Nasturtium Renée, Révolution permanente, publié le 13 mai 2020
Le gouvernement à l’origine du coup d’État en Bolivie, soutenu par l’impérialisme américain, perd de plus en plus de légitimité. La crise sanitaire touche durement le pays, où l’eau courante n’est pas accessible à tous. Face à une gestion gouvernementale autoritaire de la crise sanitaire et un passage en force de décrets liberticides, la population bolivienne est une des premières à relever la tête dans ce monde post-Covid.
Les révoltes post Covid s’étendent. Après le Liban, l’Irak c’est au tour de la Bolivie.
Impérialisme américain et gestion sanitaire désastreuse
Les manifestations étaient déjà virulentes avant le confinement. Suite au coup d’État perpétré contre l’ancien président socialiste Evo Morales, Jeanine Áñez a pris le pouvoir, soutenue par les États-Unis. Alors qu’au moment des élections en octobre 2019, Evo Morales remporte le scrutin dès le premier tour avec 47,08% des voix, l’Observatoire des États américains tente de délégitimer ces résultats en invoquant un « changement de tendance ». Evo Morales est contraint de démissionner et de s’exiler sous la menace de l’armée. Dans ce contexte, Jeanine Áñez, catholique de droite, s’autoproclame « Présidente par intérim ». Fin février, le Tribunal suprême électoral annonce officiellement l’interdiction pour Evo Moralès de se représenter aux élections. En parallèle Áñez annonce son soutien à la réélection d’Almagro, secrétaire général de ce même Observatoire des États américains, aussi nommé « ministre des colonies américaines ». Ainsi elle montre clairement son appartenance et son soutien à l’impérialisme américain en Bolivie. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, lui, annonce dans un communiqué : « les États-Unis saluent la décision de la sénatrice bolivienne Jeanine Añez de prendre la présidence par intérim afin de mener sa nation durant cette transition démocratique ».
De nouvelles élections « démocratiques » sont demandées par la rue, mais le gouvernement tente de les retarder au prétexte de la crise sanitaire.
Ce coup d’État bolivien a provoqué, courant novembre, de nombreuses manifestations populaires et ouvrières qui ont été violemment réprimées, on y a dénombré plus 15 personnes tuées, la majorité par balles.
Des quartiers sans accès à l’eau potable : la crise sanitaire exacerbe la pauvreté
La misère se creuse et la crise sanitaire du Covid exacerbe d’autant plus la pauvreté terrible que connaissent certains quartiers boliviens. Notre journal frère La Izquierda Diario nous apprend que dans « les quartiers de la zone sud de Cochabamba […] dans de nombreuses maisons, il n’y a pas de service d’eau potable, qu’il faut l’acheter dans des citernes pour 7 livres (environ 1 dollar) le réservoir. Se laver les mains est un luxe. […] beaucoup attendent encore le panier de produits de base et le bon de 70 livres sterling pour l’achat d’eau que le gouvernement avait promis ». Des centaines de milliers de personnes sont en danger, alors même que le gouvernement vient de prolonger la quarantaine jusqu’au 31 mai sans aucune mesure d’aide. La izquierda : « Chaque jour qui passe signifie une aggravation des conditions de vie de la grande majorité, qui souffre aujourd’hui de licenciements, de bas salaires et d’une quarantaine qui devient insoutenable face au spectre de la faim qui se cache dans la classe ouvrière, les quartiers paysans et populaires ». A l’heure actuelle 128 morts du Covid-19 ont été recensé en Bolivie, selon les chiffres officiels.
COVID-19, quarantaine militarisée et passages en force de projets liberticides
En plus de cela, la pandémie est l’occasion pour ce gouvernement autoproclamé de mettre en œuvre sa politique liberticide.
D’abord, le 08 mai, Añez promulgue un décret qui accélère l’utilisation d’ OGM dans l’agriculture nationale. Ce décret a été chaleureusement salué par les entreprises de l’agroalimentaire et les chambres agraires, mais a reçu avec un rejet intense par les communautés autochtones, les organisations et les syndicats paysans, ainsi que de divers secteurs de la population, des ONG et des fondations environnementales. « Nous dénonçons le fait que le gouvernement profite de la situation pour faire passer une loi qui autorise les manipulations génétiques, qui générera des impacts socio-environnementaux dangereux, du fait de l’augmentation de l’utilisation des produits agrochimiques. Autant de choses qui ne résoudront pas la faim du peuple », a détaillé la Plateforme agroécolo surpris de la vitesse à laquelle Áñez réalise les intérêts des agro-entrepreneurs rapporte La izquierda. Áñez et les dirigeants du coup d’État avec le confinement ; « avancent à une vitesse absolue, imposant chaque décret ».
Ensuite le 10 mai, à l’occasion de la journée nationale des journalistes et de la liberté d’expression, Janine Áñez a rendu public un texte visant à intimider les journalistes indépendants et la population en général en réprimant la liberté d’expression, encore une fois sous couvert de lutte contre le Covid-19. Ce texte stipule « les personnes qui incitent au non-respect de ce décret ou diffusent des informations sur tout type, que ce soit sous forme écrite, imprimée, artistique et / ou par toute autre procédure qui met en danger ou affecte la santé publique, qui génère de l’incertitude dans la population, sera passible de plaintes par la commission des délits établis dans le Code pénal ». A travers cette loi, ils cherchent en fait à faire taire le mécontentement, les manifestations croissantes et le rejet du gouvernement actuel.
Première révolte post-Covid en Amérique latine : la chute d’Añez est-elle une question de temps ?
Le gouvernement putschiste a du mal à tenir la barque, sa légitimité fait défaut et les manifestations reprennent du terrain depuis la fin avril, en plein confinement militarisé. Des analystes boliviens montrent un gouvernement de plus en plus faible et, en réaction, un tournant toujours plus répressif.
Les manifestations de cette semaine ont montré un élargissement des rangs des manifestants, qui rejettent de plus en plus massivement les décrets impopulaires passés en force. « Dimanche 10 mai, à 19 h 00, une deuxième manifestation de protestations contre le gouvernement autoproclamé d’Áñez s’est tenue dans tout le pays, où un secteur important qui proteste, exige « des élections maintenant ». L’expression bruyante de colère contre le gouvernement à travers des pétards et des casseroles était plus étendue que celle du 30 avril. À cette occasion, il n’y a pas eu de manifestations de rue et de blocus comme le 30 avril, en raison d’un saut dans la militarisation et de l’intimidation du gouvernement. Même ainsi, le mécontentement populaire grandit et s’est étendue cette fois-ci à divers quartiers de la classe moyenne » écrivent nos camarades sur place. Mais le gouvernement a rejeté le calendrier électoral proposé par l’assemblée législative. Lundi 11 mai c’est la zone sud de la ville de Cochabamba, où se trouvent les quartiers les plus abandonnés par les différents gouvernements, qui s’est révoltée. Ce sont des émeutes dans une « zone sud [qui] se rebelle contre la faim, le manque d’eau et l’improvisation d’Áñez ». Elle a connu l’une des plus longues journées de protestation du pays depuis le début de la crise par COVID- 19. Des routes et une compagnie pétrolière ont été bloqués dès le matin du 11 mai. Tout ceci dans une forte répression, à tir de plomb et gaz lacrymogènes, qui ont fait au moins un blessé par balle..
Un affaiblissement de l’impérialisme américain
La perte de légitimité croissante du gouvernement affaibli de concert les positions impérialistes des USA. D’autant que les divisions pointent leur nez dans le camp puchiste, avec d’un côté le gouvernement et les forces armée et de l’autre une frange proche de l’extrême à droite raciste qui se délimite de plus en plus du gouvernement en place. Un caillou de plus dans la chaussure du gouvernement, qui n’arrive pas à unir ne serait-ce que ses propres rangs. Ce qui tend à déstabiliser l’impérialisme américain.
Nos camarades écrivent à travers « le journal La Izquierda Diario, nous sommes solidaires de la lutte des résidents et des travailleurs de la zone sud de Cochabamba. Nous exigeons que l’État attribue un salaire de quarantaine à tous les travailleurs et secteurs populaires qui vivent au jour le jour afin qu’ils puissent rester chez eux. Il est également urgent que l’eau nécessaire à ces quartiers soit distribuée gratuitement pendant toute la durée de la crise La situation est grave et insoutenable, la quarantaine seule est insuffisante et mortifère. Chaque jour qui passe, de nombreuses familles de travailleurs sont poussées dans la rue par le désespoir causé par la faim. Nous ne voulons plus de personnes qui meurent de faim dans le pays. Le refus d’Áñez et de ses ministres de procéder à des tests massifs se poursuit à ce jour et s’il avait été mis en œuvre comme nous l’avions demandé depuis le début de la crise socio-sanitaire dans les pages de La Izquierda Diario, la situation des secteurs populaires ne serait pas aujourd’hui si dramatique. »