Chantal Rayes, Libération, 16 novembre novembre 2020
C’est une gifle pour Jair Bolsonaro. La plupart (9 sur 13) des candidats soutenus par le président du Brésil ont mordu la poussière aux élections municipales de dimanche. Un «avertissement» pour le chef de file de l’extrême droite qui compte briguer sa propre succession dans deux ans, estime le quotidien national Folha de São Paulo.
Dans la plupart des 25 capitales d’Etat en lice, des figures issues des partis traditionnels de la droite (qui offre un soutien calculé au Président) ont été élues ou sont en tête pour le second tour du 29 novembre, confirmant l’essoufflement de la vague antisystème qui avait porté au pouvoir, en 2018, l’outsider Bolsonaro, mais aussi des gouverneurs et des parlementaires n’ayant jusqu’alors jamais participé à une élection. En moins de deux ans, la «nouvelle politique» dont se réclamait cette mouvance de droite dure a pris un coup de vieux, marquée par les mêmes pratiques politiciennes et de corruption qui avaient discrédité le «système».
Forte abstention
Plusieurs métropoles ont même reconduit les maires sortants, en bonne part sur leurs efforts pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Il est vrai que les restrictions de campagne imposées par le contexte sanitaire n’ont pas aidé leurs adversaires à se faire connaître. Et que la forte abstention, épidémie oblige, a sans doute pesé aussi.
S’il reste personnellement populaire à l’échelle du pays, Jair Bolsonaro l’est cependant de moins en moins dans les capitales d’Etat, et notamment son fief politique de Rio de Janeiro. Son propre fils Carlos a bien été réélu au conseil municipal, mais avec beaucoup moins de voix qu’auparavant. Pour la mairie de la «cité merveilleuse», c’est un cacique du centre droit, Eduardo Paes, ancien maire de la ville entre 2009 et 2017, qui est sorti du premier tour largement en tête devant le candidat présidentiel, l’impopulaire maire sortant Marcelo Crivella (droite évangélique). Les deux hommes s’affronteront en ballottage.
«Nouvelle gauche»
Mais c’est à São Paulo, capitale économique et plus grande métropole du pays (12 millions d’habitants), que Jair Bolsonaro a subi sa plus sévère défaite. Ici, près de la moitié de la population juge son gouvernement «mauvais», voire «très mauvais». Et son candidat, Celso Russomano, n’est arrivé qu’en quatrième place (10,5% des suffrages exprimés). Pire, le second tour sera disputé par deux de ses opposants : d’un côté, le maire sortant Bruno Covas (Parti de la social-démocratie brésilienne, centre droit) avec 33% des suffrages. De l’autre, le chef de file des sans-logis Guilherme Boulos (20,3%), du Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche), sur lequel s’est reporté l’essentiel du vote anti-Bolsonaro.
La percée de Boulos, présenté comme un nouveau Lula, est un sérieux revers pour la formation de l’ancien président, le Parti des travailleurs (PT), qui a déjà gouverné trois fois la mégapole brésilienne, et le pays entre 2003 et 2016. Son candidat, le terne Jilmar Tatto, a recueilli moins de 9% des voix, le plus mauvais résultat du PT depuis 1988. Une «nouvelle gauche» émerge ainsi des urnes, emmenée par le PSOL, dissidence du PT qui défiera la droite à Belém (Amazonie), ou encore par la communiste Manuela d’Avila, qui s’est qualifiée pour le second tour à Porto Alegre (Sud), certes, avec l’appui du PT.
Fragmentation de l’extrême droite
Le vieux parti de Lula, toujours plombé par ses nombreuses casseroles, n’atteindra le second tour que dans deux chefs lieux (Recife et Vitoria), misant plutôt sur les villes moyennes pour se refaire, après avoir perdu 60% de ses mairies aux précédentes élections municipales, en 2016, qui s’étaient tenues peu après la destitution controversée de Dilma Rousseff, la successeuse de Lula.
Malgré les déconvenues de Bolsonaro, il n’est pas certain que l’extrême droite soit vraiment en recul. Sa fragmentation sur plusieurs partis a en effet dispersé les suffrages, et la composition des nouveaux conseils municipaux dans les 5 564 villes du pays pourrait réserver de mauvaises surprises.