Julie Duclos, Espaces latinos, 17 février 2021
Le 1er février 2021, un nouveau féminicide s’est ajouté aux 11 cas déjà enregistrés au mois de janvier 2021 en Bolivie, de quoi évoquer une « épidémie », présente dans le pays depuis plusieurs années, moins rapide et alarmante que celle du coronavirus mais tout aussi dévastatrice.
Ce sont onze cas de féminicides qui ont été relevés au mois de janvier 2021. À ce rythme, la Bolivie pourrait en présenter plus d’une centaine d’ici la fin de l’année 2021, un chiffre déjà enregistré pour l’année 2020. Ils s’expliquent certes par une époque de restrictions où le confinement et les couvre-feux obligent des femmes à vivre un quotidien difficile avec des maris violents qu’elles parvenaient auparavant à éviter, mais aussi par des mesures mises en place dans les années 2010 qui permettent de mieux identifier les cas de féminicides dans le pays.
La Bolivie pourrait, grâce à ces mesures, paraître avancée en matière de protection et de respect des femmes en comparaison avec les autres pays de la région. En effet, de même que le Mexique, elle applique la parité de genre pour les candidatures au Congrès, pour les assemblées législatives régionales et pour les mairies. Dans ces deux pays, les femmes occupent quasiment la moitié des sièges dans les chambres législatives ; elles sont donc mieux représentées dans les institutions politiques que dans les autres pays de la région. En outre, la Bolivie fait partie, depuis 2010, des pays d’Amérique latine ayant inscrit le féminicide dans leur code pénal.
Mais bien que les femmes soient représentées en politique, les autorités électorales et les organisations de la société civile bolivienne ont reçu des centaines de rapports dénonçant le harcèlement subi par des candidates et des conseillères municipales. Gifles, kidnappings sont autant d’abus pratiqués sur les femmes pour les obliger à renoncer à leurs postes. En 2012, la conseillère municipale Juana Quispe est assassinée après avoir subi une série d’agressions. La Bolivie n’a jamais jugé les responsables.
Alors que les choses ont avancé ces dernières années, voire ces derniers mois dans le reste des pays d’Amérique latine, la Bolivie semble depuis quelques temps en panne d’idées ou en perte de vitesse pour la protection des femmes. Par exemple, un état d’urgence a été déclaré à Puerto Rico au mois de janvier 2021 à cause du nombre effrayant de féminicides sur l’île. On pourrait aussi citer le Chili qui a mis en place une constitution paritaire, une entreprise ambitieuse en matière de protection et même de mise en avant des droits des femmes. Car lorsque l’on aborde le cas des féminicides, il est important de noter que le problème est plus large que celui des femmes tuées : c’est celui des droits des femmes. Les femmes se battent depuis des années en Amérique latine dans l’espoir d’un jour être les égales des hommes, de voir leurs droits être respectés et de s’y sentir en sécurité.
Rendre visible le fléau que représente les violences machistes
Ce sont 787 cas de féminicides qui ont été enregistrés en Bolivie depuis l’adoption de la loi anti-violence. En 2013 est en effet promulguée la loi 348 pour garantir aux femmes une vie libre et sans violence. Approuvée sous le gouvernement d’Evo Morales, elle avait comme objectif de diminuer la violence contre les femmes dans le pays, exercée dans la plupart des cas par leur mari ou leur conjoint. Or, le nombre de cas de féminicides a augmenté depuis 2013 (quasiment une centaine de plus sont enregistrés en 2018, les chiffres passant d’une vingtaine à cent-treize en 2020). Le résultat n’est en définitive pas celui qui était attendu. Néanmoins, le fait que les chiffres soient aussi bas en 2013 et 2014 comparativement aux dernières années peut s’expliquer par le fait que les opérateurs de justice ne qualifiaient alors pas toujours la mort violente d’une femme comme un féminicide et que beaucoup de cas étaient pénalisés sous d’autres catégories de délits. La loi numéro 348 a donc été nécessaire pour rendre visible le fléau que représente les violences machistes, mais les chiffres montrent qu’elle n’est pas suffisante.
Les féminicides entraînent beaucoup de douleur dans les sociétés. Dans le cas de la Bolivie, cela signifie que depuis 2013, au moins 800 foyers ont été détruits et 2 000 enfants et adolescents se sont retrouvés sans mère. Les procédures judiciaires pour les familles des victimes sont encore trop longues, durant parfois de six à sept ans, les processus étant devenus bureaucratiques et douloureux : les administrateurs concernés n’interprètent pas toujours comme il le faut la loi numéro 348 et finissent pas classer les féminicides comme de « simples » assassinats. Ces crimes contre les femmes reçoivent de nos jours une condamnation de seulement 30 ans.
Il faut savoir que le problème des féminicides est structurel dans la société bolivienne, mais aussi dans toute l’Amérique latine. Selon l’ONU, l’Amérique latine recense 14 des 25 pays avec le taux de féminicide les plus élevés et 98 % de ces crimes ne sont pas étiquetés comme tel. Le mot féminicide vient d’ailleurs de l’espagnol feminicidio. En Bolivie, il existe un groupe féministe anarchiste, Mujeres Creando, regroupant des femmes estimant qu’il existe des similitudes entre les modes de surexploitation de l’environnement et d’oppression de genre. Elles se sont par exemple opposées dans la Bolivie de Morales à la construction d’une autoroute qui passerait par la forêt amazonienne dans l’Est du pays et qui déstabiliserait des écosystèmes pourtant protégés. Le slogan de ces femmes : « Ni las mujeres ni la tierra somos territorios de conquista » (ni les femmes ni la terre ne sont des terres de conquête) est révélateur du lien très net sur le continent et ailleurs entre violences sexuelles et saccage de la planète. En Bolivie, comme dans bien d’autres pays, des femmes assimilent ainsi la surexploitation des ressources naturelles à un viol.
Le ministre de la justice bolivienne, Iván Lima, a annoncé récemment que le gouvernement prévoyait de faire quelques ajustements de la loi 348 pour qu’elle soit plus en adéquation avec la réalité du pays. Ce que prévoit de faire le ministre de la justice est important, mais il faut que ce soit fait plus rapidement et que d’autres mesures soient mises en place pour freiner cette « épidémie », car plusieurs fois déjà nous avons vu des promesses faites au peuple ne pas être respectées.