Raymond Legault, militant du Collectif échec à la guerre. Le texte est paru dans la revue Relations, décembre 2019
Le 4 avril 2019, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) célébrait son 70e anniversaire. Pour marquer l’occasion, Affaires mondiales Canada publiait en ligne un dossier intitulé « Le Canada et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ». On y affirme, entre autres que « Cette alliance politique et militaire a été créée afin de promouvoir la stabilité dans la région de l’Atlantique Nord et de préserver la liberté des populations de cette région dans le respect des principes de la démocratie, de la liberté individuelle et de la primauté du droit (…) L’OTAN est un acteur de premier plan pour la paix et à (sic) la sécurité à l’échelle internationale et elle y contribue activement. Elle fait la promotion de valeurs démocratiques et est attachée au règlement pacifique des différends (…) Elle est la pierre angulaire de la politique du Canada en matière de sécurité et de défense. »
Liberté, démocratie, droit, paix, sécurité, défense… Autant d’aspirations nobles et d’objectifs légitimes dans lesquels se drape le discours officiel d’une organisation qui vise, d’abord et avant tout, le maintien et l’élargissement de l’empire étasunien et de tout le système capitaliste occidental qu’il domine, quitte à mettre à feu et à sang certaines régions récalcitrantes et vulnérables et à mettre en péril la survie même de l’humanité.
Un instrument de guerre et de domination
De 1949 à 1989, l’OTAN a été un instrument de la Guerre froide dominé par les États-Unis. Puis, elle a adopté une nouvelle stratégie de « missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux » – qui entre ouvertement en conflit avec le mandat de l’ONU dont le but premier est de « maintenir la paix et la sécurité internationales[1] ».
L’OTAN a ainsi été, officiellement, à l’origine de deux guerres : la campagne de bombardements contre la Serbie en 1999 (guerre du Kosovo) et la guerre en Afghanistan, débutée en 2001 et qui se poursuit toujours. Dans les deux cas, l’OTAN a précipité l’agression sans autre issue possible. Puis, en 2011, détournant complètement de son objectif une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies visant la protection des populations civiles, l’OTAN a déclenché une guerre contre la Libye, qui a plongé ce pays dans un chaos dont il n’est toujours pas sorti. Et il y a eu ces autres guerres atroces – en Irak et en Syrie – menées par les États-Unis, avec des « coalitions de volontaires » auxquelles plusieurs pays de l’OTAN se sont empressés de participer. Depuis 2014, les déploiements militaires de l’OTAN en Ukraine, en Pologne et dans les pays baltes ne sont pas non plus des gages de règlement pacifique des conflits…
Championne des dépenses militaires et du commerce des armes
Selon un rapport du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 1822 milliards de dollars US en 2018, en hausse – en dollars constants – de 2,6 % par rapport à 2017, et de 76 % par rapport au creux de l’après-Guerre froide en 1998. Les dépenses militaires des membres de l’OTAN (29 pays) se sont élevées à 963 milliards, soit près de 53 % du total mondial (193 pays). À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 36 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des sept autres pays en tête de liste (incluant la Chine et la Russie). Le budget militaire étasunien, adopté par le Congrès pour l’année 2020, s’élève à 738 milliards, comparativement à 610 milliards en 2017, une augmentation de 21 % en trois ans !
Le SIPRI rapporte aussi que les ventes d’armes ont été en constante augmentation dans le monde depuis 2000 et que, pour la période 2014-2018, elles ont augmenté de 7,8 % par rapport à la période 2009-2013. Au cours des cinq dernières années, sept des dix plus importants pays exportateurs d’armes dans le monde étaient des membres de l’OTAN ; leurs exportations ont représenté près de 59 % du total mondial, celles des États-Unis comptant, à elles seules, pour 34 %. Pour la période 2013-2017, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont été respectivement les 2e et 4e plus importants acheteurs de ces armements, qui ont été utilisés dans leur guerre contre le Yémen, entraînant la pire catastrophe humanitaire au monde selon l’ONU.
L’intimidation ultime par le nucléaire
Outre le réchauffement climatique, une autre menace pèse depuis des décennies sur la survie même de l’humanité : les armes nucléaires. À cet égard, le 7 juillet 2017, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires avec 122 voix pour, 1 voix contre et une abstention. Or, 28 des 29 pays membres de l’OTAN (dont le Canada) ont boycotté l’ensemble du processus d’élaboration de ce traité, y compris la séance de son adoption. Les États-Unis leur ont bien fait comprendre que « tant que les armes nucléaires existeront, l’OTAN demeurera une alliance nucléaire[2] » (traduction libre).
Avec une telle posture, les déclarations répétées de l’OTAN prétendant vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », sonnent bien creux.
Deux positions possibles
Il existe, en gros, deux positions dans le « mouvement pour la paix » au Canada concernant la participation du Canada à l’OTAN : exiger son retrait ou l’appeler à y jouer un rôle de leadership positif. Cette dernière position repose, à notre avis, sur une vision irréaliste, le Canada n’étant pas susceptible d’adopter les points de vue progressistes qu’on aimerait le voir défendre au sein de l’OTAN.
Le Collectif Échec à la guerre, dans son fascicule « La militarisation de la politique étrangère du Canada : qui dicte l’agenda ? » (2009), explique qu’on a pu constater, dès 1994, un virage militariste de la politique étrangère canadienne dans le Livre blanc sur la défense du gouvernement de Jean Chrétien qui, déjà, entendait doter le Canada d’une véritable force de combat et prendre ses distances avec l’ONU, en faveur de l’OTAN. Quelques années plus tard, le Canada a pris part à la guerre du Kosovo (1999) et à la guerre en Afghanistan, après les attentats du 11 septembre 2001. Puis, en 2005, le passage officiel aux « missions de combat » est annoncé avec le déploiement des troupes canadiennes à Kandahar et la déclaration du nouveau chef d’État‑major de la Défense, Rick Hillier, à l’effet que l’armée canadienne pourra enfin jouer son vrai rôle, celui de pourchasser « ces ordures et ces assassins détestables » et « d’être prête à tuer des gens »[3].
Cette évolution, qui s’est consolidée jusqu’à maintenant, n’est pas le fruit du hasard. Ses plus ardents promoteurs ont été les grands milieux d’affaires regroupés au sein du Conseil canadien des chefs d’entreprises, qui prônent une intégration économique, politique et militaire de plus en plus poussée entre le Canada et les États‑Unis.
Au cours des dernières décennies, l’expansion des investissements directs des corporations canadiennes à l’étranger a été phénoménale, particulièrement dans le secteur minier – près des deux-tiers des compagnies minières dans le monde sont basées au Canada – mais aussi dans les secteurs pétrolier, gazier et de la construction. Cette expansion fulgurante de même que les politiques qui l’ont favorisée, la corruption qu’elle entretient, les violations de droits et les désastres écologiques qu’elle engendre, les mouvements de résistance qu’elle suscite et la répression qui s’abat sur ces derniers ont fait l’objet de nombreux plaidoyers et de multiples alertes de la part d’ONG québécoises et canadiennes. Des livres importants comme Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique (Écosociété, 2008) et Blood of Extraction, Canadian Imperialism in Latin America (Fernwood Publishing, 2016) en traitent. En quatrième de couverture de ce dernier livre, Noam Chomsky écrit :
« Cette analyse minutieuse et détaillée des politiques économiques et de l’interférence politique du Canada en Amérique latine démontre, dans ses détails brutaux, le rôle prédateur et destructeur d’une puissance impérialiste secondaire opérant au sein du système général de subordination du Sud global aux impératifs de la richesse et du pouvoir des pays du Nord » (traduction libre).
Car c’est d’abord et avant tout pour assurer la protection et l’avancée des intérêts des multinationales canadiennes – et d’un système global qui les favorise – que se déploie la politique étrangère canadienne. Cette politique vise l’ouverture inconditionnelle de nouveaux territoires aux capitaux étrangers, l’accès libre aux territoires et aux ressources, un cadre législatif de redevances, de taxation et de protections environnementales réduit au strict minimum, la possibilité de rapatrier un maximum de profits, etc. Ce dont cette politique a également besoin, ce sont des forces locales (policières, militaires ou paramilitaires) pour réprimer les mouvements de résistance des communautés – souvent autochtones – qui luttent contre leurs déplacements forcés et la destruction de leurs modes de vie traditionnels causés notamment par la pollution de leurs cours d’eau, de leurs territoires, etc.
C’est non seulement toute la diplomatie, mais de plus en plus « l’aide au développement » et les « ententes de sécurité » qui sont subordonnées à cette politique étrangère. Pour en masquer les effets dévastateurs, on vante l’amélioration du niveau de vie des populations grâce aux investissements étrangers, le transfert de l’expertise canadienne en matière de « bonne gouvernance » des ressources naturelles et de l’environnement (!) et la « conduite responsable des entreprises ».
C’est de toute cette sombre logique que découle le rôle majeur qu’a joué le Canada dans le coup d’État qui a renversé le gouvernement Aristide en Haïti, en 2004, et le rôle tout aussi important qu’il joue maintenant dans la tentative ouverte et soutenue de renverser le gouvernement Maduro au Venezuela. Sans parler de ses ententes de sécurité avec la Colombie – le pire pays d’Amérique du Sud pour les violations des droits de la personne – ou de sa reconnaissance immédiate du gouvernement issu du coup d’État au Honduras, en 2009, et de son prolongement lors des élections frauduleuses de 2017. Après ce coup d’État, les investissements des sociétés minières canadiennes au Honduras ont littéralement explosé…
Les principaux pays regroupés au sein de l’OTAN ont des intérêts semblables à défendre et des politiques étrangères similaires. C’est pour cela que l’OTAN est « la pierre angulaire de la politique du Canada en matière de sécurité et de défense » et non pour assurer la protection de ses citoyennes et de ses citoyens, la liberté et la démocratie.
Conclusion
Pour la paix et la sécurité réelle de toutes les personnes vivant sur la Terre, il n’y a rien de bon à attendre de l’OTAN et rien à attendre du Canada en son sein. Exiger le retrait du Canada de l’OTAN permet de dénoncer le caractère dominateur et destructeur de cette organisation et d’attirer l’attention sur la menace de guerre nucléaire que la stratégie de l’OTAN accentue. Cela permet aussi de démasquer le rôle néfaste que joue le Canada dans le monde, le mensonge derrière ses discours bienveillants et les raisons véritables de sa participation à l’OTAN, en affirmant haut et fort notre attachement à un ordre international fondé sur le droit, que les actions et l’expansion de l’OTAN mettent de plus en plus à mal.
Comme pour le réchauffement climatique, l’enjeu est global et concerne la survie même de l’humanité. Les ressources énormes présentement détournées dans les guerres et la production d’armements pourraient être réappropriées pour contribuer non seulement aux vastes projets de reconversion indispensables ici pour contenir le réchauffement mais aussi, dans une perspective de justice climatique, pour aider les pays les plus durement touchés qui n’ont qu’une responsabilité minime dans le problème et des ressources limitées pour en affronter les conséquences. La sécurité réelle, à l’échelle planétaire, ne pourra venir que par le désarmement nucléaire, le démantèlement de l’OTAN, des autres alliances militaires et des complexes militaro-industriels. Cet objectif gigantesque ne pourra se réaliser qu’en s’affranchissant des discours alarmistes de nos dirigeants sur tous les prétendus « dangers » qui nous guettent.
[1] Voir Raymond Legault, « L’OTAN, le bras armé des États-Unis », Relations, no 770, février 2014.
[2] United States Mission to NATO, Defense impacts of potential United Nations General Assembly nuclear weapons ban treaty », 17 octobre 2016.
[3] JTF2 to hunt al-Qaeda, The Globe and Mail, 15 juillet 2005.