Le grand projet des États-Unis : encercler la Chine

 

Michael T. Klare, extrait d’un texte paru dans Tom-Dispatch, 21 juin 2018

Le 30 mai, le secrétaire à la Défense, James Mattis, a annoncé un changement important dans la politique stratégique américaine. À partir de maintenant, le US Pacific Command (PACOM), qui supervise toutes les forces militaires américaines en Asie, s’appellera le Commandement indo-pacifique (INDOPACOM). Ce changement de nom, a expliqué Mattis, reflète  » une connectivité croissante entre les océans Indien et Pacifique », ainsi que la détermination de Washington à rester  dominant partout dans la région.

La couverture que ce changement de nom a été minimaliste, comme si c’était un geste symbolique, un stratagème du Pentagone pour encourager l’Inde à rejoindre le Japon, l’Australie et d’autres alliés américains dans le système d’alliance du Pacifique américain.

Mais, considérons la toile de fond du changement de nom. Ces derniers mois, les États-Unis ont intensifié leurs patrouilles navales dans les eaux adjacentes aux îles occupées par les Chinois dans la mer de Chine méridionale. Le langage utilisé par les États-Unis et de plus en plus menaçant, indiquant une intention d’engager la Chine militairement si ce pays poursuit ses avancées dans la région. Mattis pour sa part a annoncé que le Pentagone va intensifier les opérations navales dans les eaux contiguës aux îles occupées par les Chinois,.

D’autre part, le Pentagone travaille dur pour renforcer les liens militaires avec les États amis des États-Unis. Le 8 juin, par exemple, l’armée américaine a lancé « Malabar 2018 », un exercice naval conjoint impliquant l’Inde et le Japon. Incorporer l’Inde, un pays autrefois neutre, dans ce système d’alliance anti-chinois est devenu un objectif majeur du Pentagone au XXIe siècle. Pendant des décennies, l’objectif de la stratégie américaine en Asie a été de renforcer les principaux alliés du Pacifique, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et les Philippines, tout en encerclant la Chine. Cependant, ces derniers temps, la Chine cherche à étendre son influence en Asie du Sud-Est et dans la région de l’océan Indien.

La priorité stratégique du Pentagone

Connu à l’origine sous le nom de Commandement de l’Extrême-Orient, PACOM a été créé en 1947. Ses responsabilités englobent toute l’Asie de l’Est, du Sud et du Sud-Est, ainsi que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les eaux des océans Indien et Pacifique – autrement dit, une superficie couvrant environ 50% de la surface de la Terre et incorporant plus de la moitié de la population mondiale. Bien que le Pentagone divise la planète entière comme une tarte géante en un ensemble de « commandements unifiés », aucun d’entre eux n’est plus grand que le nouveau INDOPACOM, avec plus de 375 000 militaires et civils.

Traditionnellement, PACOM s’est concentré sur le maintien du contrôle du Pacifique occidental, en particulier dans les eaux entourant un certain nombre d’États insulaires et péninsulaires comme le Japon, la Corée du Sud et les Philippines. Sa structure repose sur des escadrons aériens et navals, ainsi que d’une importante présence des Marines sur l’île japonaise d’Okinawa. Son unité de combat la plus puissante est composés des 3e et 7e flottes, qui regroupent environ 200 navires et sous-marins, près de 1 200 avions et plus de 130 000 militaires.

Jusqu’à récemment, ce dispositif était orienté contre la Corée du Nord. À la fin de l’automne 2017 et à l’hiver 2018, PACOM a poursuivi une série d’exercices visant à tester la capacité de ses forces à surmonter les défenses nord-coréennes et à détruire ses s installations nucléaires et sites de missiles. Il semble que le président Trump a suspendu de tels exercices à la suite de sa réunion avec Kim.

Aujourd’hui, les priorités changent. Le nouveau commandant en chef de INDOPACOM, l’amiral Phil Davidson a souligné à plusieurs reprises la menace que représentent les activités militaires chinoises dans la mer de Chine méridionale : « Une fois que [les îles de la mer de Chine méridionale seront occupées], la Chine pourra étendre son influence à des milliers de kilomètres au sud et projeter son énergie en Océanie. L’Armée populaire de libération pourra utiliser ces bases pour défier la présence américaine dans la région. En bref, la Chine est maintenant capable de contrôler la mer de Chine du Sud dans tous les scénarios, sauf la guerre avec les États-Unis ».

Parallèlement, les États-Unis sont préoccupés par l’ouverture de bases navales chinoises à Gwadar (Pakistan), et au Sri Lanka. Sans surprise, le Premier ministre indien Narendra Modi semble disposé à se joindre à Washington pour limiter la portée géopolitique de la Chine. « Un partenariat stratégique durable avec l’Inde s’inscrit dans le cadre des buts et objectifs américains dans l’indo-pacifique », a déclaré l’amiral Davidson dans son récent témoignage au Congrès.

Vu de Beijing

Les Chinois estiment que de tels mouvements, y compris les récentes opérations navales provocatrices dans les îles Paracel contestées de la mer de Chine méridionale, représentent un danger.

À la fin mai, le Pentagone a envoyé deux navires de guerre – l’USS Higgins et l’USS Antietam, dans les eaux près d’une de ces îles nouvellement fortifiées. Les Chinois ont répondu en envoyant leurs propres navires de guerre. L’action américaine, a déclaré un porte-parole militaire chinois, « a gravement violé la souveraineté de la Chine [et] sapé la confiance mutuelle stratégique ».  Bien sûr, les Chinois sont également responsables de l’escalade des tensions. Ils continuent à militariser les îles de la mer de Chine méridionale dont la propriété est contestée, en dépit d’une promesse que le président chinois Xi Jinping avait faite au président Obama en 2015 de ne pas le faire. Certaines de ces îles des archipels  sont également revendiquées par le Vietnam, les Philippines et d’autres pays de la région. Beijing entre-temps refuse de faire des compromis sur la question.

Vu de Chine, les perspectives stratégiques des États-Unis sont clairement considérées comme une menace visant à encercler la Chine. Pour les dirigeants chinois, changer le nom de PACOM est un autre signe de la détermination de Washington à étendre sa présence militaire autour de l’Asie du Sud-Est dans l’océan Indien.

Les efforts chinois pour contrer cette révolution vont certainement se poursuivre, y compris sur le plan militaire. Ils incluront des efforts pour se trouver des alliés asiatiques – comme on le voit dans la relation que Beijing tente dedévelopper avec le président Rodrigo Duterte des Philippines.

Au moment où la possibilité d’une guerre avec la Corée du Nord s’estompe à la suite du sommet de Singapour, une chose est certaine : le nouveau commandement américain de l’indo-pacifique se consacrera de plus en plus à se préparer à un conflit avec la Chine.

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