Brésil : tout faire pour libérer Lula

João Sette Whitaker Ferreira, Autre Brésil, 2 septembre 2018

 

Depuis l’incarcération de Lula, les événements se suivent selon le scénario très précis mis en place par la droite brésilienne, dont l’objectif, aujourd’hui plus clair que jamais, est d’empêcher l’ancien président de revenir au pouvoir. Mais ce scénario a apparemment tout prévu, sauf une chose : que Lula, même en prison, voit sa popularité croître jour après jour, au point presque de pouvoir gagner les élections au premier tour, selon les sondages actuels (Lula a environ 38% des intentions de vote).

Le PT – Parti des Travailleurs a, de son côté, mis en place sa stratégie, sous la houlette du génie politique qu’est Lula, qui depuis la prison, réussit tant bien que mal à se réunir avec ses proches. Nous avions déjà anticipé, dans l’article précédent, les principaux éléments de cette stratégie: 1 – maintenir la candidature jusqu’au dernier moment, pour qu’il soit clair, dès que Lula serait empêché de participer à l’élection, qu’il n’est plus candidat non pas parce qu’il aurait accepté sa culpabilité et se serait retiré de plein gré, mais parce que les élites brésiliennes l’ont persécuté avec des accusations insensées avec l’objectif très clair de l’éliminer de la dispute électorale ; 2 – Désigner l’ancien maire de Sao Paulo, Fernando Haddad, comme candidat à la vice-présidence, pour qu’il assume la candidature dans le cas où celle de Lula serait finalement invalidée, ce qui est le plus probable, recevant alors le transfert des votes de Lula, devenant automatiquement un très fort prétendant à la victoire.

Haddad présente l’avantage d’être un politique qui dialogue avec tous les secteurs, étant « acceptable » par certains secteurs de la droite. Ainsi, il est sous-entendu qu’il résoudrait aussi le « problème » Lula que la droite a elle-même créé en l’incarcérant, car seul un président du PT aurait la légitimité de la victoire en l’absence de Lula. Tout autre devra supporter le poids d’avoir l’ombre de Lula qui, de sa prison, aurait eu le double des votes du président élu. Le PT et Lula, sans doute, savent cela très bien. C’est ce qui s’est passé, et Haddad court le pays comme vice d’un candidat qui ne peut pas apparaître en public, car en prison.

La droite et les médias qui la soutiennent sont très inquiets. La stratégie du PT, bien que à haut risque, a de fortes chances de succès. Haddad, dans le « Nordeste », région où Lula fait presque l’unanimité, est reçu comme le prochain président par des dizaines de milliers de manifestants. Les médias cachent ces images, qui cependant courent les réseaux sociaux. Il faut donc décider si Lula pourra ou non apparaître dans le « programme électoral » du PT et de Haddad, émission télévisée quotidienne à laquelle tous les candidats ont droit, et qui commence cette semaine. Mais le résultat de cette décision est connu d’avance. Sans aucune base juridique, les juges qui persécutent Lula essayent de faire supprimer l’image de l’ex-président de toute publicité électorale du PT.

Alors que la loi ne retire pas les droits politiques de Lula, car, souvenons-nous, il n’a pas été condamné définitivement, mais incarcéré après la deuxième instance de son jugement suite à une décision polémique et unique de la Cour Suprême, qui avec cela a tout simplement ignoré la Constitution. Celle-ci garantit en effet le droit de toute personne à rester en liberté jusqu’à la dernière instance de son jugement. Pas pour Lula. Tout cela est très scandaleux, plus encore si l’on observe le jugement qui a conduit Lula en prison, une accusation mal montée autour d’un supposé appartement triplex que Lula aurait reçu en échange de contrats milliardaires avec le géant public du pétrole (Petrobras). Une accusation insensée qui, en plus, est remplie d’imprécisions, accusations infondées basées sur des délations non prouvées, et manipulation des preuves par le juge d’instruction.

Le PT a donc maintenu sa stratégie de déclarer Lula candidat, puisque ses droits politiques ne sont pas annulés. La position du Parti a reçu un énorme renfort après la décision du Comité de l’ONU pour les Droits Humains, qui a officiellement déterminé que le Brésil romprait avec le traité international dont il est signataire s’il ne permettait pas à Lula de participer pleinement à la campagne électorale. De plus, du Pape François (qui a envoyé un représentant rendre visite à Lula) à Adolfo Peres Esquivel, des dizaines de personnalités mondiales se sont prononcées en faveur de Lula, dénonçant la fragilité des accusations et la visible persécution en cours, qui ne vise en fait qu’a l´empêcher d’être candidat.

Les élites brésiliennes ont peur de lui et, comme au temps de la dictature, n’ont que faire de l’opinion de l’ONU ou de qui que se soit. Un journaliste de la Globo, le grand groupe médiatique qui participe activement au Coup d’État, a annoncé sur un programme national que la décision de l’ONU était une « Fake news ». La Globo et les médias, d’ailleurs, contrevenant à la loi électorale et à la Constitution, ne donnent aucune information sur la campagne de Lula-Haddad, et ne les invitent pas aux débats. Ils ont décidé, par eux-mêmes que Lula et Haddad n’en avaient pas le droit.

Cette semaine, le Tribunal Supérieur Électoral a annoncé officiellement que Lula ne pourrait pas se présenter aux élections (quelle surprise!). Sur quelles bases ont-ils décidé cela, puisque du point de vue juridique, la situation de Lula ne lui a pas enlevé ses droits politiques, comme l’a très bien indiqué la commission de l’ONU? Sur la base d’une loi très importante pour notre démocratie, dans le domaine de la justice électorale (et non pas criminelle, dont relève le procès de Lula sur le triplex) que Lula lui-même avait sanctionnée, qui interdit aux personnes ayant été condamnées en deuxième instance, par un tribunal collectif, de se présenter aux élections.

Sauf que si cette loi a été invoquée par les juges du tribunal électoral, ils ont malicieusement ignoré l’un de ses articles, qui dit que cette interdiction peut être éventuellement suspendue s’il existe un recours en appel « plausible » de la part des avocats de défense du candidat. Or, l’appel « plausible » est basé sur le fait que le candidat en question a été emmené en deuxième instance avec le seul objectif de le rendre « jugeable » par cette loi. En effet, tout mène à croire que le jugement de Lula en deuxième instance par un jury collectif, en faisant passer son dossier devant des centaines d’autres qui attendent d’être jugés depuis des années, s’est fait justement pour le faire tomber dans les griffes de cette loi électorale, dans une très visible manœuvre de persécution.  L’appel plausible, enfin, est basé sur le fait que ce candidat reçoit les intentions de vote de près de la moitié de la population brésilienne, pouvant éventuellement être élu au premier tour.

Ne serait-il pas plus salutaire pour la démocratie de considérer « plausible » la volonté démocratique de la population, surtout face à des accusations qui sont fragiles et n’ont même pas été jugées dans toutes les instances? Ne serait-il pas logique d’accepter comme plausible le fait qu’une commission de l’ONU s’est elle-même prononcée sur le sujet?

Mais non, ce serait d’une énorme ingénuité penser que les élites brésiliennes ont mis en place un coup d’État qui se prolonge depuis 2016 et l’éviction de la présidente Dilma, pour empêcher Lula d’être candidat, et qu’elles iraient allègrement tout gâcher maintenant lors du jugement de sa candidature. Alors que dans plus d’une centaine de cas, ces dernières années, le tribunal électoral a jugé « plausible » des recours de candidats leur permettant de se présenter malgré des condamnations (souvent bien plus réelles et graves que celles inventées contre Lula), pour l’ex-président, tous ces faits sont solennellement ignorés.

En même temps, la justice criminelle continue sa persécution implacable, de son côté: cette semaine, une juge auxiliaire du Juge Moro, celui qui poursuit Lula, a décidé que les charges de son jugement sur le triplex seraient de plus de 30 millions de Reais (près de 6 millions d’Euros). Pourquoi? parce que au-dessus de ce montant le condamné, c’est à dire Lula, n’a pas droit de demander à faire évoluer sa peine vers de la prison domiciliaire. C’est d’une cruauté digne de l’inquisition.

Mais le problème de tout cela c’est que, au contraire de tout ce que la droite espère, plus ils le persécutent, plus Lula gagne en popularité. Lula ne sera pas candidat, Lula ne pourra pas se prononcer. Mais les sondages internes qui radiographient les mouvements des électeurs commencent à indiquer que Haddad va effectivement recevoir des tombereaux de votes, et risque fort d’être le prochain président, notamment si l’on considère que les autres candidats dit « de centre » (mais en fait très à droite pour les critères français) eux, pataugent dans les sondages. Ce qui est « acceptable » peut-être pour une partie de la droite, qui voit avec préoccupation la montée de Bolsonaro, candidat ex-militaire de l’extrême-droite fasciste, qui pointe en deuxième position dans les sondages, avec près de 15% de intentions de vote. Mais, une grande parcelle de l’élite brésilienne préfère encore voir l’ascension du fascisme à la possibilité d’une victoire du PT. Y compris, peut-être, les militaires. Le scénario est ouvert et très tendu. Mais une chose est sure, Lula est plus vivant que jamais.

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