon politique : telles sont les bases pour imaginer d’autres mondes possibles.
Car, comme le rappelle l’adage, le battement d’ailes d’un papillon peut déclencher un ouragan sur l’autre rive de l’océan. L’Afrique de l’Ouest, forte de son histoire de résistance et de ses mouvements paysans, envoie aujourd’hui un message clair : un autre mode de vie est non seulement possible, mais urgent.








