Jean-Baptiste Mouttet, Médiapart, 2 février 2019
Paris – Dix jours après s’être proclamé président de transition, Juan Guaidó a de nouveau mobilisé les foules dans tout le Venezuela samedi. L’opposition gagne du pouvoir alors que le président en exercice, Nicolás Maduro, ne fait aucune concession. Un général de division de l’armée de l’air vénézuélienne a fait allégeance à Juan Guaidó.
« Il va tomber, il va tomber, le gouvernement va tomber » , pouvait-on entendre dans les rues de Caracas lors des mobilisations organisées dans tout le pays ce samedi 2 février. Dix jours après s’être proclamé président de transition le 23 janvier, le jeune Juan Guaidó est de nouveau parvenu à faire descendre dans les rues du pays de très nombreux Vénézuéliens. Comme d’habitude, il est difficile de donner le nombre exact de manifestants, mais il peut être estimé que plusieurs centaines de milliers de personnes ont répondu à l’appel de l’opposition.
La foule s’est unie pour exiger le départ de Nicolás Maduro et accompagner l’ultimatum de six pays de l’Union européenne (Allemagne, Espagne, France, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) qui ont donné jusqu’à ce dimanche au président en exercice pour convoquer une nouvelle élection présidentielle, faute de quoi ils reconnaîtraient Juan Guaidó comme président. Les manifestations se sont déroulées dans tout le pays : de Merida, à l’ouest du pays dans les Andes, aux plus petites villes comme Nirgua dans l’État de Yaracuy (nord-ouest du pays).
Alors que le Venezuela vit un affrontement direct entre deux pouvoirs (entre le président de transition, Juan Guaidó, et Nicolás Maduro, élu lors de l’élection présidentielle contestée du 20 mai 2018), la capacité de rassemblement des maduristes était aussi scrutée. Les soutiens au président en exercice étaient aussi importants dans la capitale vénézuélienne.
Rassemblés sur l’avenue Bolivar, ils commémoraient le 2 février 1999, date de la première investiture du fondateur de ladite « révolution bolivarienne » , le président Hugo Chávez (décédé le 5 mars 2013). Ce samedi, cette avenue n’a pas été complètement investie par les Maduristes vêtus de rouge comme c’était pourtant régulièrement le cas sous l’ère Chávez. Le gouvernement a affrété des bus afin de faire venir des militants de tout le pays comme le rapporte RFI (Radio France internationale) . Sans conteste, Juan Guaidó a remporté cette nouvelle manche.
« C’est nécessaire de continuer à mobiliser. C’est un message adressé aux appuis du gouvernement qui hésitent à rejoindre le mouvement. Nous devons aussi démontrer au monde la légitimité de notre combat » , explique le député de l’Assemblée nationale, Leonardo Regnault (Avanzada Progresista, centre-gauche) qui avait soutenu la candidature de Henri Falcón lors de l’élection présidentielle de 2018. Les manifestations sont perçues comme des appuis aux offensives internationales qui menacent Nicolás Maduro. La décision des États-Unis de bloquer 7 milliards de dollars d’actifs de l’entreprise pétrolière publique vénézuélienne PDVSA, et de priver le gouvernement vénézuélien de plus de 11 milliards de recettes d’exportation cette année, ébranle le pouvoir.
Ce sont ces appuis internationaux, des États-Unis ou de l’Union européenne qui font penser à la professeure Janette Jimenes que le changement de gouvernement « est pour bientôt » et la motive pour descendre dans la rue comme elle l’a de nouveau fait ce samedi. « La différence avec 2017, c’est que la communauté internationale est favorable à ce changement » , assure-t-elle. En 2017, les mobilisations contre le gouvernement, qui avaient fait au moins 125 morts, avaient cessé après l’élection de la plénipotentiaire Assemblée nationale constituante (ANC). Cette ANC, non reconnue par l’opposition, exerce de fait les pouvoirs de l’Assemblée nationale, seule institution aux mains de l’opposition.
Depuis une estrade devant la représentation de l’Union européenne à Caracas, dans le quartier de Las Mercedes, Juan Guaidó a affirmé que la mobilisation allait se poursuivre : « Nous allons continuer dans les rues jusqu’à obtenir la fin de l’usurpation et la liberté du pays » , a-t-il lancé la voix enrouée. « Le mois de janvier était victorieux » , en février « nous continuerons de mobiliser », a-t-il ajouté.
Dans les prochains jours, des manifestations seront annoncées pour soutenir l’envoi d’aide humanitaire qui devrait arriver à la frontière colombienne, brésilienne et depuis « une île des Caraïbes » . Encore faudra-t-il que cette aide parvienne à franchir la frontière. Elle ne peut être acheminée sans l’autorisation de l’armée. Le gouvernement y est opposé. Une autre mobilisation est prévue le 12 février, « jour de la jeunesse au Venezuela ».
Juan Guaidó prend son temps
Prévoir une mobilisation le 12 février, c’est inscrire le bras de fer dans la durée. Une course de fond a débuté. Juan Guaidó peut se le permettre, le temps joue en sa faveur. « Nous avons vu que Juan Guaidó accumule progressivement et systématiquement des pouvoirs alors que le gouvernement en perd », explique le politologue vénézuélien Arturo Peraza. Plus le temps passe, plus le président par intérim grappille des éléments clefs du pouvoir maduriste.
À la suite de la décision de Washington de couper au gouvernement de Nicolás Maduro, les revenus pétroliers aux États-Unis, Juan Guaidó a assuré qu’il nommerait à la tête de l’entreprise pétrolière publique (PDVSA) et sa filiale Citgo (trois raffineries situées sur le sol nord-américain), de nouvelles directions.
Il investit sa fonction de président autoproclamé en proposant un programme. Le 31 janvier, il a présenté le plan pays « Plan País ». Sans entrer dans les détails, il a alors tracé les priorités : stabiliser l’économie, réactiver l’industrie pétrolière, diversifier l’économie nationale (qui dépend entièrement du pétrole) et rétablir l’accès aux services publics.
Plus le temps passe, plus les pressions internationales s’exacerbent, plus les fissures au sein de l’appareil maduriste apparaissent. Selon Bloomberg, des fonctionnaires de la Banque centrale du Venezuela ont bloqué la tentative du régime de sortir du pays l’équivalent en or de 850 millions de dollars pour financer des importations.
L’ambassadeur du Venezuela en Irak, Jonathan Velasco, a annoncé son soutien à Juan Guaidó, samedi. Le colonel Jose Luis Silva, attaché militaire du Venezuela à Washington, avait fait de même la semaine dernière tout en appelant ses « frères d’armes » à reconnaître le président par intérim. L’armée montre d’ailleurs des signes de faiblesse. Samedi, le général de division de l’armée de l’air vénézuélienne, Francisco Estéban Yánez Rodríguez, faisait allégeance à Juan Guaidó, assurant que « 90 % des forces armées ne soutiennent pas le dictateur ».
Pour l’instant, ces défections ne touchent pas des piliers du pouvoir en place. L’aviation n’est pas connue pour être un soutien inébranlable au chavisme. Mais le doute s’installe. Les soutiens de l’opposition se sont d’ailleurs étonnés, samedi, du peu de réponses des forces de l’ordre aux manifestations qui se sont déroulées dans le calme. Ils partageaient sur les réseaux sociaux des scènes où l’on peut voir des policiers se retirer et sympathiser avec la foule . Jusqu’à maintenant l’affrontement entre les deux pouvoirs s’est déroulé dans un climat violent. D’après l’ONU, il y a eu plus de quarante morts.
Ces signes font dire au député Leonardo Regnault que « le gouvernement est plus que jamais sur la défensive » . Devant la foule des appuis à Nicolás Maduro sur l’avenue Bolivar, les maduristes souhaitaient, eux aussi, prouver leur légitimité. Le n° 2 du régime, le président de l’Assemblée nationale constituante, Diosdado Cabello haranguait la foule : « Loyaux ? », « Toujours ! » répondaient les militants. « Traîtres ? », « Jamais ! » poursuivaient-ils. « Au Venezuela il y a un seul président constitutionnel, légal (…), un seul président gouvernant tous les jours, élu par le vote populaire lors de scrutins libres et ce président, ce jeune, ce gamin, cet ouvrier, c’est Nicolás Maduro Moros », a cru bon de rappeler le président en exercice en parlant de lui à la troisième personne. Il a répondu aux initiatives de Juan Guaidó et dénoncé l’aide humanitaire promise par les États-Unis : « Il y a en a certains qui se sentent mendiants de l’impérialisme et vendent leur patrie pour 20 millions de dollars », a-t-il déclaré.
Nicolás Maduro ne fait aucune concession. Bien au contraire, il menace. Dans un pays qui a deux assemblées adverses, il a annoncé que l’Assemblée nationale constituante, qui lui est entièrement dévolue, débattrait de l’organisation de nouvelles élections législatives anticipées cette année afin de renouveler l’Assemblée nationale. Élus en 2015, les mandats des députés de cette assemblée nationale, privée de ses pouvoirs, courent jusqu’en 2020. L’opposition y est majoritaire et Juan Guaidó est son président.
Dans ce bras de fer à l’issue encore incertaine, les tenants d’une troisième voie ont du mal à se faire entendre. La plateforme alternative bolivarienne, regroupant des intellectuels et des chavistes dissidents, a appelé à un référendum pour savoir si les Vénézuéliens veulent des élections générales et rejeté toute intervention étrangère. Une initiative qui a peu de chance d’aboutir.