Pablo Parry
Article publié par Revista de Frente, le 13 avril 2020 (traduction par À l’Encontre)
Dans un long entretien avec la Revista De Frente, l’historien Sergio Grez réfléchit à la «rébellion populaire» chilienne initiée en octobre 2019 et à son «adaptation» aux conditions de la pandémie.
Comment caractérisez-vous ce qui s’est passé au Chili depuis le 18 octobre de l’année dernière: «rébellion populaire», «explosion sociale», «révolution»?
Sergio Grez: Le terme «explosion sociale» est imprécis, car il ne rend pas compte de l’ampleur, des caractéristiques et du contenu de ce qui se passe au Chili depuis le 18 octobre 2019. Il peut tout au plus être utilisé pour désigner le moment initial de ce mouvement. Car «explosion» renvoie à l’idée d’une explosion inorganique de troubles sociaux, un simple déchaînement passionnel, un «éclatement» de plus comme tant d’autres dans l’histoire, un mouvement éphémère dont la signification politique – si elle en a une – est très difficile ou impossible à lire. Ce n’est pas ce que nous vivons.
Bien que son origine ait été absolument spontanée (personne ne l’a planifiée, organisée ou convoquée), en quelques jours, il est apparu clairement que l’ensemble des revendications soulevées par des millions de personnes, qui s’exprimaient de manières très différentes dans tout le pays, avait pour horizon commun le rejet du néolibéralisme, de l’Etat subsidiaire, de l’inégalité et des abus des grandes entreprises et des hommes politiques professionnels, exigeant en contrepartie des droits sociaux universels garantis par l’État.
De même, le mouvement en cours a rapidement exprimé sa demande de modification de la Constitution par le biais d’une Assemblée constituante libre et souveraine. Ces traits de politisation évidente nous permettent de caractériser ce mouvement persistant (lorsque la pandémie Covid-19 a commencé, il avait cinq mois d’existence) comme une rébellion populaire, et non comme un simple «éclatement», encore moins comme de simples «émeutes». D’autre part, la notion de révolution politique ne s’applique pas, ou pas encore, car aucun changement fondamental dans la structure du pouvoir n’a eu lieu, pas même des réformes profondes.
Nous ne pouvons pas non plus utiliser le concept de révolution sociale, car il implique une transformation profonde des relations sociales qui peut également impliquer la prise du pouvoir politique, ce qui se produit souvent après de longues périodes. Comme l’issue du grand affrontement de forces qui se développe dans ce pays est encore incertaine, il me semble non seulement inutile mais aussi imprudent d’utiliser de façon lâche des concepts qui, au lieu de rendre compte avec précision de la réalité, ne sont que l’expression des souhaits de ceux qui les inventent et les font circuler. Les spécialistes des sciences sociales, les historiens et les analystes politiques sont toujours obligés de «courir après les événements». Et c’est inévitable. C’est pourquoi il est préférable d’être prudent et de ne pas porter de jugements risqués qui ne prennent pas appui sur des bases empiriques et théoriques solides, car la réalité finit par nier, voire par ridiculiser, certaines conceptualisations non durables. Je ne peux que rappeler avec un peu d’ironie que pendant la période mouvementée de 2011, de nombreuses personnes, y compris des universitaires de renom, soutenaient, de manière très discrète, que la situation était «révolutionnaire» ou du moins «prérévolutionnaire».
Quelle est votre évaluation du processus constitutionnel promu par Michelle Bachelet?
Le «processus constituant» de Bachelet [pour rappel, la Constitution en vigueur alors s’inscrivait dans la foulée de celle instaurée par Pinochet, valide de 1973-1990] n’était rien d’autre qu’une manœuvre politique raffinée visant à empêcher l’expression de la souveraineté populaire par la convocation d’une véritable Assemblée constituante; cela en plaçant la direction du processus dans les mains des mêmes forces sociales et politiques qui avaient administré le système néolibéral pendant un quart de siècle.
Dès le début, nous avons souligné l’infaisabilité de ce «processus» en raison de la subordination du processus proposé par Bachelet à des quorums supra-majoritaires inatteignables [sans des deux chambres] établis par la Constitution du dictateur pour sa propre réforme [1].
Rappelons certains des axes proposés par l’ancienne présidente. Le Congrès national en place à l’époque, élu sur la base du système électoral binominal, devait permettre au prochain Parlement (qui entrerait en fonction en mars 2018) de décider, par un quorum de trois cinquième: de quatre alternatives, du mécanisme de discussion du projet que son gouvernement enverrait et des formes d’approbation. Les alternatives fixées par Bachelet, en octobre 2015, étaient: une Commission bicamérale de sénateurs et de députés; une Convention constituante mixte de parlementaires et de citoyens; la convocation d’une Assemblée constituante ou, en l’absence des précédentes, que le Congrès convoquerait un plébiscite, afin que les citoyens et citoyennes décident.
Quelques heures après l’annonce de la présidente de l’époque [Michelle Bachelet est Présidente du 11 mars 2014 au 11 mars 2018], nous avons estimé que les quatre alternatives proposées n’en étaient pas une puisque l’Assemblée constituante avait, en fait, été écartée. L’inclusion des alternatives purement décoratives – outre qu’elle a permis de gérer les tensions au sein de la nouvelle majorité (avec les quatre alternatives proposées, tous ses membres étaient plus ou moins satisfaits) – n’était qu’un élément ornemental destiné à séduire les naïfs et à permettre à l’aile «gauche» de la coalition gouvernementale de continuer à conserver une certaine légitimité aux yeux de ses partisans.
Au début du second semestre 2017, Michelle Bachelet a promis de soumettre le projet de la nouvelle Constitution au Congrès national afin que, une fois approuvé par ce pouvoir, il soit soumis à un plébiscite contraignant pour ratification par les citoyens. Rien de tout cela n’a été réalisé, seules des «rassemblements de citoyens» formatés par la Moneda (pouvoir présidentiel) et absolument impuissants (car non contraignants) se sont tenus. Et un projet de la nouvelle Constitution, préparé par ses conseillers, a été envoyé au Parlement moins d’une semaine avant que la présidente ne quitte son poste, en mars 2018.
Avec l’appui du réseau Forum pour une Assemblée constituante, nous avons publiquement remis en question tout ce processus, en soulignant qu’il n’était pas approprié que son centre soit le Parlement, puisque le pouvoir constituant ne réside pas dans ce pouvoir constitué, mais dans les citoyens.
Nous avons également souligné le caractère purement décoratif des «cabildos» («rassemblement citoyens») promus par le gouvernement, ainsi que l’impossibilité pour Bachelet de s’imposer face à un quorum supra-majoritaire. Cette option, disions-nous, s’explique par sa volonté de remettre à la droite classique une part importante du pouvoir de décision afin qu’aucune modification constitutionnelle fondamentale n’intervienne. Et de la sorte, de continuer à préserver le modèle d’économie et de société co-administré depuis 1990 par les deux parties du duopole [les deux coalitions de droite et de «gauche»] en place.
Ainsi, les défenseurs du statu quo ante présents dans le camp «progressiste» pourraient présenter, comme prétexte pour ne pas apporter les changements tant attendus par la population, l’argument éculé de «ne pas avoir les majorités parlementaires nécessaires». Cela leur servirait également à appeler une fois de plus les électeurs à voter pour leurs candidats afin d’obtenir une majorité parlementaire axée sur la réforme, même en utilisant l’alternative de l’Assemblée constituante comme simple argument électoral afin de gagner des voix. Le résultat de ce processus a prouvé la validité de notre analyse.
Comment interprétez-vous le remplacement du terme «Assemblée constituante» par celui de «Convention constituante» effectué par l’«Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution» du 15 novembre 2019 et par la réforme constitutionnelle de décembre 2019 qui a conçu «l’itinéraire constituant» officiel?
Le terme d’Assemblée constituante n’a pas été inclus dans l’«Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution», ni dans la réforme constitutionnelle ultérieure publiée le 24 décembre 2019 parce que, dans les faits, les parlementaires, les conseillers constitutionnalistes et les dirigeants politiques qui ont promu l’itinéraire constitutionnel officiel n’avaient pas, et n’ont pas, dans leurs projets la convocation d’une Assemblée constituante libre et souveraine.
Le nom même de l’«Accord» du 15 novembre – littéralement annoncé au milieu de la nuit – indique avec clarté que le premier et principal objectif de cette Entente Cordiale était la «paix sociale», c’est-à-dire la préservation du modèle économique et social existant (avec plus ou moins de réformes, selon la façon dont on le lit).
Il s’agit d’une manœuvre désespérée de la caste politique pour démobiliser les millions de personnes qui, depuis le 18 octobre 2019, ont continué – malgré la dure répression – à exprimer leur protestation et leurs revendications dans les rues.
La promesse d’un processus constituant a été l’élément clé pour tenter d’atteindre cet objectif. Mais il ne s’agit pas d’un processus constituant dans lequel le libre déploiement du pouvoir constituant initial serait facilité, mais d’un processus défini, formaté et limité par le Parlement par le biais de l’imposition d’un quorum de 2/3 pour l’approbation des motions dans le futur organe chargé de rédiger le projet de la nouvelle Constitution. A quoi s’ajoute l’énumération de sujets tabous qui ne pourront pas être traités par cet organe (comme les traités internationaux signés par le Chili).
Ainsi, même l’alternative la plus «progressiste» prévue pour le plébiscite du 25 octobre 2020 – la Convention constitutionnelle – sera loin d’être une Assemblée constituante libre et souveraine. À moins qu’une majorité effectivement progressiste des élus à cette occasion n’ait le projet et le courage politique de le faire au moment de sa formation.
Un changement constitutionnel est-il possible sans l’accord des élites politiques et commerciales? Que révèle l’expérience historique nationale? Nous aimerions que vous fassiez référence en particulier à la tentative ratée de pousser à la création d’une Assemblée constituante sous le premier gouvernement d’Arturo Alessandri Palma [son premier mandat présidentiel se prolongea de mai 1920 à juillet 1924].
Le comportement des élites économiques et politiques du Chili a été fondamentalement le même sur ce plan tout au long de plus de deux siècles d’histoire républicaine. Ils n’ont jamais permis que la souveraineté soit exercée par son détenteur nominal, le citoyen. Ils ont toujours assumé leur souveraineté au moyen de différents stratagèmes: vote par recensement, intervention électorale, corruption, processus constitutifs truqués, pression plus ou moins directe de la force militaire, etc. En 1924, ce ne sont pas seulement les élites économiques et politiques (les «vieux du Sénat» comme les avait apostrophées le président de la république), c’est Alessandri Palma lui-même qui, oubliant sa promesse de convoquer une Assemblée constituante a nommé «selon son choix» deux commissions, dont une seule a travaillé, présidée par lui-même. Elle s’est, en fait, transformée en une pseudo-constituante, selon les critères du chef de l’État et de ses conseillers.
Comme si cela ne suffisait pas, le président a conduit l’inspecteur général des armées (commandant en chef à l’époque) à faire pression sur les membres de la commission pour qu’ils suivent l’itinéraire et le contenu du projet de Constitution proposé par Alessandri Palma. Ainsi, la Constitution politique de 1925 a été approuvée par un plébiscite organisé, dans un délai de seulement un mois, sous la pression de l’armée et avec la participation de seulement 42,18% du corps électoral réduit de l’époque (seuls les hommes alphabétisés de plus de 21 ans ont voté).
Bien que cela ait été la tendance dominante des processus constitutionnels tout au long de notre histoire, il est clair que depuis le 18 octobre 2019, une situation sans précédent s’est créée dans laquelle, pour la première fois, il existe une possibilité réelle que la majorité des citoyens réussissent à imposer un processus constitutif démocratique, en créant les conditions pour que cela soit possible grâce à une mobilisation continue et une stratégie politique appropriée.
De nombreuses personnes dans le camp populaire considèrent une nouvelle constitution comme une «ligne de conduite» qui devrait mettre fin (ou du moins les délimiter) aux privilèges excessifs de l’élite dominante au Chili, et ainsi progresser vers le dépassement du modèle néolibéral. Partagez-vous cette vision du processus constituant?
Sergio Grez Toso
Toutes les constitutions sont l’expression de certaines corrélations des forces sociales et politiques, y compris les dispositions qui semblent faire l’objet d’un consensus général, car les interprétations que les différents acteurs font de la lettre d’un même texte diffèrent souvent. C’est pourquoi la Constitution, comme la législation en général, est un sujet de litige permanent. Une nouvelle Constitution au Chili – quel que soit son contenu – serait l’expression d’un rapport de forces, de la capacité de chacun des acteurs de regrouper des forces qui correspondent à leurs intérêts et orientations respectifs, afin que s’expriment une volonté et un soutien.
Comme il est logique de le supposer, aucun bloc ne sera en mesure d’imposer l’ensemble de son programme – allant de ses prémisses jusqu’à tous ses principes – ce qui nous permet de prévoir que le nouveau texte constitutionnel (s’il est un jour mis en œuvre) constiturea «un nouveau champ» dans lequel une partie importante des futures luttes sociales et politiques se dérouleront. Cela nous permet de percevoir l’importance de l’affrontement sur le contenu d’une nouvelle Constitution. Les grandes majorités, les secteurs populaires et progressistes en général, sont objectivement intéressés à conquérir le contenu de la nouvelle Constitution qui établira le plus grand nombre de droits sociaux garantis par l’État, ainsi que la plus grande extension possible de la démocratie.
Comment interprétez-vous le comportement erratique du président Sebastián Piñera, ses provocations quelque peu inutiles, par exemple, ses déclarations de «guerre» ou son apparition sur la Plaza de la Dignidad, en pleine quarantaine imposée aux communes entourant ce site emblématique?
Je ne suis pas psychologue ou psychiatre, je préfère donc me référer aux conditionnements économiques, sociaux, culturels et politiques qui peuvent nous permettre d’expliquer son comportement. En ce sens, l’appartenance de Piñera aux 0,1 % de personnes les plus riches du pays est le principal paramètre qui explique sa ferme défense du statu quo ante, même au prix d’une répression qui le placera dans l’histoire nationale comme l’un des personnages les plus exécrables, étant dépassé par très peu d’autres. Son appartenance au secteur microscopique des ultra-privilégiés – les «propriétaires du Chili» – et son expression politique par excellence – le droit «classique» – est le principal élément qui explique sa «cécité politique». Rappelons que non seulement Piñera mais aussi tout son secteur social – même au-delà de ces frontières – c’est-à-dire la majorité de la caste politique a été surprise par «l’explosion sociale» d’octobre parce qu’elle croyait que rien ne permettait de la prévoir.
Contrairement à de nombreux leaders sociaux et intellectuels critiques qui pendant longtemps – sans savoir le moment précis ni la forme qu’elle prendrait – soutenaient (nous soutenions) que tôt ou tard il y aurait une grande «explosion sociale». Un «éclatement» ou une explosion qui, dans ce cas, fut plus que cela, puisqu’elle a débouché sur une rébellion populaire soutenue. L’élite économique et politique, enfermée dans son monde de richesses, de privilèges et de pouvoir –croyant vivre dans «l’oasis de l’Amérique latine» – n’a pas vu venir ce qui se préparait dans les tréfonds de la société. Elles ne pouvaient pas et ne voulaient pas le voir. Piñera est l’expression la plus pure de ce phénomène, un exemple de plus de la façon dont certains intérêts et idéologies sociales peuvent agir comme des voiles ou des fausses consciences qui empêchent des visions plus ou moins lucides de la réalité. Ses traits de personnalité psychopathiques et son narcissisme exacerbé ont fait le reste.
Que va-t-il se passer maintenant, compte tenu du tournant brutal – la pandémie – intervenu depuis la mi-mars 2020 et du report du plébiscite constitutionnel?
La situation politique nationale est imprévisible car nous sommes confrontés à un scénario instable, fluide et très complexe qui va probablement se poursuivre pendant longtemps.
A partir du 18 octobre 2019, le Chili est entré dans une période prolongée – deux ou trois ans – au moins de bouleversements sociaux et d’instabilité politique. L’issue de cette histoire sera étroitement liée au cours que prendra le processus constituant. Si ce processus est avorté comme l’un des résultats possibles du plébiscite prévu pour le 25 octobre 2020 (victoire de l’option «Rejet»), il est probable que les actes de protestation se poursuivront, mais comme des combats d’arrière-garde, défensifs, avec moins de personnes dans les rues que jusqu’à la mi-mars de cette année, ce qui permettrait aux forces répressives et à leurs électeurs d’agir avec une brutalité accrue, car le champ de la protestation active aurait tendance à être réduit, fragmenté et dispersé.
Si, comme il est fort probable, l’option de l’«Approbation» accompagnée de la formule de la «Convention constitutionnelle» triomphe le 25 octobre, rien n’aura été résolu, mais différentes alternatives resteront en vigueur, dont celle d’une Assemblée constituante libre et souveraine, grâce à une rupture démocratique qui permettra de surmonter les cadres étroits et délicats fixés par l’«Accord» et la réforme constitutionnelle qui a établi les règles du processus constitutif officiel.
Dans ces deux scénarios de base, les protestations sociales et la forte répression de l’État seront des éléments qui marqueront les caractéristiques fondamentales de la conjoncture chilienne.
Sur cette base minimale, nous devrions considérer d’autres éléments qui rendent la situation encore plus complexe, comme la position des forces armées et du milieu des grandes entreprises. Combien de temps seront-ils prêts à soutenir Sebastián Piñera et son gouvernement? Continueront-ils à avoir confiance en leur capacité à contenir la rébellion populaire au point de prononcer des discours terrifiants et de pratiquer une répression brutale ou, au contraire, considéreront-ils que l’usure et les erreurs du personnage Piñera font qu’il lui sera conseillé de partir dans l’intérêt du maintien du statu quo?
Une autre alternative – acceptée par la droite classique, l’ancienne Concertación et les signataires de l’«Accord» du 15 novembre en général – pourrait être le maintien de Piñera jusqu’à la fin de son mandat, bien que réduit à un rôle purement décoratif ou à celui d’articuler un gouvernement d’«unité nationale». avec l’objectif de parvenir à la «paix sociale» et à la stabilisation. Ainsi, chacun des membres de ce nouveau pacte pourrait espérer une hypothétique recomposition politique et l’obtention de bons dividendes électoraux dans une situation politique «normalisée».
Tout cela est exprimé sans tenir compte des effets que la période prolongée de l’urgence sanitaire causée par Covid-19 entraînera inévitablement (peut-être tout l’automne et l’hiver de cette année). Des éléments supplémentaires rendront les perspectives encore plus explosives que celles de la fin de l’année dernière:
la mise en quarantaine totale ou partielle de segments importants de la population, le couvre-feu, les malheurs que le virus produit et continuera de produire dans les mois à venir, le renforcement des contrôles sociaux sous prétexte de lutter contre la pandémie, la suppression de nombreux emplois, l’augmentation galopante du chômage et de la précarité économique dans les secteurs populaires et des classes moyennes, l’augmentation conséquente de la pauvreté et de la frustration sociale, les problèmes de santé mentale causés par le confinement prolongé et les restrictions à la libre circulation des personnes.
Dans un scénario aussi complexe et changeant, avec des forces puissantes qui envisagent de maintenir le modèle – avec plus ou moins de réformes – et en l’absence d’un regroupement minimal des forces populaires avec la capacité de se donner un leadership politique (l’Unité sociale n’a pas réussi à jouer ce rôle correctement), l’horizon n’est pas prometteur pour les intérêts des grandes majorités. Mais l’histoire à venir n’est pas écrite, c’est un livre ouvert dont les prochaines pages seront écrites dans une relation dialectique par tous les acteurs de ce drame.
Reconnaissant le danger de dégradation psychologique, politique, morale et culturelle que la pandémie et la crise économique peuvent entraîner, nous espérons que les forces de la rébellion populaire réussiront à mettre en œuvre toute leur capacité de mobilisation, de créativité et d’intelligence politique pour aboutir à une issue aussi favorable que possible à leurs intérêts, leurs rêves et leurs aspirations
Espérons et faisons le nécessaire pour que – comme l’a récemment affirmé le philosophe italien Franco «Bifo Berardi» – le virus soit «la condition d’un saut mental qu’aucune prédication politique ne pourrait produire», afin que l’égalité revienne au centre de la scène politique et que ce soit «le point de départ du temps à venir» [2]. Pour l’instant, le plus important est de préserver la vie, la santé et les conditions d’existence de la population, en particulier des secteurs populaires et moyens, dont la fragilité est plus évidente dans le contexte de la pandémie dont nous souffrons.
La rébellion populaire doit trouver un moyen de rester en état, au moins latent, et de profiter de ces mois pour s’orienter vers une base plus solide d’unité politique, en affinant ses propositions et sa coordination afin de préparer le nouveau flux de lutte sociale qui commencera, comme prévu, au printemps, peu avant la date prévue pour le plébiscite du 25 octobre.