Ramzy Baroud, Chronique de Palestine, 21 mars 2019
Il ne s’agit pas de nier les luttes en cours dans le pays, la principale étant la campagne en faveur des droits à la terre, défendue par le peuple maori, les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande. Mais, en effet, il y avait quelque chose de rafraîchissant chez les Néo-Zélandais.
Le fait que la langue maorie « Te Reo » soit l’une des trois langues officielles du pays, les autres étant l’anglais et la langue des signes, distingue immédiatement la Nouvelle-Zélande des autres espaces colonisés, où les peuples, les cultures, les droits sont, à des degrés divers, négligés.
C’est grâce à la position dominante de la culture autochtone maorie que la Nouvelle-Zélande est, par rapport à d’autres pays, plus intégrante et plus solidaire des réfugiés et des immigrants. Et c’est probablement pour cette raison que la Nouvelle-Zélande – et Christchurch en particulier – a été choisie comme cible des attaques terroristes perpétrées par un ressortissant australien le 15 mars.
Le terroriste australien – dont le nom ne sera pas mentionné ici pour respecter un appel lancé par la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, afin de ne pas faire de publicité à l’assassin – a voulu envoyer un message aux immigrés, en particulier musulmans, leur signifiant qu’ils ne sont pas en sécurité, pas même en Nouvelle-Zélande.
Mais sa tentative s’est retournée contre lui. Non seulement vivra-t-il « le reste de sa vie en prison », comme promis par le ministre des Affaires étrangères de la Nouvelle-Zélande, Winston Peters, qui a pris la parole à la conférence d’urgence de l’Organisation de la coopération islamique (OIC) en Turquie le 22 mars, mais son crime horrible a rapproché encore plus les Néo-Zélandais.
Christchurch a quelque chose de triste mais de beau. Cette petite ville accueillante, située sur la côte est de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, a été dévastée le 22 février 2011 par un tremblement de terre qui a tué 185 personnes et détruit une grande partie de la ville.
En mai dernier, j’ai pris la parole devant la cathédrale en carton renforcé de Christchurch, une structure novatrice construite pour remplacer temporairement la cathédrale anglicane qui a été détruite lors du tremblement de terre.
Lors de mon intervention, j’ai félicité les gens pour leur belle église et leur ténacité face aux difficultés. La diversité, l’ouverture et la solidarité du public reflétaient une réalité plus large dans toute la ville, voire dans tout le pays. Pour moi, Christchurch n’était pas un lieu de tragédie, mais une source d’espoir.
Mon public, qui comprenait également des membres de la communauté musulmane dont certains venaient de la mosquée Al Noor [La lumière] – principale cible de la récente attaque – m’a écouté et m’a questionné alors que je soutenais que les voix authentiques des citoyens ordinaires devraient être placées au cœur de nos préoccupations, de notre compréhension du passé et notre espoir d’un avenir meilleur. L’histoire du peuple palestinien était au centre de mon intervention, mais le message dépassait la lutte pour la liberté en Palestine et touchait aussi la lutte et les droits de tous les groupes autochtones, guidés par des expériences aussi enrichissantes que celle du peuple maori de Nouvelle-Zélande.
J’ai également eu la chance de rencontrer Marama Davidson, co-responsable du Parti Vert, parmi d’autres députés. Il était étrange de trouver un lieu où la solidarité des hommes politiques apparaissait aussi authentique que celle des militants ordinaires, une solidarité inconditionnelle – soulignant une fois de plus le caractère unique de la politique et du leadership progressistes néo-zélandais.
Ayant fait moi-même cette expérience, je n’étais pas surpris de constater l’effusion d’amour et de soutien sincères de la Première ministre Ardern et de nombreux membres de son cabinet et du parlement après l’attaque de la mosquée. Le fait qu’elle portait, avec de nombreuses femmes à travers le pays, un foulard symbolique – pour faire comprendre aux musulmans qu’ils n’étaient pas seuls tandis que d’innombrables milliers de Néo-Zélandais pleuraient les victimes qui ont péri dans les mosquées Al Noor et Linwood – était sans précédent dans l’histoire récente des relations entre musulmans et occidentaux.
En fait, le vendredi 22 mars, lorsque toutes les chaînes de télévision et de radio néo-zélandaises ont transmis l’appel à la prière musulmane, les musulmans et les non-musulmans se sont rassemblés pour manifester leur solidarité humaine tout en pleurant un instant leurs morts, tous les musulmans sont devenus néo-zélandais et tous les néo-zélandais sont devenus musulmans.
À la fin de mon discours, un groupe de musulmans de la mosquée m’avait présenté un cadeau, une boîte de dattes pour rompre mon jeûne, car c’était le mois de Ramadan, le mois sacré du jeûne et du repentir pour les musulmans du monde entier. Avec beaucoup de gratitude, j’ai pris la boîte de dates et j’ai promis de rendre visite à Al Noor lors de mon prochain retour dans le pays.
Quelques mois plus tard, alors que je regardais les images horribles à la télévision de l’attaque terroriste qui a frappé cette ville pacifique, j’ai immédiatement pensé à la cathédrale en carton, à la belle solidarité des Maoris, aux nombreuses étreintes de nombreux Néo-Zélandais et aux généreux musulmans et la boîte de dates.
J’ai également compris pourquoi le terroriste qui ne mérite pas d’être nommé avait choisi de frapper Christchurch et le message sous-jacent qu’il voulait envoyer aux musulmans, aux immigrants, aux Néo-Zélandais et à tous ceux qui défendent la coexistence pacifique et la tolérance dans le monde.
Mais il a échoué. En fait, tous les autres fantassins du racisme et de la haine continueront d’échouer parce que souvent la tragédie nous unit. La douleur collective nous aide à nous voir d’abord comme des êtres humains, où nos différences, aussi grandes soient-elles, ne peuvent jamais suffire à justifier ni même à expliquer pourquoi Mucad Ibrahim, alors âgé de 3 ans, a dû mourir, avec 49 autres belles et innocentes personnes.
Cependant, on peut se sentir réconforté par le dicton maori suivant: « Ka mate te kāinga tahi, ka ora te kāinga rua », ou « quand une maison meurt, la seconde vit ». Cela signifie que de bonnes choses peuvent toujours émerger du malheur.
Christchurch et toute la Nouvelle-Zélande auront besoin de beaucoup de temps pour se remettre de ce terrible malheur. Mais la force, la volonté et le courage de tant de communautés devraient suffire à transformer un acte terroriste horrible en une occasion de panser nos blessures collectives, non seulement en Nouvelle-Zélande, mais dans le monde entier.