Criminalisation des migrant·es : regards croisés Mexique, États-Unis et Canada

crédit : Ny Menghor
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Une rencontre internationale à l’initiative du CISO, du CDHAL, de Développement et Paix, du SLAM et de l’AQOCI

Emma Soares, correspondante en stage

Dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale, une rencontre internationale était organisée pour une troisième année consécutive intitulée «Réflexion transnationale sur la criminalisation des migrant·es». L’événement analysait ce phénomène à travers trois contextes nationaux : le Mexique, les États-Unis et le Québec. Il a permis d’esquisser le portrait d’un système nord-américain d’exploitation migrante.

crédit : CISO, CDHAL, JQSI

Mexique : l’industrie agricole au cœur d’un système d’abus

Au Mexique, Isabella Nemecio du Centre d’études sur la coopération internationale et la gestion publique (CECIG) nous décrit la situation des travailleurs et travailleuses, en particulier autochtones. L’industrie agricole est particulièrement développée et influente dans le pays, des milliers d’autochtones migrent vers le nord du Mexique pour trouver un emploi dans ce domaine.

Le rapport du CECIG reflète les informations découvertes par l’enquête d’Amnistie internationale publiée en 2025. Les entreprises agricoles violent de manière répétée les droits de leurs employé.es : salaires non versés, condition de travail et de vie déplorables, violences et négligences. Pour résister à ces conditions, des grèves sont organisées et des dénonciations des violations de leurs droits sont diffusées.

Malgré l’adoption de nombreuses mesures pour protéger leurs droits, la reconnaissance de ces groupes comme essentiels, garanties d’un salaire juste, une sécurité sociale, interdiction de la sous-traitance et du travail des enfants, leur mise en œuvre reste faible. Les autorités locales et nationales ne rendent pas les entreprises agricoles imputables et les salarié.es manquent d’accessibilité aux ressources judiciaires pour défendre leurs droits.

Avant de migrer au Mexique pour travailler, les populations recrutées sont promises dans une série de garanties notamment sur le logement, le salaire et les conditions de travail. En arrivant sur place, c’est la désillusion pour ceux et celles qui voient peu de ces promesses réalisées. Ils sont recrutés sur la base de mensonges destinés à les encourager à migrer, déplaçant leur famille d’un pays à l’autre dans l’espoir de rehausser leur niveau de vie. Ensemble, ils font grève et réalisent de nombreuses actions pour faire améliorer leurs conditions et faire évoluer l’industrie agricole.

Au CECIG, leur travail consiste à fournir des informations et des activités pour garantir une accessibilité inclusive aux ressources essentielles pour cette main-d’œuvre dont beaucoup ne parlent pas la langue ou sont analphabètes.

États-Unis : la migration traitée comme une «guerre interne»

Les faits rapportés depuis le retour au pouvoir de Donald Trump illustrent la montée de l’autoritarisme dans le pays, selon les panélistes. On observe une militarisation de la gestion de l’immigration, les personnes migrantes dont plusieurs n’ont pas de passé criminel, sont envoyées dans des prisons transformées en «véritables camps de concentration». Pour Antonio Arizaga, président du Forum uni des immigrants équatoriens à New York, c’est un modèle de gouvernance qui «transforme la migration en objectif de guerre interne» à des fins politiques.

L’administration Trump mène une campagne brutale contre l’immigration, leur incarcération est externalisée à des pays étrangers pour bénéficier de leur législation et d’un système carcéral plus sévère comme le Salvador.

Ce processus de criminalisation opéré contre les migrant.es est intensifié par les discours politiques et médiatiques qui les qualifient de «criminels», «voleurs» et même «violeurs». Des discours qui démonisent des groupes de population sur la base de leur situation irrégulière sur le territoire.

Le président lui-même utilise ces tactiques discursives pour les dénigrer. Rappelons que lors du débat pour la présidentielle de 2022, il avait accusé les la population d’origine haïtienne de Springfield de «manger les animaux de compagnie». Une déshumanisation claire des personnes migrantes qui pourtant représentent «une force de travail productive» dans des domaines en pénurie de main-d’œuvre.

Ces politiques migratoires hostiles ont des conséquences dévastatrices pour l’économie, sur le marché de l’emploi, mais également pour la santé publique. Les milieux qui emploient majoritairement la main-d’œuvre migrante comme la construction, l’hôtellerie sont à risque, des entreprises sont paralysées, fermées, des productions au ralenti.

Afin de résister, les associations opèrent une mobilisation transnationale pour approuver une «réelle réforme migratoire humaine» et mettre fin à l’exploitation et aux discriminations. Leurs objectifs consistent à «briser cette rhétorique de peur» qui circule au sujet de l’immigration à travers le pays.

Canada : un «havre des droits humains» à l’image fissurée

Au Canada, Viviana Medina, activiste et organisatrice au Centre des travailleuses et travailleurs immigrant.es à Montréal, déconstruit le mythe qui présente le Canada comme un havre des droits humains. Ici aussi, plusieurs industries profitent de l’exploitation d’une main-d’œuvre à bas coût.

Pour la population laborieuse, migrer est synonyme d’une meilleure vie. Les conditions de travail au Nord sont «survalorisées» comparativement à leur standard. C’est pourquoi les travailleur.ses d’Amérique du Sud se déplacent. Il y existe une forte disparité de l’image du Canada et les conditions des populations laborieuses migrantes.

On observe un vaste réseau d’exploitation surtout dans les domaines de la construction et de l’agriculture, dont les conditions sont comparées à de l’esclavage moderne par Amnistie internationale. Les permis de travail fermés participent à cette exploitation, liant légalement les employé.es aux entreprises, leur accordant un pouvoir incroyable sur la vie des personnes migrantes. De nombreux cas de violences physiques, sexuelles et verbales sont recensés au Canada : des travailleuses sont kidnappées, enfermées et agressées par leurs employeurs qui détiennent le pouvoir de mettre fin à leur permis de travail fermé et ultimement, à leur perspective de vie au Canada.

Le rapport émis par les autorités canadiennes demeure complaisant envers les entreprises accusées d’abus sévères et l’imputabilité reste faible. Les conditions de vie et de travail des travailleuses et des travailleurs temporaires au Canada, dont la majorité est originaire du Mexique et du Guatemala, ne sont pas à la hauteur de l’image renvoyée par le gouvernement canadien qui promet une meilleure vie aux immigré.es économiques.