Luc Duffles Aldon, L’autre Brésil, 5 février 2020
Après les innondations de janvier 2020, les pertes humaines et les dommages physiques causés ne semblent pas pour autant être l’unique résultat d’événements climatiques extraordinaires. Autres Brésils a discuté avec le Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB) pour mieux comprendre le lien entre les crimes de Mariana et Brumadinho et la gravité des innodations.
Depuis le 15 janvier, il pleut abondamment dans tout l’État de Minas Gerais et du Espírito Santo. Près de 200 municipalités sont en état d’urgence. Dans le Minas Gerais, plus de 50 000 personnes ont dû quitter leur maison [1] et on en dénombre près de 15 000 dans l’État du Espírito Santo. [Dernier bulletin de la protection civile de l’État]. Ce sont au moins 65 personnes qui ont été déclarées décédées dans les deux états.
En 2017, le bureau du Procureur de l’État de Minas Gerais a ordonné la mobilisation de 26 expertises techniques (ATI en portugais) indépendantes pour la contamination des bassins du Rio Doce et du Paraopeba. En 2020, les entreprises minières Samarco, BHP Billiton et Vale n’ont rendu que trois d’entre elles opérationnelles. Durant une conférence de presse, convoquée le 30 janvier 2020 à l’Assemblée legislative de l’État du Minas Gerais, le MAB a ainsi mobilisé les différentes expertises disponibles et l’expérience des populations pour dénoncer la responsabilité des entreprises minières.
- Plusieurs études menées par Ambios, Lactec, l’Université fédérale de Ouro Preto et ses partenaires attestent de la contamination des eaux fluviales par les métaux lourds (fer et de manganèse) et de nickel et de cadmium dans l’air à travers la poussière.
- L’étude de Ambios Engenharia a été rendue publique en novembre 2019 lors d’un reportage d’Alice Maciel et Rute Pina pour Agencia Pública. Conduite tout au long de l’année 2018 dans huit districts des municipalités de Mariana – Bento Rodrigues, Camargos, Ponte do Gama, Paracatu de Baixo, Paracatu de Cima, Pedras, Borba et Campinas ; et dans quatre districts de Barra Longa – Barretos, Mandioca, Gesteira, Volta da Capela- en plus du centre-ville. L’enquête, achevée le 22 mars 2019, a été envoyée à Renova et transmise au Secrétaire à la santé de l’État du Minas le 17 mai. Elle est disponible en portugais ici.
- Les populations lancent l’alerte de leur côté au sujet d’une nouvelle contamination du Fleuve São Francisco.
Interviews avec Thiago, membre de la Coordination nationale du MAB
Thiago, peux-tu expliquer brièvement ce qui se passe en ce moment dans l’Etat de Minas Gerais ?
Pour mieux comprendre, il faut savoir que les innondations en période de pluies, de novembre à février, sont fréquentes dans la région. Mais il y a de nombreux aggravants qui s’accumulent.
Les changements climatiques empirent la situation. Ces pluies sont liées aux événements planétaires provoqués par le déforestation en Amazonie et aux incendies en Australie. Dans ce cas précis, ce sont des variations importantes, certaines années, entre période de sécheresse et période d’énormes concentrations de pluies sur un temps court. Elles sont de plus en plus inattendues et c’était notamment le cas cette fois-ci.
Le cycle des pluies a donc changé ?
Ce sont des épisodes de plus en plus extrêmes. Du 15 au 31 janvier, on a enregistré le taux de pluviométrie le plus fort de l’histoire de l’Etat du Minas Gerais. Entre les 24 et 25 janvier, dans la région métropolitaine de Belo Horizonte, la capitale de l’Etat où vivent 3 millions d’habitants (troisième métropole du pays), il y a eu la plus grosse pluie de l’histoire de la ville soit depuis les 112 ans de sa fondation. C’est un mois complètement atypique.
“Au mois de janvier 2020, il est tombé la même quantité de pluie que durant oute l’année 2019.”
Les journaux locaux se penchent également sur l’urbanisation de la métropole.
En effet, les événements climatiques extrêmes, qui sont dans une certaines mesure incontrôlables, viennent frapper un territoire soumis à l’irresponsabilité historique de gestions municipales qui n’ont jamais considéré dans leurs planifications urbaines les cours d’eau et les volumes d’eau qui circulent sur le territoire. En plus, il y a une absence de politique du logement qui provoque l’expulsion de milliers d’habitants vers les périphéries ou vers des aires à risques dans les grandes villes voire de la région métropolitaine de Belo Horizonte. À cela, il faut ajouter la spéculation immobilière qui vient aggraver le contexte.
C’est donc une catastrophe sociale qui a lieu. Plus de 60 personnes sont déclarées décédées dans les états de Minas Gerais et Espirito Santo en raison, principalement d’éboulements de terrains où des gens habitaient en situation de risque. Parmi ces terrains, certains qui n’étaient d’ailleurs pas considérés « en zone à risque » n’ont cependant pas supporté la pression des eaux.
Et cela n’est pas limité à la région métropolitaine. Cela touche aussi d’autres bassins, par exemple ceux du Rio Paraopeba et, surtout, celui du Rio Doce ainsi que celui de ses affluents (Rio Manhuaçu, Rio Matipó et Rio Santo Antonio).
Le MAB dénonce surtout le lien avec les crimes de Brumadino (janvier 2019) et Mariana (novembre 2015) [2]
Car dans le lit de ces fleuves et de leurs affluents, il y a d’énormes quantités de résidus miniers : les conséquences des crimes de Mariana et Brumadinho. De la même manière, et par mécanique des barrages, il y a des résidus qui s’accumulent dans toutes les hydroélectriques construites sur des deux fleuves. Avec la montée des eaux, tous les barrages ont ouvert leurs vannes prolongeant les contaminations dues aux ruptures des barrages de Brumadinho et Mariana Dans le lit du Rio Paraopeba, suite à la rupture du Barrage de Brumadinho, en janvier 2019, ce sont entre 11 et 14 millions de mètres cubes de rejets de minerais qui se sont déversés dans l’affluent Córrego do Feijão. Une bonne partie sont encore “retenus” dans les premiers 10 km du fleuve où une grande structure de contention et de flitrage a été construite. Mais ce sont déjà 1 million de mètres cubes de ces résidus qui ont été déversés dans le Rio Paraopeba jusqu’au barrage de Retiro Baixo. Le fleuve et le barrage sont envasés. Mécaniquement, la montée des eaux, provoquée par les pluies, a obligé l’ouverture des vannes du barrage hydroélectrique de Retiro Baixo et le lâchage des eaux souillées de résidus a provoqué à son tour l’envasement en aval du barrage. Le nouveau barrage atteint est au niveau de l’hydorélectrique de Três Marias : l’embouchure du Fleuve São Francisco.
Nous dénonçons cet envasement des rivières, visible à l’oeil nu, notamment celui du Rio Doce.
Dans le Rio Doce, la rupture du Barrage du Fundão en novembre 2015 a entraîné le déversement de 60 millions de mètres cubes de résidus de minerais qui se sont mélangés à l’eau. C’est ce que l’on appelle “la boue” alors que cela n’en est pas, à proprement parler. Cet envasement est observé au long des premiers 100 km retenus entre le Barrage du Fundao et l’usine hydroélectrique de Candonga dans la ville de Rio Doce. Dans cette usine, près de 10 millions de mètres cubes ont été déposés. Avec le lâchage des eaux, les résidus sont charriés tout au long des 600km de fleuve, en quantité moindre, jusqu’à leur embouchure dans l ’État du Espirito Santo.
Et maintenant, quelles sont vos principales inquiétudes pour les populations ?
Maintenant, c’est principalement la santé de la popualtion qui nous inquiète. Plusieurs études menées par l’Université fédérale de Ouro Preto et par d’autres centres de recherche montrent que les innondations ont charrié l’empoisonnement des rivières jusqu’en zone urbaine comme celles de Colatina, Linhares et la plus grande, Governador Valadares. C’est un cas emblématique dû à la proximité des quartiers périphériques et du fleuve. D’ailleurs, la mairie de Governador Valadares, la plus grande ville de cette région atteinte par les innodations, va porter plainte contre Samarco. Elle dénonce l’aggravation des dommages provoqués par les innondations suite aux résidus déposés par les « boues » lors de la rupture de barrages en amont.
Le deuxième enjeux est celui de l’accès à l’eau potable, en urgence, pour les communautés qui sont sans aucune possibilité. Puis, sur le long terme, celui de l’assainissement pour tout le système urbain. Toutes les eaux sont contaminées par des métaux. Or, à ce stade, les entreprises, soit ignorent la question, soit produisent de la contre-information pour se dédouaner. Mais dans les faits, rien n’est mis en place pour les communautés. Ce ne sont que des maquillages, d’ailleurs coûteux [3]. Vale, en particulier, ne reconnait pas sa responsabilite et c’est notre rôle de la dénoncer auprès des pouvoir publics et de la forcer à prendre en charge les réparations pour les dommages provoqués.
[1] Selon les informations du 30 janvier, 44 929 personnes avaient quitté leur logement pour aller chez des parents et 8 529 étaient accueillis dans des lieux publics improvisés.
[2] Le crime de Mariana s’est produit il y a trois ans, et ce n’est pas que le « désastre environnemental » décrit : la rupture du barrage a fait qu’une vague parcourt jusqu’à 850 kilomètres jusqu’à la mer et contamine le fleuve et la mer. Personne n’a été condamné à ce jour. C’est d’autant plus un crime que Vale a adopté une stratégie visant à se démarquer du crime, à éviter la culpabilité, en mettant Samarco sur le devant de la scène. Et Samarco a ensuite créé Renova … mais c’est Vale qui est propriétaire de l’entreprise qui a tué des millions de vies. De vies car ce n’étaient pas seulement des personnes qui sont mortes ou gravement intoxiquées, ce sont des millions de vies d’animaux, des plantes. Ce n’était pas une tragédie, une catastrophe ou autre chose. C’est un crime !
[3] Selon le MAB, dans un communiqué de presse du 22 janvier 2020, « il est étonnant de savoir que Vale, après la récidive du crime de Brumadinho en 2019, a distribué plus de R$7 milliards de bénéfices à ses actionnaires en 2019. Ce montant est supérieur à ce qui a été dépensé jusqu’à présent dans les actions de réparation pour les deux crimes dans le Minas Gerais. Les informations selon lesquelles les compagnies minières veulent réduire de 14 fois la valeur globale des services de conseil montrent que ce retard est une décision politique. En 2018, par exemple, la Fondation Renova a dépensé R$ 120 millions pour maintenir l’institution, dépense faite au mépris des décisions prises sur la réparation intégrale.