Par Margot Vallère, Révolution permanente, publié le 5 mai 2020
Au Maroc pas de chômage partiel. Là-bas, la crise sanitaire signifie être obligé de continuer de travailler sans protections comme à Casa où 111 ouvrières ont été contaminées dans une usines, ou braver le confinement et la répression policière pour les autres qui ont perdu leurs revenus.
Le Maroc connaît d’importantes carences structurelles, un système de santé fragile et une pénurie importante de médecins avec seulement 7 médecins pour 10 000 habitants. Et bien que le gouvernement de Mohamed VI ait annoncé que le pays disposait fin mars de quelques 1600 lits de réanimation, seuls 684 se trouvent dans les hôpitaux publics, conséquence de la casse des services publics, des politiques néo-libérales, et du pillage impérialiste du pays. Le Maroc, classé selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à la 121ème place sur 189 pour son indice de développement humain en 2019 connaît un retard important dans son développement qui se traduit par de fortes inégalités sociales et des disparités territoriales. Si la majorité de sa population est urbaine, 37% des habitants vivent en milieu rural et dans des territoires reculés, notamment dans les régions montagneuses du Rif et de l’Atlas qui disposent de très peu de médecins.
Face à la faiblesse du système de santé à l’incapacité de traiter les malades et dépister la population avec des tests massifs, un confinement brutal et autoritaire a été mis en place le 20 mars dernier, comme les différents gouvernements l’ont fait un peu partout dans le monde. Et comme à peu près partout dans l monde, ce confinement mis en place est à deux vitesses.
Maintien des activités non essentielles : les ouvriers sacrifiés au profit des patrons
D’abord, le confinement total imposé à la population de manière brutale ne s’est pas accompagné d’un arrêt de la production dans les usines, dont certaines sont depuis quelques jours, devenus de véritables foyers de contamination où des dizaines de cas ont été recensés, notamment à Casablanca, Fès et Larache. Ainsi, malgré le confinement total de la population, la restriction des déplacements, la suspension des vols internationaux, l’épidémie a rapidement progressé. Jusque-là, relativement épargné comparé avec ses voisins européens, le Maroc compte tout de même aujourd’hui plus de 5.000 cas confirmés (sûrement beaucoup plus vu l’absence de dépistage massif) et au moins 179 morts.
Le gouvernement a pris le risque de laisser un certain nombre de secteurs non essentiels de l’économie en fonction, au péril de sa population. Aux ordres du grand patronant et des multinationales, le gouvernement a décidé de maintenir l’activité dans les secteurs non essentiels à la lutte contre l’épidémie, favorisant la création de cluster dans les usines et entreprises, à l’image des centre d’appel où les salariés sont obligés de continuer à travailler à plusieurs centaines dans une même pièce sans ventilation, séparés d’à peine quelques centimètre comme un de nos correspondant en témoignait le 25 mars dernier.
De même, le journal Le Monde rapporte que dans une usine de Casablanca, capitale économique du pays, ce sont 111 ouvrières ont été testées positives au Coronavirus. En effet, malgré l’instauration de l’état d’urgence et du confinement, de nombreuses usines ont été autorisées à continuer leur activité à condition de suivre un protocole sanitaire stricte. Une mesure profondément hypocrite de la part du gouvernement qui connaît l’état d’insalubrité des usines et qui sait que la distanciation sociale y est impossible. Une fois encore, ce sont les travailleurs et les travailleuses les plus précaires qui sont en première ligne face à la maladie, et que le gouvernement n’hésite pas à sacrifier au profit de l’économie.
Pour les autres et dans le cadre du confinement, déclaré le 16 mars, des familles entières sont forcées de s’entasser dans quelques pièces souvent étroites, sombres et humides. Des conditions de promiscuité éprouvantes au quotidien d’autant que pour ces travailleurs pauvres, le confinement est synonyme d’absence de revenus et d’une plus grande misère encore.
Confinement autoritaire, répression pour les classes populaires
Les travailleurs et leur famille se retrouvent donc prostrés dans leur logement souvent insalubre et surpeuplé, et avec la difficulté de se nourrir chaque jour et de payer leur loyer. Dans les quartiers populaires des grandes villes, le confinement est difficilement applicable et rarement appliqué malgré la répression policière qui fait rage. En effet, les gouvernements n’ont pas hésité à déployer les forces armées dans des zones stratégiques des différentes capitales pour inciter, par l’intimidation, les habitants à rester chez eux. Les « forces de sécurité » patrouillent dans les rues des grandes villes et arrêtent ceux qui font entorse à la règle. Au Maroc et en Algérie, ce sont de lourdes peines de prison ainsi que des amendes qui sont prévues pour ceux qui rompent le confinement tandis qu’en Tunisie, après avoir arrêté plus de 1600 personnes, le ministre de l’intérieur Hichem Mechichi a menacé de poursuites pénales les malades qui ne se plieraient pas le confinement, faisant porter la responsabilité sur la population du nombre croissant de contaminations sur le territoire.
Si le poids du secteur informel est difficile à quantifier par nature, il est indéniable qu’il occupe une place centrale dans l’économie marocaine. Selon une étude menée par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2018 citée dans Jeune Afrique, le taux de travail informel atteint 79,9% au Maroc contre 63,3% en Algérie et 58% en Tunisie. Exclus des mécanismes de protection sociale, telles que la sécurité sociale ou le chômage partiel, des millions de travailleurs se retrouvent privés de toute source de revenus avec la crise sanitaire. En effet, si les employés de bureaux et de la fonction publique ont pu se mettre en télétravail et ainsi s’assurer un salaire minimum pendant la crise, les travailleurs de l’économie informelle qui représentent une large majorité de la population, à l’instar des serveurs, des chauffeurs de taxi ou des marchands ambulants, se retrouvent cloîtrés chez eux, privés de toute source de revenus, quand ils ne sont pas obligés de retourner travailler, s’exposant à la fois à la pandémie et à la répression policière.
Dans ces conditions, se protéger contre le virus est un luxe que seule la bourgeoisie peut s’offrir. Repliée dans les villas des quartier huppés, une poignée de privilégiés regarde d’en haut la misère qui sévit dans le reste du pays. Des millions de travailleurs peinent à se nourrir et dans les quartiers populaires où résident la plupart des travailleurs non déclarés, on voit s’allonger les files d’attente devant les bureaux de postes où sont distribuées des aides de l’Etat. Inutile de préciser que dans ces conditions, il est difficile de faire respecter les règles de distanciation sociale qui vont pourtant de soi dans les quelques supermarchés, uniquement fréquentés par l’élite locale.
Les travailleurs non déclarés ne bénéficient d’aucune couverture sociale ni d’assurance maladie ce qui les rend d’autant plus vulnérables au virus dont ils sont incapables de se prémunir ni de se soigner s’ils sont amenés à le contracter. Les fonds spéciaux débloqués par les Etats marocains, tunisiens ou encore égyptiens dans le cadre de la lutte contre la pandémie restent dérisoires par rapport à la misère sociale et au nombre de personnes qui se trouvent aujourd’hui plus que jamais, dans une situation de précarité critique. De plus tout le monde n’a pas accès à ces aides réservées à des catégories spécifiques dans lesquelles beaucoup de travailleurs ne se retrouvent pas.
Dans des pays, victimes depuis des décennies du pillage impérialiste orchestré par les grandes puissances, c’est tout le secteur public qui est laissé pour compte par les gouvernements, condamnant la majeure partie des populations à la plus grande précarité sur tous les plans. Dans un contexte de pandémie mondiale, ces populations sont en première ligne face au coronavirus, alors que les mesures restrictives de confinement ont plus que jamais précarisé. Ces populations qui tiennent pourtant l’économie se retrouvent abandonnées et ne peuvent compter que sur la solidarité entre les peuples face à la gestion autoritaire et antisociale de la pandémie par les gouvernements qui veulent faire payer la crise aux classes populaires.