CEDHAL,16 septembre 2019
Le mois dernier, le conseil d’administration et l’administration de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) ont annoncé qu’ils n’entameraient pas d’enquête sur le rôle de la Banque dans le financement de la construction du Projet Hydroélectrique Ituango (Hidroituango) en Colombie. Cette décision met de coté les dénonciations de graves et puissants dommages causés par ce projet, de la crise humanitaire qui a déplacée des centaines de familles et qui a engendré des violations des droits humains, incluant des assassinats et l’intimidation des membres de communautés qui s’opposent au barrage.
Cet avis est survenu plus d’un an après que les communautés affectées par la construction du barrage Hidroituango dans le Rio Cauca, en Antioquia, aient déposé une plainte auprès du mécanisme indépendant de consultation et d’enquête (ICIM). La plainte a été signée par plus de 400 individus affectés par la construction du barrage afin d’obtenir réparation de la part du ICIM pour les prétendus manquements de la BID suite aux violations de ses propres garanties environnementales et sociales.
« Nous dénonçons publiquement la décision du BID d’échapper à sa responsabilité pour les dommages environnementaux et les violations des droits humains qui résultent du projet Hidroituango. Nous condamnons le rôle du ICIM dans la facilitation et le soutien clair de cette décision », a déclaré Isabel Zuleta, représentante de Movimientos Rios Vivos. « C’est inconcevable que la BID tente de changer l’histoire pour échapper à sa responsabilité et de permettre de financer des projets de développements qui sont à hauts risques, qui ont des impacts environnementaux extrêmes et qui violent, de façon flagrantes, les droits humains », souligne Isabel Zuelta.
Le Groupe de la BID détient deux organes d’investissement, un qui investit dans le secteur public ( le BID, proprement dit) et l’autre qui effectue la même chose dans le secteur privé, BID Invest. Quant à lui, l’ICIM est l’organe qui est responsable de l’institution financière, chargé d’évaluer les performances environnementales et sociales des investissements.
En 2012, lorsque le projet a débuté, la BID a investit dans Hidroituango, ce qui a ouvert la voie et facilité d’autres investissements de millions de dollars de la part de BID Invest ainsi qu’un milliard de dollars additionnel de la part de d’autres banques internationales. Par contre, l’ICIM, qui est chargé de rendre compte des dommages causés par les investissements de la BID, a recommandé de ne pas enquêter sur le rôle de la BID dans ce projet.
Malgré le refus d’évaluer la performance de la BID, l’ICIM a la possibilité d’enquêter sur la responsabilité de BID Invest, puisqu’ils ont aussi investi dans le projet Hidroituango. Toutefois, cela dépend entièrement de l’autorisation du conseil d’administration de la Banque.
Bien avant que la construction du barrage soit autorisée, les communautés environnantes avaient avisé des impacts sociaux et environnementaux qui allaient se produire.
« Pour une institution qui a comme mission d’améliorer la vie des personnes en Amérique Latine, la décision du BID est absurde, irresponsable et irrespectueuse. Cela démontre un mépris total des personnes qui vivent dans la Cuenca du Rio Cauca. Malheureusement, cette indifférence démontre la participation de la BID a des projets de grandes envergures dans toute la région », dit Alexandre Andrade Sampaio, du International Accountability Project.
« Quelle est la valeur des politiques environnementales et sociales de la BID lorsqu’ils les ignorent et les mettent complètement de coté tandis qu’il est le plus nécessaire de protéger la vie des personnes? Cette faute de responsabilité est inacceptable et démontre que les communautés affectées par les actions des banques de développement doivent maintenant se tourner vers les tribunaux pour faire valoir leurs droits », commente Carla Garcia Zendejas, avocate du Centre international de droit comparé de l’environnement ( CIDCE) qui fait référence à la récente sentence de la Cour Suprême des États-Unis, Jam c. IFC, qui reconnait que les organisations internationales, telle la BID, ne bénéficient pas de l’immunité juridictionnelle devant les tribunaux américains. « Cette décision illustre les dangers d’un mécanisme de responsabilisation dépourvu d’indépendance et de légitimité afin de mener une véritable enquête sur les projets de la Banque », exprime Garcia Zendejas.
« Depuis le commencement, le projet Hidroituango a fait une faible évaluation d’impacts, des enquêtes inexactes des personnes affectées et une mauvaise mise en œuvre et surveillance de l’environnement, mais la BID continue d’investir dans ce projet », soutient Carlos Lozano de l’Asociacion Interamericana para la Defensa del Ambiente (AIDA). « Ce projet a été approuvé et fut en processus de construction sans avoir préalablement établi un diagnostic d’alternatives », conclu-t-il.
Les membres du Movimiento Rios Vivos représente les communautés affectées par cette plainte, qui sont victimes de menaces continues, d’intimidation, d’homicides et de d’autres formes de violences. La BID a démontré un désintérêt pour la situation volatile qui règne à Hidroituango, incluant la présence constante de groupes paramilitaires dans la région. De plus, ils ont ignoré les pétitions de la communauté pour reporter la construction du barrage pour exhumer les fosses communes qui résultaient du conflit armé dans la région touchée par le barrage.
Le Projet Hidroeléctrico Ituango serait le plus important de la Colombie, avec un barrage de 79 KM de long qui inondera une superficie de 4 500 hectares. Le Groupe de la BID a financé le projet à travers divers types d’investissement : d’abord 2 millions de dollars américains en appui technique pour l’État colombien en 2012 et un autre 550 millions de dollars américains en investissement direct à Empresas Publicas de Medellin (EPM), la compagnie en charge du projet, au courant de l’année 2016. En outre, la BID gère un programme d’investissement de milliards de dollars, financé par divers investisseurs institutionnels, incluant les banques européennes.
Suite à une faille de construction du barrage, en mai 2018, plus de 25 000 personnes furent évacuées de la région en raison d’inondations, de glissements de terrain et d’avalanches. La crise humanitaire s’est aggravée drastiquement : les personnes ont perdu leur propriété, leur mode de vie, l’accès au service de santé et d’éducation, qui avaient toujours été précaires dans cette région. Plusieurs personnes se sont déplacées et ceux qui sont restés, ne sont pas traités convenablement. De plus, les membres du mouvement Rios Vivos sont discriminés. On retrouve un manque d’aliments dans la région, sans compter que les maladies et les abris sont précaires. Les personnes sont forcées de retourner dans les zones à risques et d’y signer des documents de renonciations à leurs demandes. En bref, il y a une situation systématique de violations des droits de l’homme suite à la construction du projet.