: PIERRE MOUTERDE, presse toi à gauche, 3 mars 2020
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’aujourd’hui le Chili ne fait pas la « une » des grands médias, ni au Québec, ni même au Canada ! Pourtant, depuis le 18 octobre 2019, point de départ d’un soulèvement citoyen et populaire toujours très vivant, on y constate de multiples atteintes aux droits humains dont tout porte à croire qu’elles sont systématiques et généralisées. Et il ne s’agit pas des impressions d’un observateur isolé, mais des conclusions d’au moins 5 institutions internationales ayant pignon sur rue, crédibles et reconnues dans le domaine des droits humains et ayant fait rigoureusement enquête dans ce pays. À l’instar de la mission québécoise et canadienne d’observation sur les droits humains qui a séjourné au Chili entre le 18 et le 27 janvier 2020 et qui était composée de représentants de partis politiques et d’organisations syndicales comme de membres du monde académique et de la société civile.
C’est ainsi qu’au 31 janvier 2020, ont été comptabilisés –depuis le 18 octobre 2019— au moins 31 morts, 3 748 blessés, dont 141 suite à des tirs d’armes à feu de la police et 427 ayant subi des lésions oculaires (dont 29 avec perte partielle ou totale de la vue). Ont été comptabilisées aussi les arrestations de 9 545 personnes (dont 12% d’enfants et d’adolescents), et de près de 1000 personnes toujours détenues de manière préventive. Il a aussi été constaté une série de violations aux droits humains à l’égard des détenus dans les commissariats, avec 886 cas d’usage excessif de la force, 192 cas de violence politico-sexuelle touchant les femmes (dont 179 correspondants à des mises à nu) et 463 cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ont été portées devant les tribunaux 1215 mises en accusation judicaire en faveur de 1527 victimes.
On le voit, ces violations sont loin d’être anodines et se combinent –en ce pays où le néolibéralisme est roi— à une dévalorisation chronique des droits sociaux et environnementaux réduits à leur portion congrue, faisant par exemple que moins de 12 % des travailleurs et travailleuses en activité sont syndiqués et que 50% des femmes gagnent moins de 300 000 pesos (moins de 500 $ canadiens par mois). Ou encore que 40% des 345 communes du pays se trouvent en état de pénurie hydrique et doivent être approvisionnées par camions citernes pour répondre à leur besoin en eau potable.
Il faut dire qu’au Chili, tout ou presque de ce qui touche au « commun » a été en partie ou même entièrement privatisé : la santé, l’éducation et même l’eau (non seulement les systèmes de distribution, mais aussi les rivières, les fleuves, les nappes phréatiques, etc.!) Quant aux systèmes de retraite, ils ont été entièrement recapitalisés, objets de profits pour ceux qui les administrent et qui appartiennent au club fermé d’une élite économique attachée à ses privilèges. De quoi rendre compte des abîmes d’inégalités qui existent au Chili et en contre-partie des formidables aspirations au changement qui continuent à hanter le peuple chilien. Et qui expliquent sans doute l’explosion sociale du 18 octobre dernier, mais aussi le peu d’attention dont a fait jusqu’à présent preuve le gouvernement du Président Pinera vis-à-vis des atteintes aux droits humains perpétrées par la police du Chili.
Défenseur des droits de la personne ?
Or au niveau international, le gouvernement canadien de Justin Trudeau s’est toujours présenté comme un ardent défenseur des droits de la personne. En particulier vis-à-vis du Venezuela du président Maduro vis-à-vis duquel il a même organisé dès 2017 un boycott économique, jugeant que ce pays se rendait complice d’atteintes intolérables aux droits humains. Mais là, dans le cas du Chili du Président Pinera, pas un mot : le silence radio. Plus encore on prétend même –par la voix de la porte-parole des affaires étrangères Madame Goldwin— que le gouvernement chilien « prend des mesures importantes pour répondre aux besoins de ses citoyens ». Comme s’il y avait là une politique des « deux poids, deux mesures ». Une politique incompréhensible, à moins de se rappeler qu’il y a au Chili près de 40 entreprises minières canadiennes, dont la fameuse Barrick Gold, Tekc Cominco Limited, Los Andes Copper, qui promeuvent plus de 100 projets de développement miniers (cuivre, or, lithium, etc.). !
Au regard des faits –des faits corroborés par la récente mission d’observation québécoise et canadienne— il est temps que cela change. D’autant plus que tout porte à penser que les mois de mars et avril risquent d’être des mois décisifs pour le peuple chilien. Là-bas c’est, après la période estivale, le retour en classe des étudiants et avec eux, le retour en force de la mobilisation sociale, notamment autour de la campagne plébiscitaire et dans le sillage des manifestation et de la grève des femmes appelées par le mouvement féministe chilien autour du 8 mars. Au vu des événements passés et des comportements de la police du Chili, il y a tout à craindre que la répression la plus indiscriminée soit utilisée pour y faire face. Les gouvernements du Québec et du Canada ne peuvent rester indifférents à cette situation. Ils doivent se faire entendre sans ambiguïté aucune. À nous de leur faire comprendre qu’ils leur faut enfin ajuster leurs bottines… à leurs babines !