Venezuela : misérable échec de l’opposition

A child stands in front of a mural depicting late Venezuelan President Hugo Chavez in Caracas March 4, 2015. On March 5, Venezuelans will commemorate the second anniversary of the death of Venezuela's late president Chavez. The mural reads, "Commander. Independence or nothing." REUTERS/Carlos Garcia Rawlins (VENEZUELA - Tags: POLITICS)

L’Opération Liberté devait être la bataille finale contre le régime de Nicolás Maduro. Mais l’acte III de l’offensive que mène partie de l’opposition vénézuélienne depuis le début de l’année a – semble-t-il – fait un flop. Que s’est-il passé le mardi 30 avril au Venezuela ? Quatre journalistes de El Paístentent de reconstruire le fil des événements.

Francesco Manetto , Amanda Mars , Javier Lafuente , Alonso Moleiro, 9 mai 2019, repris par Barril.info, 11 mai 2019

Peu de personnes s’attendaient à voir une telle image quand à l’aube du 30 avril, Juan Guaidó s’adressa à la caméra. A quelques mètres de lui, en compagnie d’un groupe de militaires résolus, se trouvait Leopoldo López. Le prisonnier politique le plus persécuté par Nicolás Maduro était libre après cinq ans, trois passés en prison et deux assignés à résidence. Tous deux appelèrent la population à descendre dans la rue et les militaires à tourner le dos au leader chaviste Nicolas Maduro. Le jour se levait à peine le mardi 30 avril et le Venezuela se préparait à une nouvelle bataille finale. Il n’en fut rien.

Les événements se succédèrent à un rythme éffréné. Une conspiration visant à renverser Maduro et élaborée durant des mois fut dévoilée dans les heures qui suivirent cet appel . Trahisons, égos et précipitation la firent échouer. Mais ce plan a aussi révélé les fissures croissantes qui affectent l’élite gouvernante chaviste.

Depuis que Juan Guaidó a prêté serment en tant que président intérimaire du Venezuela le 23 janvier et a été reconnu par plus de cinquante pays, les événements se sont accélérés. La pression sur le gouvernement de Nicolás Maduro a été constante, et a connu plusieurs rebondissements. L’objectif a toujours été le même : faire en sorte que le haut-commandement militaire accepte de laisser tomber Maduro. Cet objectif n’a pas été atteint le 23 janvier [quand Juan Guaidó s’est autoproclamé président, ndlr], malgré le fait que l’opposition et les États-Unis aient clairement fait savoir à leurs alliés que la reconnaissance de Guaidó comme président intérimaire entraînerait une rupture dans la hiérarchie militaire. Il n’a pas non plus été atteint le 23 février, lorsque la tentative de faire entrer par les frontières du matériel médical et de l’aide alimentaire a échoué.

Depuis la fin de ce mois, des contacts ont été établis avec l’entourage, tant civil que militaire, de Maduro, selon une douzaine de sources – politiques, diplomatiques et militaires- qui ont été impliquées à différents moments. À partir de leurs témoignages, sous le couvert de l’anonymat, nous reconstituons ce qui s’est passé autour du 30 avril au Venezuela. Pendant tout ce temps, l’opposition a bénéficié de l’appui de nombreux pays, mais toujours avec le soutien et sous l’impulsion de l’administration de Donald Trump. « Si quelque chose montre que nous sommes dans une phase de dénouement et qu’il n’y a pas de retour en arrière, c’est la détermination des Etats-Unis à faire sortir Maduro du pouvoir », affirme une des sources.

La probabilité d’une intervention militaire, répétée à la fois par Guaidó et Washington, a été constamment évoquée sous le prétexte que toutes les options sont sur la table. Cependant, sauf dans les secteurs radicaux de l’opposition et dans la déjà en soi extrémiste administration Trump, cette option a rencontré de la résistance. Si elle n’a pas été exclue, c’est dans une large mesure pour entretenir la guerre psychologique et la pression sur les dirigeants chavistes.

Cette percée au sein du proche entourage de Maduro a permis l’élaboration d’un plan favorisant son départ par une voie institutionnelle. Cela devait se faire par un arrêt de la Cour suprême visant à faciliter la convocation d’élections présidentielles cette année. Selon plusieurs des sources consultées, l’accord a été approuvé par Maikel Moreno, président de cette même Cour suprême , le ministre de la Défense, Vladimir Padrino, ainsi que le commandant de la Garde présidentielle, Iván Hernández Dala. Selon au moins deux sources, le ministre de l’Intérieur, Néstor Reverol, était également au courant.

« Artisanat très laborieux »

Obtenir ce résultat fut une tâche ardue, « un travail d’artisanat très laborieux », pour reprendre les mots de l’un des participants. Le processus a impliqué des gens du Ministère public, des militaires, des gouverneurs et des hommes d’affaires, certains d’entre eux liés aux médias qui ont fait fortune sous le chavisme et que Maduro a protégés ces dernières années.

La pression a été exercée par l’intermédiaire d’anciens militaires des services de renseignements d’Hugo Chávez, qui vivent aujourd’hui hors du Venezuela. « On a pu entrer en contact avec l’entourage direct de Maduro grâce à ses intermédiaires et à des membres de la famille des conspirateurs », explique une source. C’est depuis Miami, la République dominicaine, Bogotá et le Panama qu’a été exercée la plus forte pression. Pour rompre avec Maduro, toutes les parties concernées ont reçu des garanties en cas de chute du dirigeant chaviste, à savoir une amnistie pour d’éventuels crimes, la levée des sanctions états-uniennes [des sanctions individuelles pèsent sur des dizaines de dirigeants vénézuéliens, ndlr] et des facilités pour quitter le Venezuela. Après l’échec de l’offensive, l’envoyé spécial de Donald Trump pour le pays caribéen, Elliott Abrams, a déclaré dans les médias qu’à sa connaissance, il existait un document de garanties en 15 points incluant une sortie « digne » pour Maduro.

« Des gens très puissants ont été cooptés durant tout ce temps et c’est à travers eux que des contacts ont été établis avec des gens de la hiérarchie chaviste », résume l’une des sources. Le feu vert de Vladimir Padrino fut l’un des signes indiquant clairement que l’affaire était dans le sac. Le chef des forces armées a clairement fait savoir aux personnes impliquées qu’il n’était pas disposé à organiser un cuartelazo, un soulèvement, mais qu’il ne s’opposerait pas à une solution institutionnelle. Deux des sources consultées assurent que son engagement était absolu, bien que beaucoup d’autres diffèrent et estiment, au vu de ce qu’il s’est passé, qu’il a agi comme un agent double pour saboter le plan. Padrino, dont les enfants vivent en Europe, aurait, selon l’opposition et le gouvernement américain, le bon profil, en tant membre du régime, pour mettre sur pied un gouvernement de transition ou pour être accueilli en exil dans un pays où se trouvent déjà des membres de sa famille.

Canaux diplomatiques

Le gouvernement américain au courant, des messages ont été envoyés à d’autres pays, comme le Canada, l’Allemagne ou la France, « toujours par des canaux informels », souligne l’une des sources. L’Espagne n’a toutefois pas été informée des détails. La majorité des sources s’accordent à souligner que, d’une manière ou d’une autre, le gouvernement de Pedro Sánchez, bien qu’ayant promu en Europe la reconnaissance de Guaidó en tant que président par intérim, n’arrive pas à générer une confiance totale au sein de l’opposition, car celle-ci considère sa position dans la crise vénézuélienne comme ambiguë. Et ce malgré le fait que Madrid a reconnu Guaidó et a décidé d’accueillir Leopoldo López dans son ambassade.
Sous la pression de la rue du côté de l’opposition et grâce à une solution conçue sur base de la Constitution, la mise en œuvre du plan n’était qu’une question de jours, bien que la plupart des sources nient l’existence d’une date précise pour sa réalisation. C’est pourquoi la surprise fut énorme le mardi 30 avril lorsque Guaidó est apparu à l’aube à côté de Leopoldo López, en liberté, devant la base militaire de La Carlota [située dans l’est de Caracas, ndlr], pour exhorter les gens à sortir dans la rue et les militaires à rejoindre l’offensive. La majorité des personnes consultées sont d’accord pour recourir à une expression très vénézuélienne pour expliquer ce qu’elles ont ressenti : « Nos madrugaron, Ils nous pris de court ». « C’était une erreur d’avancer l’exécution du plan, parce que ce qui s’est passé n’avait rien à voir avec le scénario en cours d’écriture », explique l’une des sources.
Pourquoi López et Guaidó se sont-ils précipités est un autre motif de controverses et de versions discordantes. Dans l’entourage des dirigeants de Voluntad Popular [le parti de Guaidó et Lopez, ndlr], on explique qu’il y a eu des fuites. Deux jours auparavant, Guaidó avait dû suspendre à la dernière minute sa participation à une manifestation à Barquisimeto, capitale de l’État de Lara. La peur d’être arrêté et emprisonné – López a passé trois ans à la prison de Ramo Verde avant d’être assigné à résidence – les a conduits, selon la version de leurs proches, à prendre cette décision. « La probabilité d’une arrestation ne me semble guère crédible s’ils bénéficiaient du soutien de ceux qui, dans le cas de Lopez,le surveillaient [dans sa résidence surveillée, ndlr] et ont aidé à sa libération », affirme une source au courant de la manoeuvre et qui a été avertie de ce qui s’est passé peu avant que Guaidó ne diffuse sa vidéo avec López.
Une autre inconnue est de savoir si les deux dirigeants avaient l’appui des États-Unis. La plupart des sources affirment que ce n’était pas le cas, que c’était une décision unilatérale de López, à laquelle Guaidó a donné son accord en raison de l’ascendant que son mentor a sur lui et qui a été encouragée par Christopher Figuera, le directeur du Service bolivarien de renseignements (Sebin), la police politique, destitué après les événements

D’après le récit diffusé par les protagonistes, les agents des services secrets vénézuéliens ont dressé à López un panorama beaucoup plus positif qu’il ne l’était des intensions du haut-commandement militaire et de la haute administration de l’État de tourner le dos au régime. Dans l’environnement du leader politique, cependant, ils insistent sur le fait que López n’aurait pas fait un pas sans le consentement de l’administration Trump.

Le timing

La présence en première ligne du président de l’Assemblée nationale était cruciale pour lancer l’offensive de López. M. Guaidó, qui a un agenda chargé ces derniers mois, a rencontré jeudi 2 mai des diplomates européens. Il n’aurait pas eu de participation essentielle dans l’opération, surtout dans son timing. « López n’était pas d’accord avec un scénario qui accordait un rôle de premier plan au chavisme », dit une source au courant du processus pour expliquer l’initiative du leader de Voluntad Popular, qui a déclaré avoir été libéré suite à une grâce octroyée par Guaidó aux prisonniers politiques auxquels ses gardiens avaient obéi. Contrairement à la plupart des décisions prises par Guaidó en tant que président de l’Assemblée nationale, aucun document relatif à la prétendue grâce n’a été rendu public dans ce cas. Dans le plan convenu avec les comploteurs chavistes, la libération de López devait être accordée suite à une grâce, mais pas avant le déroulement du plan.
López lui-même, réfugié à l’ambassade d’Espagne à Caracas, a reconnu que sa libération n’a pas eu les effets escomptés. Passé midi, la mobilisation dans la rue n’était pas aussi massive qu’espéré et la fracture du haut-commandement militaire ne s’est jamais produite, bien que le leader politique ait assuré que cette tentative de faire basculer le haut-commandement des forces armées n’était qu’un premier pas et qu’elle n’a jamais été conçue comme une solution définitive.
Le signe le plus révélateur du naufrage de l’opération est survenu après deux heures de l’après-midi, lorsque le gouvernement de Trump, par l’intermédiaire du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, décida de cibler publiquement les trois plus hautes autorités chavistes impliquées dans ce plan : Maikel Moreno, Vladimir Padrino et Iván Hernández Dala. Une source présente dans une partie des négociations préalables avec une partie de la direction chaviste souligne qu’en les nommant,il cherchait à envoyer un message fort. Il était trop tard.

L’avion supposé de Maduro

Peu après l’intervention de Bolton, les Etats-Unis redoublèrent la pression. Le chef de la diplomatie, Mike Pompeo, affirma que Maduro avait un avion prêt à décoller ce même mardi 30 avril pour fuir le pays, mais que la Russie l’en dissuada, une affirmation dont les sources vénézuéliennes doutent de la véracité. Le lendemain, il répéta que l’intervention militaire, bien que non souhaitée par Washington, « est possible si nécessaire ». Le vendredi 3 mai, le Département de la Défense annonça une réunion de haut niveau sur le Venezuela qui fut organisée ce matin-là au Pentagone avec entre autres le secrétaire intérimaire Patrick Shanahan, Pompeo, Bolton, Mike Mulvaney, le chef de cabinet intérimaire de Trump, et Joseph Dunford, chef de cabinet adjoint. Le chef du Commandement sud, Craig Faller, y fit état d’un « large éventail d’options militaires ».
Au moins trois sources, deux politiques et une proche du secteur militaire, ont interprété l’action américaine comme un moyen de maquiller l’échec afin de ne pas devoir l’admettre et éviter de laisser en évidence d’exposer l’opposition qui, à l’époque, cherchait à resserrer les rangs et à transmettre un message d’unité qui était loin de la réalité. Dans de nombreux secteurs, notamment au sein des partis Primero Justicia – de l’ancien candidat à la présidence Henrique Capriles et de Julio Borges, exilé en Colombie – et Un Nuevo Tiempo, les actions de López ont suscité un profond malaise. Le dirigeant de Voluntad Popular est à nouveau récriminé pour avoir précipité et, en l’occurrence, gâché un accord institutionnel visant à formaliser un changement politique et un gouvernement de transition. Selon la plupart des sources consultées, les actions de López, par son empressement à jouer un rôle de premier plan, ont paralysé le plan initial, comme Elliott Abrams lui-même l’a laissé entendre en expliquant que les conspirateurs ne répondait plus au téléphone.
Les principaux membres de l’opposition sont très réticents à commenter ce qui s’est passé le 30 avril. C’est l’hermétisme et l’idée de maintenir l’attention politique sur ce qui vient et de ne pas perdre de l’énergie en lançant des accusations qui prévaut. Certains observateurs, fonctionnaires et dirigeants liés à l’opposition, estiment que, bien que le malaise reste profond chez tous les acteurs et que le gouvernement a serré les rangs autour de Maduro, il y a encore une opportunité de reconstruire un plan de transition. En fait, ces mêmes acteurs – tous critiques à l’égard de chavisme – affirment que, malgré l’échec de l’offensive du mardi 30 avril, elle a montré que Maduro est de plus en plus fragile et que ceux qui étaient prêts à l’abandonner craignent tellement les représailles qu’ils pourraient accélérer toute option favorisant sa sortie. Une personne impliquée au plus haut niveau dans ce processus a eu recours cette semaine à une expression vénézuélienne pour résumer ce qui attend désormais les conspirateurs : « Soit ils courent soit ils grimpent. Ils sont littéralement en train de jouer leur peau ».

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