Extrait d’un texte publié par l’International Crisis Group, septembre 2019
Le Burkina Faso est aux prises avec une escalade de la violence insurrectionnelle et un mécontentement social généralisé. L’insurrection islamiste du groupe militant Ansarul Islam continue de faire payer un lourd tribut aux forces gouvernementales dans le Nord du pays, tandis qu’une deuxième zone sensible est apparue en 2018 dans l’Est, qui a subi vers la fin de l’année une série d’attaques dont les auteurs restent inconnus. Un autre mouvement, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), actif dans tout le Sahel, a commis des attentats dans la capitale Ouagadougou et ailleurs. Certaines parties du Nord et de l’Est échappent désormais au contrôle de l’Etat. L’armée burkinabè a commis des exactions qui alimentent la colère locale. Le moral des forces de sécurité est en baisse. Le 31 décembre, l’administration du président Roch Marc Christian Kaboré a déclaré l’état d’urgence dans quatorze des 45 provinces du pays en raison de l’insécurité. Entre-temps, la diminution des dépenses sociales, imputable en partie au coût de la lutte anti-insurrectionnelle et à la baisse des recettes, a provoqué des manifestations dans la capitale. Le 21 janvier, Kaboré a nommé un nouveau Premier ministre, apparemment pour donner un nouveau souffle à sa présidence et avoir le temps de changer de cap avant l’élection présidentielle de 2020. Il est encore trop tôt pour dire si ce changement lui permettra de relever les nombreux défis auxquels son pays doit faire face.
Montée de la violence insurrectionnelle
Les forces de sécurité du Burkina Faso ont du mal à faire face aux attaques croissantes des insurgés, en particulier dans le Nord et l’Est du pays. La violence dans le Nord s’est propagée de la province de Soum, épicentre de l’insurrection du groupe Ansarul Islam, à d’autres provinces, en particulier celle du Sourou. Ansarul Islam continue de lancer des attaques, principalement contre les forces de sécurité. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui opère également dans le centre et le Nord du Mali et certaines zones du Niger, a frappé au Nord du pays, mais il n’est pas certain qu’il ait des liens avec Ansarul Islam. Le 27 décembre 2018, il a revendiqué une embuscade dans le Sourou qui a tué dix gendarmes. Plus tôt, en mars 2018, il avait frappé le quartier général de l’armée et l’ambassade de France à Ouagadougou – la troisième attaque de cette ampleur dans la capitale ces dernières années. Entre-temps, une nouvelle rébellion est survenue dans l’Est, à proximité de Fada N’Gourma, la troisième plus grande ville du Burkina Faso. L’identité des insurgés reste floue, mais ils ont lancé des attaques avec une férocité comparable à celle du groupe Ansarul Islam. Dans l’ensemble, fin 2018, le nombre d’attaques a augmenté tous les mois.
Pour la première fois depuis l’indépendance, les autorités burkinabè ont perdu le contrôle de certaines parties du pays. Dans plusieurs régions du Nord et de l’Est, les tribunaux ont fermé leurs portes, tandis que les policiers et les douaniers ne quittent plus leurs postes parce qu’il est devenu trop dangereux de patrouiller. Huit cents écoles ont fermé. Les insurgés peuvent rassembler les villageois en toute liberté pour proclamer et démontrer leur pouvoir. En même temps, la répression souvent brutale et aveugle de l’armée contre des personnes soupçonnées d’aider les insurgés rend les populations locales encore plus hostiles. Plus de trois cents personnes ont été arrêtées depuis 2016, surtout dans le Nord, et restent en prison pendant des mois sur des bases juridiques ténues. Selon un rapport de Human Rights Watch de mai 2018, « des témoins ont incriminé les forces de sécurité du Burkina Faso pour au moins quatorze exécutions sommaires présumées » dans la région du Sahel. Il est difficile d’évaluer le niveau de soutien dont bénéficient les militants ou même de déterminer quel groupe est responsable de quelles frappes, étant donné que seulement une attaque sur dix environ est revendiquée. Mais les insurgés semblent avoir réussi à canaliser le mécontentement local, fruit de la négligence de l’Etat depuis plusieurs décennies.
Un secteur de la sécurité à reconstruire
Pour combler les sérieuses lacunes des forces armées burkinabè, de longues et difficiles réformes du secteur de la sécurité s’avèrent quasi incontournables. Les problèmes structurels, manifestes depuis longtemps, incluent le manque de communication entre les grades, la rivalité entre les différentes agences, la piètre qualité de la formation, la pénurie d’avions et d’autres moyens de transport et le nombre insuffisant de soldats. En raison du manque d’effectifs, d’une planification inadéquate et du refus de nombreux soldats d’être déployés dans des régions reculées, près d’un tiers du territoire est pauvrement sécurisé.
Les efforts déployés par le passé pour résoudre certains de ces problèmes, à la suite d’une mutinerie déclenchée par des éléments de l’armée en 2011, alors que l’ancien président Blaise Compaoré était au pouvoir, ont brusquement pris fin trois ans plus tard avec la chute de son gouvernement. Depuis, le démantèlement de certaines agences par le gouvernement a créé de nouvelles divisions au sein de l’appareil sécuritaire. En octobre 2015, le gouvernement a officiellement dissous le Régiment présidentiel de sécurité qui, bien qu’étant sans doute la force la mieux entrainée et la mieux équipée du pays, était un symbole de l’ère Compaoré et avait tenté un coup d’Etat le mois précédent. La plus grande partie du régiment a été transférée dans d’autres unités, mais une poignée des effectifs ont déserté et certains responsables prétendent – sans preuve – que d’anciens gardes présidentiels soutiennent les insurgés. Les services de renseignement, auparavant placés sous l’autorité du directeur de cabinet du président Compaoré, sont maintenant divisés en trois unités concurrentes et aussi inefficaces les unes que les autres. Par conséquent, les informations sur les insurrections se font rares ; les forces de sécurité peinent à identifier des ennemis qui se fondent facilement dans la population.
Si la montée de l’insécurité révèle les défaillances des forces burkinabè, elle illustre aussi les carences de la Force régionale conjointe du G5 Sahel. Cette force, dont le Burkina assumera le commandement en 2019, envisage des opérations conjointes impliquant les troupes de ses cinq membres – Mali, Mauritanie, Niger et Tchad en plus du Burkina – pour protéger leurs frontières. Pourtant, bien qu’en 2018 de nombreuses attaques des insurgés aient eu lieu dans les zones frontalières du Burkina Faso, la Force du G5 n’a pas effectué une seule mission conjointe cette année-là dans ces régions. Au lieu de cela, les armées nationales interviennent la plupart du temps séparément, ce qui permet aux groupes armés d’exploiter leur manque de coordination pour passer les frontières en toute liberté.
Bien qu’elle espère passer le relai à la Force du G5 dès que possible, l’armée française a été contrainte d’intervenir à deux reprises en octobre 2018 dans le Nord et l’Est du Burkina contre les activités des militants. L’UE devrait soutenir la mise en place rapide d’une mission conjointe du G5 pour contrôler la frontière entre le Burkina Faso et le Niger, et encourager une meilleure coopération transfrontalière entre les forces armées burkinabè et maliennes. Cela peut se faire avec l’aide de la Cellule de coordination régionale de l’UE, une équipe de conseillers européens en matière de sécurité et de défense basés au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad, qui travaillent en coordination avec les ministères de l’Intérieur et de la Défense de ces pays pour soutenir la planification, l’évaluation des besoins et la communication entre ces pays et le secrétariat du G5.
Dans l’immédiat, le gouvernement burkinabè ne dispose pas de beaucoup d’options pour améliorer la performance de ses forces de sécurité. Reconstruire un appareil sécuritaire efficace doté d’une division de renseignements compétente et de commandos d’élite prendra du temps, de même que renforcer la réactivité opérationnelle du G5. Pour l’instant, l’administration de Kaboré cherche, de façon compréhensible, à obtenir plus d’équipement et des effectifs en renfort, mais le problème fondamental tient probablement autant aux compétences du personnel existant, à son organisation et à l’amélioration du renseignement qu’au manque d’équipement adéquat.
Tensions sociales
Enfin, une dernière menace vient de l’insatisfaction générale des quelque 17 millions de Burkinabè. La misère économique en est l’une des principales causes : 40 pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté, et d’autres pourraient venir s’y ajouter puisque le salaire minimum ne dépasse pas 49 euros par mois et que le coût des biens de première nécessité ne cesse d’augmenter. Près d’un cinquième de tous les Burkinabè souffrent d’insécurité alimentaire. Confronté à des opérations anti-insurrectionnelles coûteuses et à une baisse des recettes du tourisme liée à l’insécurité, le président a bien du mal tenir sa promesse de campagne, formulée en décembre 2015, d’améliorer les conditions de vie. En novembre, le gouvernement a cité l’effort militaire, entre autres, pour justifier une augmentation de 12 pour cent du prix du carburant. A l’appel des chemises rouges, un mouvement issu du monde syndical et de la société civile, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Ouagadougou pour protester contre la hausse des prix. Le gouvernement a finalement accepté de baisser le prix de l’essence le 9 janvier, mais il risque d’introduire d’autres taxes en 2019.
Le président Kaboré a le temps d’agir contre le déclin économique du pays. La pression populaire a forcé deux de ses prédécesseurs à quitter le pouvoir (Maurice Yaméogo en 1966 et Compaoré en 2014), mais Kaboré peut profiter d’une opposition divisée qui n’a pas de chef charismatique et qui, jusqu’à présent, n’a pas su exploiter les difficultés du gouvernement. Sans élection présidentielle avant fin 2020, il dispose d’un laps de temps suffisant pour répondre aux préoccupations des manifestants. L’UE et ses Etats membres pourraient contribuer à désamorcer la colère de l’opinion publique en soutenant financièrement le gouvernement, mais aussi en facilitant le dialogue entre celui-ci, l’opposition et la société civile.