Quel impact le mouvement actuel a-t-il sur l’équilibre des forces politiques à Hong Kong ?
Ce mouvement est constitué de deux grandes composantes :
D’une part, la génération des années 2000 et son aile la plus radicale ;
D’autre part les pan-démocrates (dans les marges desquels on peut inclure les « localistes de droite » et les partisans de l’autodétermination). Ils/elles sont représenté.es par le CHRF (Front civil des droits de l’Homme) et d’autres organisations sociales.
Il ne fait aucun doute que la première composante est à la tête du mouvement. C’est sa détermination sans compromis qui a poussé le mouvement à son paroxysme et qui a finalement forcé la chef.fe de l’Exécutif (Carrie Lam Cheng Yuet-ngor) à suspendre, puis à retirer le projet de loi controversé sur l’extradition.
Pour autant, il est impossible de nier le rôle de la seconde composante.
Ses membres ont commencé à s’opposer au projet de loi du gouvernement dès le mois de mars. Ils/elles ont fait campagne pendant des mois, à une époque où la « faction militante » issue de la jeunesse n’avait pas encore émergé. Objectivement parlant, les manifestations des 9 et 16 juin, organisées par le Front (CHRF), ont beaucoup aidé le mouvement à prendre son essor
Grâce au fait que les deux courants ont décidé de ne pas s’opposer l’un à l’autre, le mouvement anti-extradition a acquis une authentique audience de masse. Seule la convergence de ces deux grands courants a permis que le projet de loi sur l’extradition soit efficacement combattu. La mobilisation a continué jusqu’à ce jour, même après la promesse du gouvernement [le 4 septembre]de retirer le projet de loi. En ce qui concerne les évènements ultérieurs, il ne fait aucun doute que le rôle joué par la génération des années 2000 a été primordial.
Pendant les 150 premières années de son histoire, Hong Kong était une colonie britannique. Pendant les 20 dernières années, elle est devenue la colonie du Parti communiste chinois (PCC).
La relation entre le PCC et Hong Kong est une forme de colonisation interne.
Le PCC a hérité des britanniques un type de relation entre centre et périphérie, visant à servir les objectifs économiques du maître colonial (britannique puis chinois), par le biais du contrôle politique sur Hong Kong.
Londres puis Pékin ont considéré Hong Kong comme un territoire ayant une fonction uniquement économique, l’obligation originelle assignée par le colonialisme.
Les deux capitales ont empêché Hong Kong de devenir une ville politique. Elles ont catégoriquement refusé que ses habitant.es disposent d’une véritable autonomie.
La génération pan-démocrate était prête à attendre que le PCC tienne ses promesses, mais lorsque la génération des années 2000 est apparue, les Hongkongais avaient déjà attendu 40 ans ! Mais maintenant, la nouvelle génération s’est dressée et a dit au pouvoir : « Vous mentez, et nous n’attendrons pas plus longtemps ! »
La seule chose que le PCC sache faire est d’accuser les jeunes impliqué.es dans les mobilisations anti-extradition de militer pour l’indépendance de Hong Kong. Mais il ne se rend pas compte que sa politique de « démolir le pont après avoir traversé le fleuve », viole sa promesse d’accorder l’autonomie à Hong Kong, et qu’accélérer son contrôle direct sur la ville pousse la jeune génération à une résistance désespérée.
Lutter en commun contre des menaces extérieures est un catalyseur pour forger un sentiment d’appartenance, d’identité et même de sentiment national. C’est quelque chose d’universel et Hong Kong ne fait pas exception.
Pour les « Rubans jaunes » (personnes se réclamant de la démocratie, du suffrage universel et de la lutte contre l’establishment), il est presque impossible de triompher s’il n’existe pas une identité « hongkongaise ». Cette identité représente en premier lieu le désir des Hongkongais.es d’être leurs propres maîtres et maîtresses, et de ne plus s’incliner devant d’autres.
Le chant le plus populaire actuellement à Hong Kong est l’hymne « Gloire à Hong Kong », qui a été écrit sur Internet par des citoyen.nes, et qui peut être considéré comme l’expression de ce sentiment.
En ce qui me concerne, je n’assimile pas « identité hongkongaise » et nationalisme hongkongais. Bien sûr, la plupart de celles et ceux qui utilisent le terme « identité hongkongaise » n’en ont pas nécessairement une définition rigoureuse. Je pense qu’une discussion rigoureuse à ce sujet serait utile, du point de vue de l’analyse.
Tout au plus on peut dire que beaucoup de celles et ceux se déclarent « Rubans jaunes » ont déjà une forme de sentiment d’appartenance à Hong Kong et même à un sentiment national hongkongais, mais cela ne signifie pas qu’ils/elles soient « nationalistes ». Etre « nationaliste », c’est considérer « l’identité nationale » comme une valeur qui l’emporte sur tout le reste.
Aujourd’hui, les « Rubans jaunes » et même une partie de la génération des années 2000, pensent que l’indépendance n’est pas nécessaire. Pour eux et elles, l’indépendance de Hong Kong n’est qu’une aspiration, mais ils/elles savent aussi que ce n’est qu’une partie de ce dont ils/elles rêvent.
Le mouvement actuel limite son objectif aux cinq revendications principales. Si quelqu’un met une banderole appelant à l’indépendance de Hong Kong ou crie des slogans à ce sujet dans une manifestation, des personnes lui demanderont d’arrêter.
Les adultes savent que demander l’indépendance de Hong Kong n’est pas très réaliste (cela ne le deviendrait que si le gouvernement de Pékin était vaincu par les impérialistes américains).
Les jeunes radicaux/cales sont prêt.es à faire des compromis afin de permettre l’unité avec les millions de « Rubans jaunes ». Ils/elles veulent une plus grande autonomie, ou tout au plus l’autodétermination afin de pouvoir décider de leur propre destin au sens large. Ils/elles ne veulent pas l’indépendance à tout prix.
Quoi qu’il en soit, un grand bond a lieu dans la pensée des Hongkongais. Bien que le mouvement porte le nom de « Mouvement contre le projet de loi sur l’extradition », il s’est en fait élargi bien au-delà de l’opposition à ce texte.
Si on prend en compte l’impact qu’il pourrait avoir dans le futur, ce mouvement pourrait être appelé « Mouvement d’autodétermination du millénaire », afin de le distinguer du mouvement démocratique précédent (Mouvement des parapluies de 2014).
Quels sont les impacts de ce mouvement sur les citoyen.nes ordinaires et la société civile ?
L’un des apports du « Mouvement d’autodétermination du millénaire » est d’avoir beaucoup politisé les citoyen.nes ordinaires, y compris celles et ceux qui s’y opposent (les Rubans bleus)
Le colonialisme n’a jamais voulu que les peuples colonisés se préoccupent de politique. Il veut que les colonisé.es se contentent de leur situation de sujets.
C’est pourquoi, pendant les élections, certain.es politicien.nes arborent le slogan « ne parlez pas de politique, occupez-vous seulement de choses pratiques ». Mais les élections sont inévitablement politiques. La politique de ne pas parler de politique, est en fait le désir que chacun.e ne s’occupe que de « chercher de quoi manger », et laisse la politique aux dirigeant.es.
Ceci est en effet compatible avec l’humilité de beaucoup des citoyen.nes chinois.es les plus pauvres ou appartenant à la classe moyenne : ils/elles souhaitent une stabilité de l’ordre social afin de pouvoir gagner leur vie l’esprit tranquille. C’est aussi le fondement de la pensée de la plupart des « Ruban bleus ».
En fait, la majorité des hongkongais.es pensaient auparavant ainsi. C’est la conséquence de 2000 ans de règne autocratique absolu et de 170 années d’histoire coloniale.
L’histoire du mouvement démocratique hongkongais est en fait assez courte. Elle a été principalement motivée par le Mouvement pour la démocratie de 1989. Mais lorsque les Démocrates unis de Hong Kong (UDHK) ont remporté la majorité des quelques sièges soumis au vote lors des élections législatives de 1991, et qu’ils ont demandé de participer au gouvernement colonial, ils ont été blâmés par les citoyen.nes. Ces dernier.es leur ont dit : « Nous vous avons élus uniquement pour surveiller le gouvernement, pas pour que vous en fassiez partie ».
Beaucoup de citoyen.nes, même celles et ceux ayant des aspirations démocratiques, possèdent encore une mentalité de sujet soumis au gouvernant.es. Par conséquent, la transition en 1997 à une domination par le PC chinois s’est faite en douceur.
Ce n’est que lorsque celui-ci a voulu légiférer sur l’article 23 de la Loi fondamentale de Hong Kong (article concernant la sécurité nationale), que le gouvernement a stimulé une forte détermination des Hongkongais.es à défendre leur autonomie. Environ 500 000 personnes sont alors descendues dans la rue.
Bien que le PC chinois ait retiré ce projet de loi, il continue d’utiliser différents moyens pour restreindre l’autonomie de Hong Kong. Il a, par exemple, décidé que le mandarin serait la langue utilisée dans l’enseignement.
Parce que les jeunes générations sont davantage sensibles à cela, elles ont continuellement résisté. Cette résistance s’est développée, et est devenue le Mouvement des parapluies de 2014. Il apparaît maintenant que le « Mouvement des parapluies » de 2014 était la répétition générale du « Mouvement d’autodétermination du millénaire » de 2019.
Le fait que 2 millions de personnes soient descendues dans les rues le 16 juin, montre que le mouvement est enraciné au sein de la population. Il s’agit du deuxième mouvement démocratique le plus puissant dans le monde chinois, derrière celui pour la démocratisation de Taiwan.
Des membres ordinaires des « Rubans Jaunes » passent même progressivement de la sympathie passive envers les jeunes radicaux/cales recourant à la force contre la police, à la sympathie active et au soutien de tels mouvements.
Nous assistons à une explosion du nombre de personnes se mettant en mouvement après avoir assimilé des décennies de leçons et d’expériences.
Avec cette explosion massive, notre société civile est passée à la version 2.0. La société civile de Hong Kong n’était pas très forte auparavant.
Il existe bien à Hong Kong de nombreux partis politiques, syndicats, organisations bénévoles, etc. Mais la plupart de ces organisations reposent sur des permanent.es. Leurs adhérent.es manquent d’enthousiasme, et ne s’impliquent pas vraiment.
Lors du Mouvement des parapluies tout d’abord, puis dans l’actuel mouvement anti-extradition, nous avons assisté au début d’une action spontanée de masse, et à un travail bénévole intense. Un grand mouvement démocratique de masse existe désormais.
Quelle est la composition sociale de mouvement ? Quelles sont les différences avec les mouvements démocratiques précédents à Hong Kong ?
Il s’agit d’un mouvement dans lequel se reconnait massivement la population, à l’exception des capitalistes et en premier lieu des milliardaires. Il est composé de membres de la petite-bourgeoisie, de la classe moyenne, de la classe ouvrière, et de jeunes. Mais au niveau de sa direction, il s’agit indéniablement de jeunes, en étude ou travaillant déjà.
Ces jeunes ont tendance à préférer un modèle anarchiste – sans leader, sans organisation, mettant l’accent sur la spontanéité, et très mobile. Cela existe partout et pas seulement à Hong Kong. Mais un tel modèle ne convient pas aux salarié.es.
Les militant.es ont vite compris que sans la participation des salarié.es, il leur sera difficile de gagner. Par conséquent, l’accent est davantage mis sur le déclenchement de grèves de salarié.es et de commerçant.es, que lors du Mouvement des parapluies.
Le précédent appel à une grève politique avait eu lieu en 1989 suite aux massacres du 4 juin à Pékin. « L’Alliance de Hong Kong pour le soutien aux mouvements patriotiques démocratiques en Chine » avait en effet appelé à une triple grève le 7 juin 1989 : grève des salarié.es, grève des étudiant.es, grève des commerçant.es.
Mais l’Alliance avait annulé la manifestation le jour même par crainte de possibles violences d’agents du PC Chinois. Elle a ainsi indirectement annulé la triple grève. Il en a résulté pour le mouvement ouvrier de Hong Kong un rôle de suiveur des partis pan-démocrates, incapable d’avoir sa propre voix politique indépendante. Cela explique pourquoi, pendant le Mouvement des parapluies, l’appel à la grève des syndicats a été un échec.
Pendant le mouvement anti-extradition, les syndicats ont appelé à la grève le 12 juin et organisé des rassemblements de grévistes, mais cela n’a pas réussi non plus. Deux mois plus tard, lorsque le mouvement est progressivement entré dans son apogée, Hong Kong a finalement connu le 5 août sa première grève politique depuis 1967. Une véritable alliance s’est formée ce jour-là entre des jeunes radicaux (étudiantes ou salariées), des syndicats et des salarié.es ordinaires.
Des centaines de milliers de personnes ne se sont pas présentées au travail le 5 août. Certain.es en raison d’une participation active à la grève, d’autres en sympathie passive avec elle (la circulation était semi-paralysée). Le secteur du transport aérien était à moitié paralysé, notamment parce que la moitié des syndiqué.es de Cathay Pacific étaient en grève. En raison de cette grève politique, le mouvement a atteint un nouveau sommet.
Mais suite à la contre-attaque des patrons de Cathay Pacific (1), l’appel à la grève des 2 et 3 septembre n’a pas été couronné de succès. Malgré cela, la grève réussie du 5 août a d’ores et déjà formé une nouvelle génération de jeunes salarié.es. Ils/elles ont goûté pour la première fois la puissance collective du salariat.
L’avenir politique du mouvement ouvrier est encore très incertain
Beaucoup d’ami.es de gauche d’autres pays demandent :
Pourquoi l’absence de revendications concernant la justice sociale parmi les cinq revendications principales ?
Est-ce parce que le problème de la pauvreté à Hong Kong a déjà été résolu ?
En ce qui concerne la seconde question, bien sûr que non. Au contraire, la situation s’aggrave.
Bien que le mouvement ouvrier de Hong Kong ait des député.es et des partis politiques, il n’a jamais pris l’initiative de se doter d’un agenda politique. Il n’a donc jamais défendu un programme ouvrier au sein du mouvement politique démocratique. Cela ne se produit évidemment pas par hasard, et ce n’est pas uniquement la faute du mouvement ouvrier.
Les salarié.es de Hong Kong subissent un intense lavage de cerveau basé sur des idéologies telles que la libre concurrence et la « responsabilité individuelle », d’où l’absence réelle de conscience de classe. Une enquête récente indique que les citoyen.nes ordinaires sont très intéressé.es par les controverses politiques actuelles, mais qu’ils/elles ne se préoccupent pas vraiment de savoir si nous avons ou pas suffisamment de protection sociale.
Des jeunes de gauche ont tenté de lancer, dans le forum en ligne LIHKG, une discussion portant sur l’ajout d’une sixième revendication aux cinq revendications existantes. Ils/elles voulaient attirer l’attention sur le fait que le capital monopolistique rend pitoyable la vie de la population. Mais personne ne leur a répondu, et il n’y a donc eu aucune discussion.
Beaucoup de chemin reste à parcourir en ce qui concerne la politisation du mouvement ouvrier. Mais un voyage de 1 000 kilomètres commence par un simple pas, et la situation actuelle offre des opportunités en ce sens.
Le mouvement actuel est-il comparable aux émeutes de 1967 ?
En ce qui concerne l’intensité de la violence, ce qui se passe actuellement est largement inférieur à 1967.
Les communistes pro-Pékin de Hong Kong avaient à l’époque posé des bombes dans tout Hong Kong. Aujourd’hui, des manifestant.es lancent tout au plus des cocktails Molotov pendant les manifestations. En 1967 de nombreux/euses personnes innocent.es ont été blessées, cela n’est pas du tout comparable avec ce qui se passe aujourd’hui.
Mais la différence la plus importante est d’ordre politique. Les émeutes de 1967 ont été la poursuite de la lutte politique ayant lieu à Pékin, et non la conséquence de l’intensification de conflits de classes à Hong Kong. Le point de départ des émeutes de 1967 fut une grève dans une usine de fleurs artificielles, mais l’ensemble du mouvement de 1967 fut appelé « Mouvement anti-britanniques contre la tyrannie ».
Comment expliquer qu’une une grève dans une petite usine puisse être à l’origine d’une lutte armée contre le gouvernement colonial ? Quand les communistes pro-Pékin de Hong Kong parlent de 1967, ils aiment à dire que le gouvernement colonial était tellement mauvais que cela a causé l’escalade du mouvement. Ce n’est pas la vérité.
Après la répressions du 4 juin 1989 à Pékin, certains dirigeants communistes hongkongais de haut niveau, comme Jin Yaoru, ont expliqué en détail la véritable histoire. Cela se passait au plus fort de la Révolution culturelle (commencée quelques mois plus tôt), et les hauts responsables de l’agence de presse chinoise Xinhua voulaient être agréables à Mao et son clan. Ils ont donc utilisé cette grève mineure pour déclencher des émeutes politiques à Hong Kong. C’était l’extension, à Hong Kong, de la Révolution culturelle en cours sur du continent .
A l’époque, les citoyen.nes hongkongais.es situé.es en bas de l’échelle sociale n’aimaient pas le gouvernement colonial, mais les contradictions de classes ne montraient alors aucun signe d’intensité. Cette situation n’a donc pas permis une rébellion politique généralisée parmi les travailleurs/euses. Les communistes pro-Pékin de Hong Kong avaient voulu artificiellement créer de toutes pièces un mouvement politique de masse. Les seuls résultats ont été la destruction de l’implantation des communistes, et leur mise à l’écart par les citoyen.nes ordinaires.
Contrairement à cela, le mouvement anti-extradition actuel est la conséquence de l’intensification des contradictions de classe existant à Hong Kong. Celles-ci opposent d’un côté la majorité des citoyen.nes et de l’autre les partisan.nes hongkongais.es du PC chinois, en d’autres termes, les dominés et les dominants.
On aperçoit dans les manifestations certains symboles de droite, comme par exemple des drapeaux de l’époque coloniale, ou ceux du Royaume Uni et des Etats-Unis. On entend également des propos appelant à une intervention américaine. Qu’en penses-tu ? Certain.es manifestant.es ont-ils/elles des penchants d’extrême droite ? On entend, par ailleurs, dire que l’impérialisme américain aurait été le cerveau de ce mouvement de protestation. Qu’en penses-tu ?
Je vais diviser cette question complexe en plusieurs sous-questions.
1) Tout le monde sait qu’actuellement le nombre de personnes portant des drapeaux américains a augmenté. Mais dans un mouvement auquel participent des millions de personnes, il ne s’agit que d’une très petite minorité. Il faut néanmoins se demander pourquoi les autres manifestant.es n’y font pas obstacle.
La raison en est que la plupart d’entre eux/elles ne voient pas l’intérêt de le faire conformément au principe « les ennemis de mes ennemis sont mes ami.es ». Mais ne veut pas dire pour autant qu’ils/elles soutiennent la présence de ces drapeaux.
2) Deuxièmement, les Hongkongais.es n’attachent en général pas beaucoup d’importance aux drapeaux et emblèmes nationaux. En ce moment, ils/elles ne s’intéressent essentiellement aux questions ayant un rapport avec le PC chinois.
L’expérience des Hongkongais.es est en effet très différente de celle de la plupart des anciennes colonies du monde. Après la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu à Hong Kong de mouvement anticolonial autochtone. Les communistes de Hong Kong se sont engagé.es dans la lutte anticoloniale en 1967, Mais après leur échec, ils sont rapidement revenus à la politique chinoise de « l’utilisation de Hong Kong dans la durée ». Ils/elles ont collaboré avec les Britanniques pour garantir un Hong Kong « stable et prospère ».
La « nouvelle gauche », dont je fais partie, est apparue dans les années 1970. Elle était révoltée par la collaboration entre les communistes de Hong Kong et le pouvoir colonial britannique. Notre slogan à l’époque était « Anti-Capitalisme, Anti-Colonialisme, Anti-Bureaucratie ». Mais cette nouvelle génération de gauche était très petite et n’avait que peu d’influence.
Les Hongkongais.es étaient alors généralement apathiques sur le plan politique. On ne leur laissait pas d’autre choix que d’accepter leur statut de sujets coloniaux, et de ne pas penser beaucoup plus loin.
Contrairement à d’autres pays, le manque d’expérience anticoloniale a rendu les Hongkongais.es ordinaires peu sensibles aux drapeaux nationaux qui représentent l’identité nationale. De plus, par ignorance, ils ne comprennent pas la signification politique des différents drapeaux nationaux, à l’exception de celui à cinq étoiles de la Chine.
3) Troisièmement, nous devons reconnaître que le/la Hongkongais.e moyen-ne se sent en proximité avec l’Occident. Cela n’est pas surprenant, l’Occident dispose en effet d’une grande capacité à convaincre en douceur (softpower). Depuis les années 1950, tout le monde aime regarder des films européens, américains et japonais.
Depuis la Révolution culturelle (1966-1976), combien de gens aiment encore regarder des films de Chine continentale ? Avant la Révolution culturelle, les communistes de Hong Kong et leurs soi-disantes sociétés cinématographiques patriotiques avaient fait des films qui étaient bien accueillis au sein des classes populaires Mais quand la Révolution culturelle est arrivée, ce petit « soft power » s’est effondré. Et les films dits patriotiques ont disparu des salles de cinéma après les années 1970. Derrière ce phénomène se cachaient les conséquences inévitables de l’échec total du soi-disant socialisme pratiqué par le PC chinois. Celui-ci a dégénéré en une des pires formes de capitalisme.
Les dirigeants les plus importants du PC chinois sont par ailleurs très pro-occidentaux. Ils envoient donc leurs enfants étudier en Europe et aux États-Unis et cherchent désespérément à transférer leurs richesses en Occident.
Les jeunes qui affichent aujourd’hui un haut niveau de nationalisme chinois (fenqing) ne connaissent pas la sombre histoire des dirigeants de Pékin, d’où leur soutien aveugle au prétendu patriotisme de ceux-ci. Les Hongkongais, par contre, observent le continent depuis 70 ans. Cela les pousse à être pro-occidentaux et à s’éloigner de Pékin. Ne pas reconnaître ce fait équivaudrait à un refus de voir la réalité en face.
Le régime de Pékin ne cesse de parler du danger que représenterait par l’action supposée de « forces étrangères ». Mais, en ce qui le concerne, celui-ci n’est pas opposé à toutes les forces étrangères : il se comporte en ce domaine de manière très sélective. Pékin est bien conscient des avantages que représentent pour lui-même certaines forces étrangères. Il sait, par exemple, comment influencer un Etat autocratique comme la Corée du Nord pour qu’il devienne sa majorette.
Par ailleurs, le pouvoir de Pékin se fiche pas mal que des manifestant.es chinois de Hong Kong soient tabassé.es par des policiers britanniques en poste au sein de la police de Hong-Kong. L’appartenance de centaines de policiers britanniques à la police de Hong Kong remonte à l’époque où Deng Xiaoping était au pouvoir (1978-1992), et de l’adoption en 1990 de la Loi fondamentale de Hong Kong (Basic Law).
Le système « Un pays, deux systèmes » est lui-même le fruit d’un compromis entre Deng Xiaoping et les forces étrangères. Le PC Chinois voulait grâce à lui se sortir d’une situation déplorable. Mais il voulait encore plus s’enrichir par le biais de la restauration capitaliste, et conclure un compromis définitif avec les Britanniques et les Américains.
Deng a couché avec l’ennemi, et cela a donné naissance au bébé appelé « Loi fondamentale de Hong Kong ». La première chose garantie par la Loi fondamentale, ce sont les intérêts des Britanniques et des Américains à Hong Kong :
le maintien de l’anglais comme langue officielle,
le maintien d’un système juridique basé, comme au Royaume-Uni, sur la jurisprudence (Common Law),
la possibilité pour les tribunaux de Hong Kong de recourir à des juges étrangers,
la possibilité pour des Hongkongais.es de détenir des passeports britanniques,
la possibilité pour des étranger.es de continuer à occuper des postes de fonctionnaires ou de conseillers, ce qui signifie en fait l’engagement à ne pas nettoyer la Fonction publique datant de l’époque coloniale.
L’autre volet qui permet aux policiers britanniques de « tabasser des Chinois » est le système « Un pays, deux systèmes » proposé par Pékin. Il consiste fondamentalement à permettre à des forces étrangères de s’épanouir à Hong Kong. Il permettre au Royaume-Uni et aux États-Unis de conserver leur influence, notamment sur les partis pan-démocrates, les médias et les membres des professions libérales.
Il s’agit d’un privilège historique promis par Pékin aux Européens et aux Américains. Il faut non seulement lire la propagande venant de Chine continentale, mais également comprendre l’essence des intérêts du PC chinois, à savoir qu’il est dépendant de forces étrangères pour s’intégrer dans le système capitaliste mondial et s’enrichir.
Aujourd’hui, Xi Jinping pense que la Chine est devenue plus forte et peut dès à présent « démolir le pont après avoir traversé le fleuve », et abandonner la politique datant de Deng Xiaoping.
Afin d’accélérer le calendrier de mise en place d’un contrôle direct total sur Hong Kong, le pouvoir chinois a mis en place le projet de loi sur l’extradition,
En voulant promulguer une telle loi, le PC chinois est revenu sur sa promesse de considérer les pays occidentaux comme des partenaires légitimes en ce qui concerne Hong Kong. Et le PC espérait simultanément que le Royaume-Uni, l’Europe, les États-Unis, etc. n’engageraient pas de représailles. N’est-ce pas de la folie ?
Pour celles et ceux se plaçant dans une perspective de gauche, il n’est pas possible de soutenir le PC chinois, car celui-ci a opté depuis 1979 pour le capitalisme. Les intérêts historiques des travailleurs/euses sont de vaincre le capitalisme, afin de construire une société égalitaire. Ce que j’entends par égalitaire, c’est en premier lieu le dépérissement de l’appareil d’Etat et de la logique capitaliste, et non leur renforcement.
Mais la gauche ne doit pas se contenter de rêver d’une utopie. Ses militant.es doivent savoir devenir réalistes. Face à la lutte entre la Chine et les Etats-Unis pour l’hégémonie mondiale, ils/elles ne doivent soutenir aucun des deux adversaires. A Hong Kong, le PC chinois est encore pire que le gouvernement colonial britannique.
Je ne suis pas nostalgique de l’ère coloniale. Au contraire, je suis contre le colonialisme depuis mon adolescence. Mais dans le passé, le gouvernement colonial britannique n’a jamais essayé de criminaliser quiconque n’ayant pas chanté l’hymne national correctement. Aujourd’hui, le PC chinois insiste pour le faire, et cette mesure venimeuse n’est qu’une petite partie de beaucoup d’autres politiques venimeuses.
Cela nous ramène à une question fondamentale : je ne soutiens pas le capitalisme néolibéral. Mais le capitalisme du PCC est pire. Je l’appelle le capitalisme bureaucratique. Il fusionne entre ses propres mains les deux pouvoirs les plus importants :
le pouvoir de coercition de l’État,
le pouvoir d’accumulation illimité du capital.
Cela donne une vie nouvelle et encore plus terrifiante au terme de « totalitarisme ». Un tel totalitarisme est encore pire que le capitalisme néolibéral.
La particularité de Hong Kong est que nous devons, bien sûr, utiliser 90 % de nos forces dans la résistance au PCC. Nous devons également utiliser de manière stratégique la géopolitique internationale. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous sommes d’accord avec l’illusion suivant laquelle le gouvernement des États-Unis serait le véritable porte-drapeau de la démocratie.
À l’heure actuelle, les forces pro-américaines à Hong Kong poussent le Congrès américain à adopter une loi sur les droits de l’Homme et la démocratie à Hong Kong. J’ai récemment écrit un article dans le quotidien hongkongais Ming Pao. J’y présente le problème posé par cette loi qui veut établir un lien entre les droits de l’Homme à Hong Kong, et la politique étrangère problématique des États-Unis.
Quels sont les impacts de la crise politique actuelle sur la situation politique de la région ?
L’impact le plus important concerne la population du continent chinois. Nous savons par les médias que le PC chinois a sélectivement bloqué les reportages, diffusé des mensonges, et incité de nombreuses personnes à haïr les Hongkongais. Mais toute chose a deux facettes : lorsque vous agissez de façon outrancière, cela peut se retourner contre vous.
Lorsque le 4 septembre, la chef.fe de l’Exécutif hongkongais Carrie Lam Cheng Yuet-ngor a annoncé le retrait du projet de loi controversé, les responsables de Pékin étaient gênés et ont été contraints de traiter discrètement cette information. Mais certaines personnes continuent aujourd’hui à leur poser des questions :
– « Pourquoi faites-vous des compromis avec des »terroristes » ?
Que répondez-vous à la police de Hong Kong qui essaie de réprimer les émeutes ? »
Il n’est donc pas étonnant que les dirigeants de Pékin n’organisent pas secrètement des manifestations comme ils l’avaient fait antérieurement contre le Japon, et se limitent à une guerre psychologique sur les médias. Aujourd’hui, leur faiblesse politique est telle qu’ils veulent développer un sentiment nationaliste étroit, tout en craignant que ce dernier ne devienne incontrôlable.
En Chine continentale, beaucoup de personne ne soutiennent pas le gouvernement, mais elles gardent le silence afin de se protéger. Un certain nombre de démocrates continuent à y soutenir ouvertement le mouvement à Hong Kong, malgré le prix élevé qu’elles doivent payer pour cela.
Dans ce cadre, le choix stratégique le plus crucial pour les Hongkongais.es est le suivant :
soit faire appel au peuple de Chine continentale pour qu’il soit son allié, et lutter ensemble pour la démocratie en Chine continentale et à Hong Kong ;
soit s’en tenir au principe de non ingérance mutuelle et, dans le pire des cas adopter la position des « localistes de droite » qui s’en prennent à tous les Chinois.es du continent en les traitant de « sauterelles » s’abattant sur Hong Kong.
Le premier choix ouvre une perspective ambitieuse, et le second constitue une impasse.
Si l’on examine le mouvement actuel, on constate qu’aucun parti politique ne joue le rôle de chef de file. L’orientation du mouvement est déterminée spontanément par des masses n’ayant pas beaucoup d’expérience et d’antécédents politiques.
Sur le terrain, les deux tendances mentionnées ci-dessus existent de façon confuse :
une manifestation a par exemple cherché à faire comprendre aux voyageurs/euses du continent l’objectif du mouvement hongkongais,
mais certaines actions locales ciblent des commerçant.e du continent en utilisant un langage discriminatoire.
La tâche de la gauche est d’encourager les tendances progressistes, et en même temps de résister à toutes sortes de tendances dommageables.
Se contenter de pointer du doigt ce qui ne va dans le mouvement serait une attitude parfaitement inutile.
Après trois mois de protestations et de soulèvements de masse, la chef.fe de l’Exécutif a annoncé officiellement le retrait du projet de loi sur l’extradition. Mais il semble que cela n’aidera pas beaucoup à rétablir le calme, car d’autres revendications importantes ne sont toujours pas satisfaites, en particulier celle du suffrage universel. Que penses-tu de l’état actuel du mouvement ? Comment va-t-il évoluer ?
Depuis le début, le mouvement anti-extradition comporte deux grandes composantes :
les immenses foules de « Rubans jaunes » revendiquant la démocratie, le suffrage universel et luttant contre l’establishment
la jeunesse radicale.
Cette dernière est en première ligne, et les premiers les soutiennent. Lorsque les deux convergent, le mouvement atteint ses points culminants ; quand ils divergent, il décline.
Depuis juin 2019, la tendance est à la convergence progressive. Mais fin août 2019, il semble qu’un élément nouveau se soit produit : les citoyen.nes ordinaires ont également sympathisé avec les jeunes radicaux qui résistent avec vigueur à la police.
Si un jour, les citoyen.nes ordinaires participent avec force à la résistance sur le terrain, cela pourrait conduire à une situation révolutionnaire définie comme le moment où « ceux d’en-haut ne peuvent plus gouverner comme avant, et ceux d’en-bas ne supportent plus d’être opprimés comme avant ».
Mais pour l’instant, il n’a pas été constaté parmi les masses de détermination à franchir cette étape. Il faudrait pour cela que celles-ci soient prêtes à payer un prix beaucoup plus élevé qu’actuellement. Mais on ne sait toujours pas combien de personnes seraient prêtes à prendre un tel risque.
Deuxièmement, bien que la grève politique du 5 août ait été un succès, celle des 2 et 3 septembre ne l’a pas été. Il n’est donc pas facile pour le mouvement ouvrier d’atteindre son apogée.
De ce fait, le mouvement se trouve dans un goulot d’étranglement. Bien que sa dynamique ne soit pas à la baisse, il n’est pas non plus en mesure de monter en puissance.
Cette incapacité signifie qu’il sera plus difficile de gagner sur les quatre revendications non-satisfaites, car Pékin ne fera pas facilement de compromis.
Dans de telles circonstances, si les militant.es continuent de durcir leur résistance, le risque existe qu’ils/elles se retrouvent isolé.es.
Quels espoirs as-tu pour l’avenir du mouvement ?
Je pense que le mouvement devrait se rendre compte maintenant que sa difficulté à s’intensifier est due à ses déficiences intrinsèques.
En fait, s’il était capable de monter en puissance et de se muer en révolution, il serait rapidement écrasé par le PC chinois. En l’absence de bouleversement politique sur le continent, la révolution dans une ville comme Hong Kong ne peut pas être victorieuse.
A cause de cette évidence, il serait irréaliste de demander aux adultes et aux salarié.es de renverser le gouvernement de Hong Kong à tout prix.
Il faut abandonner l’idée de la « bataille finale », et être clairs sur la nature à long terme de la lutte démocratique. Nous devons nous diriger vers une résistance de longue durée, en conservant la force du mouvement actuel et en consolidant sa coordination et son organisation.
Nous devons être en particulier clairs sur le positionnement stratégique du mouvement, et cela que ce soit pour s’unir avec le mouvement démocratique en Chine continentale, ou pour construire un mouvement démocratique ayant la rivière Shenzhen comme frontière ?
Note
1. La présidente d’un ses syndicats du groupe Cathay a été licenciée. Depuis juin, plus d’une vingtaine de salarié.es du transport aérien ont été licencié.es, le plus souvent pour des propos tenus en dehors du lieu de travail ou pour avoir participé à des manifestations en ville.