Brésil : Pourquoi l’État veut éliminer Lula  

JEAN-MATHIEU ALBERTINI, Médiapart, 1 SEPTEMBRE 2018

Le Tribunal supérieur électoral du Brésil a tranché : l’ex-président Lula ne pourra pas se présenter à l’élection d’octobre, dont il était le grand favori malgré son incarcération. Le Parti des travailleurs n’a plus que 11 jours pour désigner son nouveau candidat.

« Même mon ordinateur est épuisé », lâche un des juges du TSE (Tribunal supérieur électoral) après 11 heures de débats interminables durant lesquelles chaque juge a longuement justifié son vote. Finalement, le verdict est rendu : à six voix contre une, la candidature de Lula est considérée comme illégale et l’ex-président ne pourra pas participer à l’élection. Pour la cour, le cas de l’ex-président, condamné en deuxième instance pour corruption, relève bien de la loi dite du « casier vierge ». Un résultat qui n’a surpris personne.

La seule surprise venait de la décision communiquée à la dernière minute d’incorporer à l’agenda du jour du TSE le jugement sur la viabilité de la candidature de l’ex-président. Une initiative qui ne risque pas de redonner confiance dans le pouvoir judiciaire à une partie de la population, au minimum sceptique sur son rôle dans les rebondissements qui secouent la vie politique du pays depuis plusieurs années. Et ce d’autant plus qu’un verdict aussi important a été rendu un samedi à 1 h 30 du matin. Vu l’heure de la décision, les premiers spots de radio de la matinée ne pourront pas être annulés et seront les seuls de la séquence électorale qui débute aujourd’hui où Lula apparaîtra comme candidat officiel.

C’est d’ailleurs le principal coup dur pour le PT, qui s’attendait au rejet du TSE mais tablait sur un calendrier optimiste permettant à l’ex-président d’apparaître comme le candidat dans les spots de propagande électorale officielle pour y présenter son successeur.

Une défaite bien exploitée

Toutefois, sur les réseaux sociaux, les soutiens de l’ex-président se sont empressés de dénoncer une justice « qui martyrise les délais et les procédures habituelles […] pour éliminer en urgence le candidat le mieux placé dans les sondages ». D’autant que c’est ce même TSE qui avait décidé l’an passé de sauver le mandat de Temer, au nom de la « stabilité politique ». Du pain béni pour le PT, qui a su une nouvelle fois faire d’un jugement un événement politique. « Contre la décision du rapporteur qui interdit à Lula de participer à la propagande officielle, le parti a diffusé sur ses réseaux les spots de campagne de Lula en plein jugement. L’interdiction demandée a seulement servi à attiser la curiosité des internautes », explique Maurício Santoro de l’UERJ (université d’État de Rio de Janeiro). Les vidéos légendées « Regarde ce que le TSE ne veut pas que tu voies » se sont multipliées avant même la lecture du jugement.

Absent des débats présidentiels jusqu’à présent, le PT construit sa communication sur les rebondissements juridiques du parcours de son leader. Le seul vote en faveur de Lula, celui du juge Fachin, qui reconnaît l’inéligibilité de l’ex-président mais considère que le Brésil doit respecter les recommandations de l’ONU, a été largement commenté devant les médias par l’un de ses avocats. Pour lui, « ce vote montre que la décision du comité du droit de l’homme de l’ONU appelant à garantir les droits politiques de Lula malgré sa condamnation n’était pas une simple manigance pour gagner du temps ». Les avocats de Lula peuvent encore déposer des recours devant le STJ (Tribunal suprême de la justice) et le STF (Tribunal suprême fédéral).

Pour le moment, la stratégie du PT de maintenir jusqu’au dernier moment la candidature de son leader semble fonctionner. Les derniers sondages montrent que le report des votes en faveur de Lula vers son vice-président Fernando Haddad permettrait à ce dernier de parvenir au deuxième tour, profitant d’un scénario fragmenté où aucun concurrent ne parvient à dépasser les 20 % d’intentions de vote.

Mais les flottements de la campagne et l’attachement des électeurs à la personne de Lula, bien plus que la fidélité au parti, rendent la stratégie incertaine. Avant cette décision du TSE, chaque jour de gagné avec l’ex-président dans la campagne présidentielle était une victoire pour le PT et moins de votes perdus pour Haddad, quasiment inconnu en dehors de São Paulo. À l’inverse de la plupart des formations politiques, pour le Parti des travailleurs, la grande difficulté n’est pas de conquérir des voix, mais d’en conserver un maximum une fois Lula hors-jeu.

Une petite victoire finale

« Le temps est compté, le PT n’a plus que 11 jours pour désigner son nouveau candidat officiellement, mettre en place une stratégie pour le faire connaître et réussir à transférer les votes de manière efficace à seulement cinq semaines du premier tour », souligne Maurício Santoro. Le Parti des travailleurs a toutefois réussi au dernier moment à obtenir une petite mais importante victoire : contre l’avis du rapporteur de l’action, les juges ont autorisé la présence de Lula dans 25 % des spots de propagande. Même s’il ne pourra y apparaître que comme un simple soutien, et non comme le candidat, c’est très positif pour Fernando Haddad, qui n’aurait normalement eu droit à aucune propagande électorale avant d’être désigné comme le candidat officiel. Malgré tout, la présence limitée de Lula pourra rendre encore plus difficile le transfert des votes vers Haddad.

Grâce à ce demi-succès, le PT, qui ne semblait déjà pas pressé de désigner officiellement le successeur de Lula, peut continuer sa stratégie jusqu’au-boutiste. Si Lula n’est plus le candidat officiel, selon la loi, il est toujours un candidat potentiel tant que tous les recours ne sont pas jugés. La présidente du PT a ainsi affirmé qu’à la suite de « la violence de l’attaque du TSE contre Lula et le peuple qui veut l’élire, le PT va continuer de lutter pour sa candidature ». Car si l’élection présidentielle est centrale, ce n’est pas la seule à venir. Les députés et les sénateurs vont aussi être choisis par la population en octobre. Et pour les pétistes, plus l’ex-président reste dans la course, plus leurs chances d’être élus sont grandes.

Reste à savoir si les déclarations de la présidente du PT sont de la pure rhétorique pour nourrir une communication basée sur l’idée de persécution de Lula ou si le parti souhaite tenter d’arriver jusqu’au premier tour avec lui. Un pari improbable et très risqué, car si la candidature de Lula est invalidée après le 17 septembre, le parti se retrouvera sans candidat.

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