Todd Gordon, par Against the Current, 1 mai 2019
AGAINST THE CURRENT (ATC) s’est entretenu avec Todd Gordon, co-auteur avec Jeffery Webber de Blood of Extraction: sur les activités minières au Canada et à l’étranger et sur l’impérialisme canadien en Amérique latine. Militant socialiste à Toronto, il est membre du Toronto New Socialists.
ATC : Il semble que le Canada soit impliqué dans les activités minières et les catastrophes environnementales dans Sud. Où se situent ces opérations et qui sont les principaux acteurs de l’entreprise?
Todd Gordon: Le Canada possède la plus grande industrie extractive au monde, avec des mines en exploitation et des actifs d’exploration sur tous les continents. L’Amérique latine est la région dans laquelle les entreprises canadiennes sont traditionnellement les plus présentes. L’internationalisation de l’industrie a été facilitée par le caractère réglementaire des lois canadiennes et, partant, par le rôle central que la Bourse canadienne a joué par le passé dans la mobilisation de capitaux d’investissement.
Les sociétés minières canadiennes les plus tristement célèbres au cours des dernières années sont peut-être Barrick Gold et Goldcorp (récemment rachetées par une société américaine), connues pour leur implication dans des violations des droits de l’homme dans plusieurs pays différents. Mais il y a beaucoup d’entreprises canadiennes, y compris des petites entreprises, dont peu de gens auraient entendu parler, impliquées dans des violations des droits de la personne.
ATC: Où sont les plus importantes confrontations avec les peuples autochtones?
TG: Plusieurs sociétés canadiennes ont été créées au Canada sur des terres autochtones. Ici, ils ont développé leurs compétences en matière de dépossession légale et forcée, de pillage écologique et de contournement des droits des travailleurs.
Sur le plan international, des affrontements importants ont eu lieu avec des peuples autochtones au Mexique, au Guatemala, en Équateur, au Pérou, en Colombie, en Tanzanie, aux Philippines et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, entre autres.
Une étude réalisée dans le cadre du projet Justice et responsabilité des entreprises de la faculté de droit Osgood Hall de Toronto a révélé que, pour la période 2000-2015, des entreprises canadiennes actives en Amérique latine ont été impliquées dans des affrontements qui ont fait 403 blessés.
Les sociétés extractives canadiennes et leurs bailleurs de fonds ne sont presque jamais tenus pour responsables. Ils peuvent exercer une influence dans le pays où les abus se produisent et aucune loi au Canada ne les oblige à rendre des comptes pour les actes de violence perpétrés en leur nom à l’étranger.
À l’heure actuelle, des tribunaux canadiens ont poursuivi contre deux entreprises canadiennes, l’une pour le prétendu recours au travail forcé en Érythrée et l’autre pour son implication présumée dans le viol collectif et le meurtre d’opposants au Guatemala. Les sociétés minières, pétrolières et gazières canadiennes avaient également des liens avec des paramilitaires colombiens.
En cas de catastrophe écologique, telle que des déversements de produits chimiques toxiques, l’entreprise canadienne est rarement pleinement responsable, même si elle est tenue pour responsable.
Le défi le plus efficace contre les pratiques prédatrices de ces entreprises ne vient pas des tribunaux, mais des communautés autochtones qui déploient l’action directe et le sabotage. Dans certains cas, ils ont empêché l’exploitation de mines, comme en Équateur.
ATC: Quels types de mouvements et d’organisations existe-t-il au Canada en solidarité avec les mouvements indigènes résistant à ces opérations mondiales?
TG: Les communautés autochtones sont à l’avant-garde. Les syndicats ont également joué un rôle. Il y a aussi des ONG qui ont fait un travail important de sensibilisation, organisant des tournées à l’étranger pour les Canadiens et essayant de gagner du soutien pour les luttes internationales. Mais je ne dirais pas qu’il y a un mouvement en soi à ce stade, même si la prise de conscience s’est considérablement accrue au cours des deux dernières décennies. Le Nouveau Parti démocratique et les Verts ont formulé des critiques plus cohérentes et le NPD a préconisé une réforme juridique visant les activités internationales des entreprises canadiennes. Les libéraux et les conservateurs n’ont rien fait au gouvernement si ce n’est d’émettre des platitudes autour de la « responsabilité sociale des entreprises ».
ATC: Qu’en est-il du gouvernement libéral Trudeau, avec sa rhétorique respectueuse de l’environnement et ses politiques extractivistes?
TG: Ce sont des hypocrites qui, contrairement aux conservateurs, essaient d’offrir un vernis progressif à leurs politiques. Ainsi, par exemple, ils soutiennent que le gazoduc Trans Mountain, qu’ils ont récemment acheté à Kinder Morgan et qui transportera du gaz naturel de l’Alberta jusqu’à la côte de la Colombie-Britannique via un territoire autochtone, contribuera à réduire les émissions de carbone, car l’Alberta sera plus susceptible de d’accepter des réductions d’émissions si ce pipeline est terminé.
Ils s’efforcent de parler de « réconciliation » avec les peuples autochtones et de reconnaître les injustices du passéMais à un moment donné, ils envoient des paramilitaires pour imposer un blocus sur le territoire autochtone et emprisonner des militants autochtones, comme ils l’ont récemment fait avec les Wet’suwet’en. À l’échelle internationale, ils parlent d ‘« État de droit » et de «responsabilité sociale des entreprises ». Pourtant, tout comme leurs prédécesseurs conservateurs, ils ont refusé d’introduire une loi qui obligerait les sociétés extractives canadiennes à rendre des comptes pour toute violence ou destruction écologique’ re impliqué. Les sociétés extractives canadiennes, appuyées par des investisseurs financiers canadiens (et internationaux), ont une présence mondiale importante et les libéraux appuient pleinement le secteur.
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