Glauber Severino, Autres Brésil, 9 avril 2019
Ce 7 avril à Rio de Janeiro, Evaldo dos Santos Rosa, un musicien de 51 ans, conduit sa famille en voiture chez des amis pour y fêter la naissance d’un enfant. Soudain, sa voiture est criblée de balles tirées par des soldats en patrouille dans le quartier de Guadalupe (zone ouest de la ville) : 80 impacts au total. Evaldo arrive in extremis à faire virer la voiture pour protéger sa femme, son fils de sept ans et sa filleule de treize ans, assis à l’arrière. Ceux-ci s’en sont miraculeusement sortis indemnes. Mais le musicien, ainsi qu’un passant, sont tués. Le beau-père d’Evaldo, assis sur le siège passager, a été blessé.
Le commissaire de police responsable de l’enquête a déclaré que les militaires ont vraisemblablement tiré sur la voiture « par erreur ». Après avoir livré plusieurs versions contradictoires, le commandement local a décidé de renvoyer de leurs fonctions dix des douze militaires présents, qui ont également été arrêtés pour violation des règlements. Mais c’est finalement l’état-major brésilien qui décidera d’éventuelles poursuites pénales, comme le prévoit une loi promulguée en 2017 qui exempte l’armée de rendre des comptes devant la justice civile.
Snipers sur les toits et projet de loi instaurant un « permis de tuer » pour la police
Durant les mois de janvier et février 2019, les forces de l’ordre ont été particulièrement meurtrières dans l’État de Rio de Janeiro : 305 homicides « dus à l’intervention d’un agent de l’État » – policier ou militaire – ont été recensés par l’Institut de sécurité publique (ISP), contre 259 pour la même période en 2018, en augmentation de 18 %. Soit plus de cinq personnes tuées par jour par les force de l’ordre ! Sur l’ensemble des 1375 homicides perpétrés à Rio de février à décembre 2018, un quart sont imputables à des policiers et des militaires, selon l’Observatoire de l’intervention. Le chiffre est en augmentation comparé à 2017 [1].
Cette augmentation des homicides perpétrés par les forces de l’ordre intervient alors qu’un nouveau gouverneur dirige l’État de Rio depuis les élections d’octobre 2018 : Wilson Witzel, du Parti social-chrétien (PSC, droite). Ancien militaire de la marine et ex-juge fédéral, il a promis de laisser carte blanche à la police. Proche du lobby parlementaire dit « de la balle », les pro-armes, qui a soutenu la candidature du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro [2], le nouveau gouverneur promeut une politique d’élimination physique des « bandits », préconisant le recours à des snipers, postés sur les points hauts de la ville, pour neutraliser les membres des bandes liées au trafic de drogues.
Ce programme de sécurité publique ultra-violent est soutenu par le président Jair Bolsonaro. Un projet de loi fédérale « anti-crime et anti-corruption » est d’ailleurs en préparation. Il prévoit notamment que les exactions policières puissent être considérées comme de la légitime défense lorsque l’agent des forces d’ordre agit « sous l’emprise d’une peur excusable, de la surprise ou d’une émotion violente ». La mesure est dénoncée par la société civile comme un « permis de tuer », qui ciblera encore davantage les quartiers populaires et la population brésilienne noire, particulièrement visée par les tirs policiers. Une campagne a été lancée par des mouvements sociaux et les ONG contre ce projet, qu’ils jugent totalement inefficaces dans un pays rongé par la criminalité, la corruption, les gangs ou les milices politico-mafieuses souvent liées à la droite extrême et très présentes à Rio.