Adrian Murray, Groupe McLeod, 3 juin 2020
La pandémie COVID-19 va-t-elle polariser davantage le Nord et le Sud ? Ou au contraire, favoriser une reprise de la solidarité mondiale ? Malgré les récentes fréquentes déclarations publiques du premier ministre Trudeau, on constate que, malheureusement, nous ne sommes pas tous dans le même bateau.
Au début d’avril, la ministre du développement international, Karina Gould, affirmait que « le virus COVID-19 ne connaît pas de frontières. C’est un signal d’alarme pour que le monde soit solidaire et travaille ensemble. S’il y a un temps pour les pays et les gouvernements de s’entraider et d’investir dans la santé à l’échelle mondiale, c’est bien maintenant ». Dans les faits cependant, le Canada n’a cependant pas augmenté son budget d’aide ni modifié la trajectoire de politique de développement international pour répondre adéquatement à la pandémie. Les déclarations sont une chose. Les engagements concrets sont autre chose. Si le Canada veut être conséquent et respecter ses engagements, il doit prendre des mesures immédiates et importantes pour soutenir les plus vulnérables du monde et faire la transition vers un monde post-pandémique plus équitable et durable.
Une contribution canadienne diminuée
Affaires mondiales Canada (AMC) a fait plusieurs annonces en réponse à COVID-19. Le plus notable est l’ engagement du ministre Gould pour une somme de 159,5 millions de dollars, dont 84,5 millions pour appuyer le programme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres agences des Nations Unies. D’autres annonces d’AMC ont promis 600 millions de dollars de fonds supplémentaires pour l’Alliance pour les vaccins, l’éradication de la poliomyélite, ainsi que d’autres des contributions aux appels humanitaires. Par ailleurs, le Canada a endossé la proposition du G20 pour suspendre temporairement le remboursement de la dette des pays les plus pauvres du monde. Les 159,5 millions de dollars promis par le Canada pour réagir directement à COVID-19 dans le monde représentent toutefois une infime proportion, soit 1,1% des engagements du gouvernement face à la crise (146 milliards de dollars jusqu’à présent). De plus, ces engagements n’ajoutent aucun argent frais au budget du développement international, car ils seront pris à même les fonds déjà alloués à AMC. Les engagements du Canada sont par ailleurs bien en-deçà de plusieurs pays (la Norvège par exemple).
La privatisation de l’aide canadienne
Alors que le niveau d’aide du Canada stagne, le gouvernement privilégie de plus en plus les partenariats avec le secteur privé, réaffectant souvent les fonds d’aide à des initiatives douteuses. Or cette approche en faveur de la privatisation, partagée par plusieurs donateurs et prêteurs internationaux, sape les moyens de subsistance et entrave la mise en place d’un système public de soins de santé, d’eau et d’assainissement et d’autres services essentiels. Aujourd’hui, selon Oxfam, du fait de la pandémie, dans un contexte de services publics inadéquats, de chômage généralisé, de travail précaire et de dette montante des ménages, un demi-milliard de personnes risquent de tomber dans la pauvreté dans les pays en développement.
Que faire ?
Des pays partout dans le monde ont mis en œuvre des plans massifs pour lutter contre la pandémie, notamment des investissements publics dans la santé et les services connexes et des transferts monétaires aux résidents, le tout soutenu par des mesures fiscales et monétaires longtemps considérées comme impossibles ou inacceptables. Même des pays dotés de ressources relativement modestes comme le Vietnam, Cuba et l’État indien du Kerala ont réussi à limiter la propagation du virus, à mettre en place des réponses de santé publique rapides et efficaces, tout en apportant une solidarité matérielle au-delà de leurs frontières. Jusqu’à date, la réponse mondiale du Canada manque la cible. Pourtant à court terme, plusieurs mesures seraient pensables :
- Décréter l’annulation de la dette, pas simplement un moratoire sur les paiements, tenant compte que 41 pays dépensent actuellement davantage pour le service de leur dette que pour les soins de santé.
- Mettre en place une nouvelle architecture financière pour éliminer la fuite des capitaux et lutter contre l’évasion fiscale, augmenter la mobilisation des ressources des pays du Sud.
- Orienter de nouveaux investissements d’aide vers un développement durable donnant la priorité à la santé humaine et écologique des personnes et des communautés par rapport au profit, c’est-à-dire en soutenant la fourniture universelle de services publics essentiels.