François Chesnais, extraits d’un texte paru dans À l’Encontre 12 avril 2020
Fin 2019, douze ans après le début de la crise économique et financière mondiale de 2007-2008 il n’y avait toujours pas eu de vraie sortie de crise et reprise de l’accumulation dans les pays avancés de l’OCDE tandis que le rythme de la croissance avait baissé en Chine. En réalité la récession majeure commencée il y a douze ans n’a jamais pris fin. Même si les conventions statistiques veulent qu’aux Etats-Unis la récession commencée en décembre 2007 se soit terminée en juin 2009, les économistes anglophones désignent du nom de Great Depression (grande dépression) la période ouverte par la crise mondiale dont la faillite en octobre 2008 de la banque Lehmann Brothers a été le point d’orgue. Ce nom est pleinement justifié par la netteté de la rupture avec la période qui l’a précédé, et plus fondamentalement avec la très longue phase de croissance commencée à la fin des années 1940. Le graphique montre que la croissance s’est progressivement ralentie tombant très bas en 1974-1975 et 1979-1982, mais qu’il faut attendre 2008-2009 pour qu’elle soit véritable interrompue.
C’est donc une économie mondiale bien mal en point que la pandémie a frappée avec en plus un changement de beaucoup de paramètres par rapport à ceux de la période de la crise de 2007-2008. Il ne s’agit pas seulement de l’émoussement des outils monétaires, la perte d’efficacité des interventions des banques centrales et le niveau très élevé des dettes publiques, mais de la capacité d’action de la bourgeoisie mondiale. En 2009 l’approfondissement de la récession mondiale et le recul de la production et du commerce ont été stoppés par les énormes investissements d’infrastructures faits par la Chine. En 2020 celle-ci n’est plus en position de les faire. De façon contradictoire, en effet, elle a été simultanément le site principal de la suraccumulation mondiale et un pays qui a été frappé de façon immédiatement par les conséquences économiques de la pandémie. Sur le plan des rapports internationaux le régime interétatique relativement coopératif de 2009 qui avait vu la création du G20, a cédé le pas à une intense rivalité commerciale et une montée importante de protectionnisme dont les Etats-Unis sont les principaux responsables. Enfin douze ans supplémentaires d’exploitation des ressources de base ont conduit à une hausse des prix de matières premières de base sous l’effet d’un début de raréfaction des ressources minières et de la dégradation des sols tandis que les impacts du réchauffement climatique commencent à toucher tous les pays.