Ali Boukhlef – ALGER, Algérie pour le Middle East Eye
À presque un mois du troisième anniversaire du déclenchement du hirak en Algérie, le 22 février 2019, un militant de gauche a été condamné à deux ans de prison et plusieurs partis sont menacés de dissolution
Accusés de mener « des activités illégales », des partis de la mouvance laïque de l’opposition algérienne sont menacés de dissolution par les autorités. Ils réagissent en dénonçant des « atteintes aux libertés ».
Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition laïque) a reçu, jeudi 6 janvier, une mise en demeure du ministère de l’Intérieur le sommant de cesser des activités « contraires à la réglementation ».
Pour avoir accueilli le 24 décembre 2021 une réunion d’un conglomérat de partis politiques d’opposition, le Pacte pour une alternative démocratique (PAD), qui réclame un changement radical du système de gouvernance, cette formation politique fondée en 1989 risque la dissolution.
Pourtant, la loi sur les partis politiques n’exige aucune autorisation pour les réunions tenues par un parti politique à son siège.
« La violation par le parti politique des dispositions de la loi [sur les partis politiques] entraîne la suspension temporaire de ses activités prononcée par le Conseil d’État. La suspension temporaire entraîne la cessation de ses activités et la fermeture de ses locaux », indique l’article 66.
Même menace pour Zoubida Assoul
Son président, Mohcine Belabbas, a par ailleurs été mis sous contrôle judiciaire lundi 10 janvier, officiellement pour avoir employé « illégalement » un ressortissant marocain, qui est décédé lors de la construction de sa maison.
Ce n’est pas la première fois que ce parti, qui refuse d’accepter le processus politique en cours dans le pays et réclame un changement de système, reçoit des menaces de dissolution.
En juin 2020 déjà, Mohcine Belabbas annonçait que son parti avait reçu une missive du ministère de l’Intérieur le « menaçant de dissolution ». Les raisons de cette menace étaient quasiment les mêmes que celles adressées en ce début janvier. Il était reproché au RCD de recevoir en son siège des réunions politiques regroupant des personnalités de l’opposition.
Ce parti n’est pas le seul sous pression : en mai 2021, le ministère de l’Intérieur avait introduit une requête auprès du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays, dans le but d’enclencher le processus de dissolution à l’encontre de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), dont la présidente, l’avocate Zoubida Assoul, une des personnalités politiques du hirak (mouvement de protestation ayant conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika), est très active dans le mouvement d’opposition.
Un mois auparavant, le même département ministériel avait relevé la « non-conformité » de ses activités et celles de sa présidente avec la législation en vigueur, ajoutant que Zoubida Assoul « poursuit ses activités sous couvert de la présidence du parti en dépit de l’absence d’un statut juridique, conformément aux dispositions de la loi fondamentale du parti ».
Pour « se conformer à la loi », ce parti a tenu en avril 2021 un congrès de « mise en conformité » comme l’exige la loi, qui enjoint les partis à renouveler leurs instances tous les quatre ans, et a à nouveau déposé son dossier au ministère de l’Intérieur, « qui n’a pas répondu ». Depuis, la requête est suspendue, mais le parti craint d’être dissous.
Comme l’UCP, le parti de l’extrême gauche Parti socialiste des travailleurs (PST) a été sommé par le ministère de l’Intérieur de se « conformer à la loi » en organisant notamment un congrès. Ce que les dirigeants ont fait. Un dossier a été déposé, mais les autorités n’ont jamais répondu, laissant le parti dans le flou, selon ses membres.
Dissolution du RAJ
Un autre parti membre du Pacte pour une alternative démocratique (dont le RCD et l’UCP sont également adhérents), le Mouvement démocratique et social (MDS), est aussi dans le collimateur des autorités.
Son coordinateur national, Fethi Ghares, 47 ans, a été condamné, dimanche 9 janvier, à une peine de deux ans de prison ferme et une amende de 200 000 dinars (environ 1 200 euros) pour « atteinte à l’unité nationale ».
La justice lui reproche des déclarations considérées « injurieuses » contre le chef de l’État et d’autres responsables algériens. Il avait notamment affirmé, en octobre 2020, que « les enfants d’Hassiba Benbouali [une héroïne de la guerre de libération] ne courberaient pas l’échine devant le ministre d’Abdelaziz Bouteflika [en visant Abdelmadjid Tebboune], là pour incarner la continuité [de l’ancien système] ».
Si ces partis continuent d’exister malgré les menaces récurrentes de dissolution, l’association Rassemblement action jeunesse (RAJ), très active durant les manifestations du hirak, n’a plus d’existence légale. La chambre administrative du tribunal de Bir Mourad Raïs, à Alger, a prononcé en octobre sa dissolution.
Là encore, la justice a tranché en faveur du ministère de l’Intérieur, qui jugeait que l’ONG effectuait des activités « non conformes » à ses statuts. Les autorités reprochent notamment à RAJ une participation très active lors des manifestations anti-pouvoir de 2019 et 2020.
Plusieurs membres de l’association, notamment son président Abdelouahab Fersaoui, ont fait l’objet de poursuites judiciaires et jusqu’à neuf d’entre eux ont été incarcérés.
Condamné à un an de prison pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », son responsable a purgé six mois de prison entre fin 2019 et mai 2020, qui ont correspondu à la peine prononcée en appel.
« Le pouvoir est en train de revenir dangereusement sur les acquis démocratiques des Algériens », souligne à Middle East Eye Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
Selon lui, « cela est d’autant plus grave que [ces pressions] interviennent à quelques semaines de la commémoration du troisième anniversaire du début du hirak ».
« Dérive autoritaire », pour Louisa Hanoune
Ces décisions des autorités ont suscité des réactions d’indignation. « La décision de dissoudre le RAJ […] est un indicateur alarmant de la détermination des autorités à durcir leur répression contre le militantisme indépendant », a dénoncé Amna Guellali, directrice-adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International en octobre 2021.
Pour la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, qui avait été elle-même incarcérée durant neuf mois en 2019, ces décisions des autorités sont une « démarche au pas de charge vers la caporalisation totale de la vie politique et des médias par le pouvoir pour empêcher toute expression indépendante, afin d’imposer le maintien du statu quo contre la volonté de la majorité du peuple ».
« Cette mise en demeure conforte et confirme que la dérive autoritaire, voire totalitaire, du pouvoir interpelle toutes les forces politiques, syndicales, sociales et associatives pour s’unir dans un large front démocratique et unitaire contre la répression, pour la libération des détenus politiques et d’opinion et pour le respect et la consécration effective des libertés démocratiques », a réagi pour sa part le PST après la nouvelle mise en garde adressée au RCD.
« Le ministère de l’Intérieur s’érige en censeur sur les activités partisanes », a aussi commenté Zoubida Assoul.