Les manifestations populaires à Québec contre le G7 ont démontré que la flamme de la lutte contre la « globalisation » capitaliste, bien que vacillante, était encore présente au Québec. Et pour cause. Depuis longtemps, l’alignement sans nuance du Canada sur les États-Unis a permis l’étroite liaison entre le projet capitaliste de l’élite et de l’État canadien à celui de la puissance impériale, autour du projet nord-américain de dérèglementation et de libre-échange, mais pas seulement. Sur à peu près tous les dossiers, l’État canadien a agi en tant que fidèle subalterne, quitte à se distinguer de temps en temps pour se présenter comme « indépendant » et « pacifiste ». Ce mythe urbain a été répété sans cesse par les médias et même par des intellectuels complaisants qui, au bout du compte, finissaient toujours par justifier la stratégie impérialiste orchestrée par Washington.
G7 + Libre-échange : mensonges et aveuglements
Un bon exemple de cet aveuglement s’est manifesté à nouveau autour de la rencontre du G7 à Charlevoix. Le Canada, disait-on, combattait le méchant Trump par la promotion du libre-échangisme. Le commerce « libre de toutes entraves » devait être l’antidote au nationalisme chauvin, au racisme, à l’exclusion.
Parlant de libre-échange, l’étude que vient de publier l’Iinstitut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) sur le bilan de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) jette une douche froide sur ces discours triomphants. L’ALÉNA a été, en effet, une entrave au progrès social, en accentuant les écarts de richesse et en poussant les standards sociaux et environnementaux vers celles qui prévalent aux États-Unis. En partie par cet accord, les entreprises au Canada comme aux États-Unis ont eu beau jeu pour affaiblir le filet de sécurité sociale, réduire les conditions salariales et bloquer tout processus sérieux pour contrer la destruction de l’environnement.
Sur un plan strictement économique, l’intégration toujours plus forte de l’économie canadienne à celle des États-Unis, qui absorbent plus de 75 % des exportations canadiennes, a conduit à un affaiblissement en profondeur du secteur manufacturier créateur d’emplois relativement bien rémunérés et au renforcement de la concentration autour du secteur des ressources et des finances. Le Canada, plus qu’avant, est devenu pourvoyeur de pétrole et de minerais, avec les effets de dépendance que l’on connaît. Et, il y en a des chantres de la croissance qui continuent de dire que le libre-échange est la voie du progrès ?
L’essor de l’altermondialisme
À l’époque du Sommet des peuples des Amériques en 2001, une vaste coalition hémisphérique s’est réunie qui regroupait non seulement les groupes altermondialistes de la première époque, mais aussi l’ensemble du monde syndical qui ont pris parti pour la concertation continentale. Rappelons que les syndicats au Québec ont hésité, devant l’appui du mouvement national québécois au libre-échange nord-américain. Toutefois, la mobilisation croissante, au Nord et au Sud des Amériques, et convergente de différents réseaux et mouvements sociaux a favorisé la constitution d’un tel front unifié contre le projet des élites économiques de dérèglementation dans les Amériques.
Il s’agissait d’une vague de fond dans laquelle des ONG comme Alternatives ont joué un rôle significatif dans la mobilisation particulièrement visible dans plusieurs organisations syndicales. Il y avait aussi des intellectuels qui faisaient leur travail, notamment Dorval Brunelle, professeur à l’UQAM, qui expliquait bien que le « libre-échange », n’était ni « libre », ni axé sur l’échange (ou le commerce), mais qu’il était l’architecture d’une réorganisation en profondeur pour consolider le virage néolibéral et donc la dominance des États-Unis. À la suite de victoires retentissantes contre le projet de « Zone de libre-échange des Amériques » (ZLÉA), que le Canada et les États-Unis voulaient imposer aux 35 pays des Amériques. L’altermondialisme s’était lancé dans le projet de construction des alternatives, entre autres en Amérique du Sud où émergeait une vague de changements. Au Québec et au Canada, comme le vent tournait en sens contraire, dont la mise en place dès 2006 d’un gouvernement (néo)conservateur, il y eut plusieurs tentatives de faire front, qui ont culminé dans la mobilisation des réseaux à l’occasion du Forum social des peuples à Ottawa en 2014, sa tenue a lancé un message convergeant pour chasser les conservateurs au pouvoir depuis dix ans. Ici, la version québécoise de ce tournant à droite, sous l’égide du Parti libéral, a été combattue avec ardeur, jusqu’au moment que les étudiants et les étudiantes portent cette résistance en 2012 à un niveau inégalé. Comme le disaient les étudiantes et étudiants, la lutte était étudiante, mais le mouvement était populaire, avec une interaction assez explicite entre les confrontations locales et internationales, qui se manifestait, entre autres, par la participation des réseaux québécois au Forum social mondial et à d’autres réseaux alter.
Reflux
À partir du rapide retour du PLQ au pouvoir en 2013, la situation québécoise a évolué. Les restrictions sévères au niveau des budgets accordés par l’État, mais aussi les remises en question des consensus traditionnels avec les réseaux sociaux ont constitué des sources majeures d’affaiblissement du rapport de force des organisations sociales, notamment, la réforme et les réorganisations en santé et dans les services sociaux ont suscité compétition et division entre les organisations syndicales, en parallèle aux négociations du Front commun des employés-es des secteurs publics, qui exigeaient d’eux une collaboration sans faille..
Aussi, le mouvement étudiant s’est cogné la tête en 2015 avec la grève ratée et les débats plutôt durs avec certains secteurs jusqu’au-boutistes, qui ont sérieusement affaibli l’ASSÉ. La Fédération des femmes du Québec a également été secouée par des coupures sévères et des turbulences internes. En tout et pour tout, les mouvements populaires ont été mis sur la défensive, sauf dans le secteur écologiste, toujours en croissance et fort de sa victoire contre Énergie-est. Des mouvements de solidarité se sont maintenus, souvent par le biais de réseaux spécialisés par thèmes ou sur des régions (Palestine, Colombie, etc.). Tout cela a bénéficié de l’appui de Québec Solidaire, dont la progression lente, mais certaine a indiqué la permanence d’un courant progressiste et altermondialiste.
Le dernier tournant
Quand la question du G7 est venue à l’agenda avec le tournant de 2018, on a senti la lassitude, voire le désintérêt de plusieurs mouvements. Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) ne s’est pas impliqué, alors qu’il fut le véhicule de mobilisation unitaire en 2001. Composé essentiellement d’organisations syndicales et centré sur les accords commerciaux, le RQIC a épuisé ses ressources dans la mobilisation sur l’ALÉNA et a vu le soutien financier, qu’il disposait, s’évaporer quelques mois avant la tenue du G7.
Limitant la mobilisation sociale à la question des élections provinciales, les organisations syndicales se sont mises à l’écart des mobilisations contre les politiques du G7, à l’exception de quelques réseaux régionaux ou locaux, plus actifs dans l’action politique anti-systémique ou plus interpelés par la présence au Québec des chefs des sept pays parmi les plus riches de la planète. Ce fut les mêmes motifs qui ont incité quelques groupes communautaires et citoyens à s’engager, dont le MÉPAC et ATTAC-Québec. Avec la participation des groupes populaires de la ville de Québec et quelques syndicats ont réussi à sauver l’honneur, si on peut dire, de l’expression, de la mobilisation sociale contre les politiques néolibérales, foncièrement anti-égalitaires.
Reconstruire
Il y a donc plusieurs priorités qui se bousculent les unes sur les autres pour réactiver la solidarité internationale, l’internationalisme et l’altermondialisme. En premier lieu, il est plus que probable que la concurrence inter-impérialiste, d’une part, et le renforcement de courant belliqueux, notamment ceux qui saisissent la question de l’immigration comme levier de mobilisation réactionnaire auprès de la population, d’autre part, vont s’intensifier. Tout autant, il faut aussi renforcer la bataille contre l’hégémonisme américain et ces courants xénophobes.
Pour ce faire, on doit stopper la démobilisation actuelle. Ce qui exige de confronter le discours mensonger du gouvernement fédéral sur la « mondialisation heureuse », sur les « bons » accords de libre-échange (contre le méchant Trump), comme le repli sur soi, le patriotisme et ce qui est rétrograde et contraire à la solidarité sociale dans le protectionnisme. Ni libre-échangistes ni protectionnistes, nos mouvements s’opposent à la mondialisation néolibérale et soutiennent le développement d’alternatives, ce que nous associons avec l’altermondialisation, dont les contours ont été plusieurs fois esquissés :
- Luttes sans merci contre les inégalités, les évasions fiscales, la domination des institutions financières (et de la dette « odieuse ») ;
- Appuis explicites et actifs aux luttes populaires pour l’émancipation et le droit à l’autodétermination des peuples, avec, au premier plan, les peuples autochtones du Québec et du Canada ;
- Résistances aux projets aggravant et consolidant l’« intégration continentale », en clair, la subordination aux États-Unis, notamment dans le domaine énergétique.
Comme dans le passé, une telle reconstruction exige de coaliser les divers mouvements, d’éviter l’isolement, net un certain sectarisme qui vient avec, de garder le cap vers la convergence dans une perspective de front social large, incluant les organisations syndicales, d’être patients, tolérants et déterminés pour avoir une masse critique de groupes, habilités à persévérer dans une perspective d’éducation populaire et d’organisation à la base, appuyée sur des analyses par un travail d’enquête rigoureux et bien branché sur des réseaux internationaux significatifs.