24 octobre 2019
Le Président Evo Morales a déclaré ce mercredi matin, lors d’une conférence de presse, qu’un coup d’état était en cours en Bolivie et « qu’il faisait à nouveau appel à la solidarité internationale pour défendre le Processus » (connu comme “Proceso de Cambio”) dans mon pays.
Avec une grande amertume, ayant participé au gouvernement entre les années 2006 et 2011, je suis très désolé de vous dire que cette affirmation d’Evo Morales est complètement fausse.
Certes, il est vrai que la Bolivie connaît aujourd’hui une très forte radicalisation et convulsion sociale. Pour preuve, les immeubles de plusieurs sièges de la Cour Électorale ont été brûlés dans plusieurs départements et il y a des manifestations dans le pays tout entier qui mobilisent des centaines de milliers de personnes.
Mais, quel est l’origine de ces mouvements sociaux qui pourraient dégénérer dans des affrontements d’une violence extrême ? Serait-il vrai que la cinquième étape d’un coup d’état “soft” promu par « l’Impérialisme Américain » et le candidat Carlos Mesa à l’encontre du Président Morales serait en place comme l’affirme son ancien Ministre de l’Intérieur ?
La raison principale qui a amené à une grande partie du peuple bolivien à prendre les rues, tient d’un côté “mauvais perdant” du propre Evo lors du résultat du Referendum du 21 février 2016 pour un quatrième mandat consécutif. Lors de ce Referendum, proposé par Evo lui-même, 51,3% de la population s’est prononcé pour le NON à un possible quatrième mandat pour le Président et son vice- Président Álvaro García Linera. Au début, Evo reconnût sa défaite.
Néanmoins, lors d’une affaire médiatique rocambolesque, consécutif à la fin de campagne électorale de ce Referendum connu comme « Le Mensonge Zapata », (digne d’une « télénovela » mexicaine), dans lequel son ex petite-amie déclara aux média avoir eu un fils du Président (qui plus est reconnu par Evo au registre civil bolivien), qui d’abord était soi-disant décédé pour ensuite figurer comme non né, le Président cria à la conspiration et dans cette confusion déclara que le Referendum fut ni plus ni moins perdu à cause de la campagne médiatique à son encontre. Le fait est, que dans cette sombre histoire, Gabriela Zapata finit en prison (dans une cellule V.I.P.), alors qu’il apparut que cette ex petite amie était ni plus ni moins que Directeur de la société de travaux publiques CAMC de la Chine et négociait des contrats de plusieurs centaines de millions de dollars depuis le bureau officiel de la Première dame.
Un an après, vers la fin 2017, dans un « coup de théâtre » monumental, ce fut le tour du Tribunal Constitutionnel de déclarer les citoyens Evo Morales et Alvaro García Linera aptes pour une postulation à une quatrième mandat, car la décision du souverain lors du Referendum avait été « à l’encontre de leurs droits humains ». En donnant patte-blanche à la ré élection, furent bafoués au passage les articles de la Constitution bolivienne qui interdisaient la ré élection plus d’une seule fois.
Vers la fin 2018, La Cour Électorale et l’Assemblée Nationale, approuvèrent à la va-vite une Loi autorisant des élections Primaires en Bolivie. Sous l’apparence d’une « démocratisation interne » des partis politiques, rien de moins que l’objectif masqué de faire une normalisation de la candidature du binôme Evo/Alvaro. Ces primaires coûtèrent à l’État bolivien la bagatelle de quelques millions de dollars et furent un fiasco, boudées par la population. Pour finir en beauté, bien que la Loi pour ces Primaires interdît le changement du candidat de chaque parti, La Cour Électorale autorisa en août 2019 ce nouveau venu de dernière minute pour le parti de la Démocratie Chrétienne, un prêtre évangéliste d’origine sud-coréenne, à mi-chemin entre Bolsonaro et Fujimori qui est finalement arrivé en troisième place lors des élections.
Cette campagne 2019 fut, pour le moins, très inégale car Evo fit cette fois un usage ouvert des biens et moyens de l’État pour organiser les concentrations de ses acolytes sans oublier que une grande partie des fonctionnaires publiques ont été obligés d’assister sous peine de licenciement. Les discours d’Evo furent en général des longues listes de promesses de travaux publiques en échange des votes.
Ceci dit, quelques semaines avant l’élection du 20 octobre dernier, des rassemblements massifs de citoyens connus comme « Cabildos » eurent lieu dans les grandes villes de la Bolivie et se prononcèrent ouvertement à l’encontre de cette quatrième candidature d’Evo qui depuis 2016 a ignoré le résultat du Referendum.
Le jour de l’élection, la majorité de la population de la Bolivie se présenta aux isoloirs, avec un taux de participation de 90% et la nuit même des élections les résultats furent annoncés.
Evo premier, Carlos Mesa deuxième. Vers 19 :40 heures la Transmission de Résultats Electoraux Préliminaires (TREP) de la Cour Électorale montrait lors de 83% des votes vérifiés qu’Evo obtenait 45% et Mesa 38%. Les résultats étaient validés également par Via Ciencia, la seule société de sondages habilitée par le Gouvernement, qui donnait 44% pour Evo et 39% avec Mesa. Sans une différence de plus de 10% entre le premier et le deuxième candidat, un second tour le 15 décembre était inéluctable. Le soir même, Mesa se déclare prêt pour le ballotage, alors qu’Evo se proclame gagnant grâce selon lui au 17% des votes qui ne sont pas encore comptés.
Vers 20 heures du dimanche, une apparente panne du TREP, laisse l’actualisation de résultats en suspens. La population commence à s’inquiéter… Le lendemain, vers 18 heures, soit 22 heures après le début de la panne, le système reprend et… surprise ! Le compte est maintenant à 96% et Evo obtient de justesse le 10.11%, à la virgule près, pour éviter le second tour contre Mesa. Quelques minutes après, les révoltes explosent partout en Bolivie. A Sucre, la ville capitale historique, la police nationale se joignit même aux manifestants. La Cours Électorale fut frappée d’une crise interne avec la démission d’un vice-président et d’un officier départemental. Le vice-président de la Cours mis la panne supposée du TREP comme raison principale de sa démission. Le jeudi 24 octobre, après plusieurs interruptions et observations, le décompte officiel dépassait 10 points de différence entre le premier et le second *.
Il faut quand même rappeler que Carlos Mesa, journaliste, fut le Vice-Président lors du gouvernement néo-libéral de Gonzalo Sanchez de Lozada. Il est fort probable que si Evo n’avait pas forcé sa quatrième élection consécutive, Mesa aurait été un candidat parmi les autres, ou s’il ne se serait même pas postulé aux élections… Une partie de la population, outrée par le manque de respect d’Evo à son propre Referendum, a concentré ses votes en faveur de Mesa. Sans vraiment le vouloir, Evo a créé son propre ennemi et a coupé la société bolivienne en deux : pour ou contre cette quatrième élection forcée. Le vice-président García Linera a même ressorti les vieux fantasmes racistes de blancs contre indiens que ce même gouvernement avait déclaré comme étant du passé. Au final, Evo aura maintenu son appui dans la campagne et villages ruraux alors que Mesa a concentré plutôt les votes des grandes villes en étant tous les deux métis ou indiens. Quelle bourde et quel danger d’appeler à la confrontation raciale, longtemps dépassée…
Avec ce conflit politique larvé depuis 2016, la droite locale et régionale se frotte les mains alors que l’Ambassade des États Unis est certainement en train de tisser à nouveau des scénarii.
Rien de cela ne se serait produit sans le geste d’Evo de méconnaître le résultat du Referendum (qu’il avait lui-même convoqué) sous l’argument du « droit humain à la ré élection » qui bafoue la Constitution, les Lois et la volonté souveraine de la population.
Ce serait long d’écrire d’autres sujets importants tels que la situation économique de la Bolivie, les Droits de la Terre Mère, l’état des lieux des organisations sociales ou la mutation de la bourgeoisie bolivienne. On pourra parler après de ces débats, de nos succès, de nos erreurs et de nos pronostics. Pour l’instant je vous demande, de tout cœur, de bien vous informer de la situation politique bolivienne et si besoin est de prendre parti selon vos principes et selon votre âme et conscience.
De ma part, suivant l’exemple de Mai 68, je continuerai à « demander l’impossible », celle qui est la seule issue possible. En l’occurrence qu’Evo accepte finalement le résultat du Referendum du 21 février 2016, et qu’il arrête d’insister sur cette quatrième élection qui bien pourrait coûter un bain de sang.
Bien à vous,
Pablo Solón
La Paz, Bolivie, le 23 octobre.