Élisabeth Schneiter, Reporterre, 23 juin 2021
Des centaines de leaders sociaux sont assassinés chaque année en Colombie, comme Maritza. Dans « Les serpents viendront pour toi », la journaliste Emilienne Malfatto décrit la mécanique violente qui a englouti cette activiste, dans cette région où se mêlent groupes armés et narcotrafiquants.
Un soir de janvier 2019, des hommes frappent à la porte d’une ferme isolée de la région de San Isidro, dans la Sierra Nevada de Santa Marta, en Colombie. Maritza Isabel Quiroz Leiva est seule avec son dernier fils Camilo. À cette heure-ci, elle devine qui ils sont, et elle dit à Camilo de se cacher. Elle ouvre. Deux coups de feu. Elle tombe. Les hommes tirent deux autres coups et disparaissent dans la nuit. Qui sont-ils ? Pourquoi a-t-elle été tuée ? Deux questions qui ont poussé la journaliste Emilienne Malfatto à partir en Colombie pour y chercher des réponses.
Maritza était membre de la table ronde des victimes de violence à Santa Marta et dirigeait le groupe représentant les femmes de descendance africaine qui avaient été déplacées de force. Elle avait reçu des menaces en 2018 et la Cour constitutionnelle avait demandé qu’elle soit protégée. Sans effet, comme c’est presque toujours le cas.
Pour comprendre la mécanique violente qui a englouti Maritza, Emilienne Malfatto est partie à la recherche des témoins de sa vie. Dans Les serpents viendront pour toi, elle décrit l’indifférence de la police, l’indolence de l’administration, la violence des paramilitaires et des narcotrafiquants et la force de ceux qui, comme Maritza, luttent car ils continuent de croire en la possibilité d’une justice.
Elle découvre l’histoire de la mafia de la marijuana, perçoit autour d’elle la malfaisante influence du Patrón, maître absolu d’une milice paramilitaire qui règne sans partage sur la région. Elle rencontre les enfants de Maritza. Elle croise des personnages hauts en couleur et attachants comme la tante Nelly, le Profe et Luis l’Éclair. Et des personnages inquiétants qui veulent brouiller les pistes et dont elle sent qu’ils lui mentent, comme Lázaro, jaloux de la terre de Maritza, plus fertile et mieux située que la sienne.
400 leaders sociaux assassinés
Peu à peu elle reconstitue l’histoire : comment Maritza et Álvaro, son mari, ont été chassés une première fois de leur ferme par des groupes armés et sont partis, avec leurs enfants, très haut dans la Sierra, dans une nouvelle ferme isolée où ils sont repartis à zéro, sur un territoire que se disputent les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et les paramilitaires. C’est là qu’Álvaro sera assassiné en juin 2004, sans que l’on sache pourquoi. Maritza devra repartir seule avec ses enfants, sans rien, comme les nombreux « déplacés internes » du pays. Elle raconte comment ils ont vécu de charité, et comment Maritza a réussi à obtenir l’attribution d’une nouvelle ferme dans le cadre de l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement et les anciennes Farc. La ferme où elle a été abattue, quinze ans après Álvaro, par des tueurs à gages.
D’une plume alerte, Emilienne Malfatto évoque l’atmosphère lourde et moite d’un pays en pleine déliquescence, un pays de non-droit absolu, où cohabitent l’arrogance des dirigeants et des mafieux, l’aveuglement des promoteurs du tourisme, et les violences des narcotrafiquants, des rebelles et des paramilitaires.
400 leaders sociaux ont été assassinés en Colombie depuis l’accord de paix du 24 août 2016 entre les Farc et le gouvernement colombien. D’après l’ONG Global Witness, en 2019, 64 militants des droits fonciers ont été tués en Colombie, contre 25 en 2018, le niveau le plus élevé jamais enregistré dans le pays. Aucun de ces meurtres, très probablement, n’a été ni élucidé, et encore moins puni.