Brian Champ et Michelle Robidoux, extraits d’un texte paru dans International Socialism, 10 avril 2021
Au début de 2020, une lutte des peuples autochtones Wet’suwet’en contre les tentatives de construire un gazoduc à travers leur territoire non cédé a déclenché une vague de solidarité spectaculaire à travers le Canada. Pendant près d’un mois, le trafic ferroviaire de marchandises et de passagers s’est arrêté alors que le mouvement #ShutDownCanada se propageait à travers le pays. La dynamique de la résistance autochtone aux empiétements sur leur souveraineté et la solidarité de masse par des non-autochtones – y compris des travailleurs organisés – a captivé l’imagination de milliers de personnes à la recherche d’une stratégie face à une crise climatique accélérée.
Ce mouvement s’inscrit dans un contexte global de luttes face aux pratiques destructrices des industries extractives. Les peuples autochtones sont à l’avant-garde de ces luttes, de l’Australie à l’Amérique du Sud et à l’Afrique. Sur l’île de la tortue –le nom donné par certains peuples autochtones au continent nord-américain – cela est visible dans la bataille de Standing Rock contre le pipeline Dakota Access, la lutte réussie contre les pipelines Northern Gateway d’Enbridge, l’opposition massive au pipeline Énergie Est et la victoire de le peuple inuit de Clyde River contre les tests sismiques pour le pétrole dans l’Arctique.
Pourtant, à chaque progrès pour arrêter de tels projets, les forces de droite tentent d’élargir les divisions entre les peuples autochtones, les militants pour le climat et la classe ouvrière multiraciale en général. Ces divisions, étayées par des siècles de colonialisme qui ont structuré les relations entre les peuples autochtones et les colons, peuvent soudainement exploser. À la mi-septembre, lorsque les pêcheurs mi’kmaq ont exercé leurs droits issus de traités en plaçant des casiers à homard dans la baie de Fundy, ils ont été attaqués par des pêcheurs non autochtones qui ont percuté leurs bateaux, coupé leurs casiers, détruit leurs véhicules et incendié un livre de homard. Le gouvernement fédéral a siégé et laisser cette interprétation de la violence coloniale jouer, comme la police le regarder se dérouler. Malheureusement, la plupart des pêcheurs non autochtones qui mènent ces attaques sont des Acadiens francophones, dont les ancêtres n’ont survécu qu’à la faim, à la maladie, à un climat rigoureux et à la politique britannique de la terre brûlée grâce à l’aide des Mi’kmaq.
La lutte Wet’suwet’en et celle de la communauté mi’kmaq de Sipekne’katik reflètent la polarisation que le chaos climatique accéléré, la crise économique et la pandémie de Covid-19 se sont intensifiés. Les attaques en cours contre les peuples autochtones nous rappellent quotidiennement que la violence et la cruauté coloniales sur lesquelles le Canada a été fondé se poursuivent aujourd’hui.
Colonialisme sur l’île de la tortue
Les États coloniaux du Canada, des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, tels qu’ils existent aujourd’hui, partagent une culture majoritairement anglo-européenne parce que le colonialisme a décimé les populations autochtones qui existent depuis des milliers d’années. Même si de nouvelles vagues d’immigration modifient la composition de la population canadienne, le résultat des politiques génocidaires historiques et en cours signifie que les peuples autochtones sont maintenant une petite minorité sur leurs terres ancestrales.
Pourtant, malgré une oppression féroce, les peuples autochtones ont joué un rôle énorme dans les principales batailles environnementales, défendant leurs terres contre des mégaprojets destructeurs. Grâce à des siècles de résistance, les peuples autochtones ont gagné des formes de régime foncier et de statut juridique dans le cadre colonial. Les entreprises ou les gouvernements qui souhaitent installer une mine, construire un pipeline ou s’engager dans l’exploitation forestière sur des terres autochtones ne peuvent ignorer cette position. Sur l’île de la Tortue, l’écologisme militant fait partie intégrante de nombreuses luttes autochtones. Cette perspective découle en partie d’une relation continue avec la terre, car de nombreux peuples autochtones dépendent encore de la chasse, de la pêche et d’autres activités de subsistance. Cependant, même si bon nombre d’entre eux conservent encore des liens étroits avec la terre, plus de la moitié des Autochtones du Canada vivent dans les centres urbains. Les politiques brutales de dépossession qui ont créé et maintenu l’État canadien ont rompu les relations de nombreux peuples autochtones avec la terre. La mémoire communautaire organique des idées d’égalitarisme et de réciprocité qui caractérisaient les sociétés autochtones précoloniales a été renforcée et revigorée par la lutte. L’affirmation de traditions et de cultures qui contrastent fortement avec le capitalisme inspire de nombreux militants qui rejettent la destruction incontrôlée produite par le capitalisme et considèrent la décolonisation et la solidarité comme la clé pour contester cela.8
«Arrêtez le Canada»
Le mouvement électrisant pour #ShutDownCanada est né en réponse à l’invasion des terres autochtones dans le nord de la province maintenant appelée la Colombie-Britannique par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). La police a violemment arrêté les matriarches et les partisans des Wet’suwet’en. Le problème était la résistance des Autochtones à la construction par Coastal GasLink d’un pipeline de plusieurs milliards de dollars qui acheminerait le gaz fracturé de l’intérieur de la Colombie-Britannique vers des installations d’exportation sur la côte du Pacifique. Le peuple Wet’suwet’en habite son territoire depuis au moins 10000 ans et le territoire Wet’suwet’en s’étend sur 22000 km .du nord de la Colombie-Britannique. Pendant des années, les sociétés énergétiques ont cherché à construire des pipelines de l’Alberta à travers cette région de la Colombie-Britannique afin d’expédier leurs produits vers des marchés lucratifs. Les chefs héréditaires de Wet’suwet’en se sont constamment opposés à ces projets – du pipeline Northern Gateway maintenant défait au pipeline Pacific Trails et au projet Coastal GasLink.
À la veille du Nouvel An 2019, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accordé à Coastal GasLink une injonction pour accéder aux terres Wet’suwet’en afin de poursuivre la construction du pipeline. Coastal GasLink avait signé des accords pour le gazoduc avec cinq des six conseils de bande de Wet’suwet’en, dont les dirigeants sont choisis par des élections démocratiques dans des réserves individuelles. Cependant, les chefs héréditaires Wet’suwet’en n’ont jamais cédé leur territoire et les conseils de bande, qui ont un rôle limité dans la gouvernance de six réserves totalisant à peine 35 km 2, n’ont aucune autorité sur le territoire Wet’suwet’en.
En réponse à l’injonction de Coastal GasLink, les chefs héréditaires ont invoqué leur propre loi et expulsé les employés de Coastal GasLink. C’était malgré la menace imminente de violence policière; en effet, un an plus tôt, la GRC avait déployé des tireurs d’élite alors qu’ils encerclaient des défenseurs des terres tout en tentant d’appliquer une autre injonction. Les chefs ont demandé la révocation des permis de construction provinciaux et des pourparlers de nation à nation avec le premier ministre social-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan, le premier ministre du Parti libéral Justin Trudeau et le commissaire de la GRC. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, une coalition du Nouveau Parti démocratique et du Parti vert, venait de devenir le premier en Amérique du Nord à adopter une loi mettant en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Ces droits comprennent l’exigence d’un «consentement libre, préalable et éclairé» des peuples autochtones avant que tout projet affectant leurs terres ou territoires ne soit approuvé. L’encre n’était même pas sèche sur cette loi lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique a prétendu que la situation était hors de ses mains parce que la GRC appliquait une injonction rendue par le tribunal.
La Fédération des enseignantes et des enseignants de la Colombie-Britannique a déclaré au nom de ses 45000 syndiqués:
Nous sommes solidaires des peuples Wet’suwet’en et exigeons que les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada assument leurs responsabilités telles qu’énoncées dans la décision Delgamuukw-Gisday’wa de la Cour suprême de 1997. Nous sommes témoins de ce moment historique où nos gouvernements doivent faire le choix de maintenir cette décision de justice ou de perpétuer l’héritage continu de la colonisation.
Les conséquences du colonialisme
Les peuples autochtones de ce qu’on appelle aujourd’hui le Canada constituent 4,5% de la population totale et sont diversifiés sur les plans linguistique, culturel et géographique. La tentative de l’État canadien d’éradiquer les peuples autochtones n’est pas simplement un phénomène historique – c’est un présent colonial qui se manifeste de multiples façons. C’est ce qu’illustre le rapport 2018 de l’Agence de la santé publique du gouvernement, Les inégalités clés en santé au Canada – Un portrait national Les principales conclusions du rapport sont les suivantes:
-
l’espérance de vie des personnes des communautés inuites, des Premières nations et métisses est de 69,7, 70,5 et 74,8 ans respectivement, comparativement à la moyenne nationale de 81,8 ans;
-
les taux de mortalité infantile sont de 2 à 4 fois la moyenne nationale;
-
le taux de suicide dans les communautés inuites est 6,5 fois plus élevé que la moyenne nationale, ce qui témoigne du désespoir que ressentent de nombreux Autochtones;
-
les taux d’arthrite, d’asthme, de diabète et d’invalidité sont nettement plus élevés que la moyenne nationale, tout comme les taux de maladies infectieuses;
-
Les réserves des Premières nations sont chroniquement mal desservies par les services de santé; et,
-
Les peuples autochtones du Canada connaissent les niveaux de pauvreté les plus élevés. Environ 25 pour cent vivent dans la pauvreté, dont 40 pour cent des enfants autochtones.
En septembre 2020, 63 réserves avaient une directive de santé publique à long terme selon laquelle l’eau potable devrait être bouillie. Le manque d’eau potable, la pénurie chronique de logements décents et la surpopulation ont des conséquences désastreuses. Dans une pandémie, ils sont mortels.
Cette masse de statistiques ne commence pas à raconter l’histoire du racisme systémique profondément enraciné envers les peuples autochtones dans tous les aspects de la société canadienne. La GRC, fondée pour réprimer la résistance autochtone dans les plaines, poursuit sa persécution brutale et souvent meurtrière des peuples autochtones. En Saskatchewan, 62,5% des personnes décédées lors de rencontres avec la police étaient des Autochtones, alors qu’elles ne représentaient que 11% de la population. De 2017 à juin 2020, près de 40% des personnes tuées par la police étaient autochtones.