Moussa Tchangari Le Niger, notre cher pays, vit des moments pénibles; et nous avons tous, ses fils et ses filles, intérêt à rester très lucides. Le coup d’État du 26 juillet dernier, perpétré par le Chef de la garde présidentielle, le général Tiani, s’est déroulé sans effusion; et nous savons tous que c’est parce que les principaux chefs militaires, y compris le chef d’état-major général des armées et les chefs des autres corps, ont fait le choix de se rallier à l’auteur du putsch plutôt que de l’affronter et risquer des pertes en vies humaines. Ce fut probablement un choix douloureux pour nombre d’entre eux; mais, on doit retenir que c’est grâce à ce choix que le sang de nos soldats a été épargné.

Aujourd’hui encore, alors que notre pays est soumis à un régime inédit de sanctions, sur fond de menaces d’intervention militaire, les chefs militaires, et notamment le général Tiani, doivent garder à l’esprit qu’ils ont un devoir envers les 24 millions de Nigériens; et ce devoir ne consiste pas à camper dans une attitude de défiance envers les organisations régionales et continentales qui les appellent à la restauration immédiate de l’ordre constitutionnel. La défiance envers ces organisations, même si elle est dans une certaine mesure compréhensible, eu égard au caractère néfaste des sanctions qu’elles ont préconisées, n’est pas dans l’intérêt du pays; car, elle peut aussi servir de justification à leur maintien, comme l’a fait, du reste, le dernier sommet des Chefs d’État des pays membres de la CEDEAO.

Au Niger, on entend beaucoup de personnes dire qu’elles sont prêtes, non seulement à supporter les conséquences des sanctions prises par la CEDEAO, mais aussi à affronter ses contingents militaires lorsqu’ils vont se déployer. La ferveur des tels discours patriotiques est admirable, surtout dans un pays où tout le monde la croyait éteinte depuis longtemps; mais, elle n’autorise pas, comme semble le penser la junte militaire, à préférer la confrontation au dialogue, sachant bien que cela peut être lourd de conséquences. Les Chefs d’État des pays membres de la CEDEAO ayant eux-mêmes marqué leur préférence pour une issue pacifique à la crise ouverte par le coup d’État du 26 juillet, le devoir de tous les acteurs politiques et sociaux est de peser de tout leur poids pour que la junte militaire se ravise et donne une chance de succès aux efforts de médiation de tous ceux qui se préoccupent de l’avenir du pays.

En effet, il importe de souligner que le dialogue est le seul et le plus fiable moyen de transformer cette malheureuse crise en opportunité de remettre notre démocratie sur les rails et de renforcer la cohésion nationale face aux défis auxquels le pays est confronté. Les tristes événements en cours ont été un révélateur des divisions et clivages divers qui traversent la société nigérienne; et on peut supposer que tout esprit avisé a pu prendre la mesure des rancœurs qui s’expriment parfois sur les tons les plus virulents sur les réseaux sociaux où les appels au choc sont malheureusement plus nombreux que les invitations à l’apaisement et à la cohésion. Ces rancœurs, qui sont nées des 10 ans de gestion autoritariste du pays par le Président Issoufou Mahamadou, expliquent largement le soutien de certains à la junte militaire; mais, elles pourraient aussi constituer, à mesure que les gens se rendent compte du rôle de ce dernier dans les événements en cours, une source de friction au sein de la junte et de ses soutiens.

Au regard de cela, on peut faire l’hypothèse que le risque est grand de voir le pays connaitre une certaine instabilité qui pourrait lui être très préjudiciable; comme ce fut le cas au Burkina Faso où un coup d’État militaire est intervenu après un autre, sans que cela n’apporte l’amélioration souhaitée au plan sécuritaire. Les acteurs politiques et sociaux doivent donc être conscients de ce risque d’instabilité et de ses conséquences; tout en gardant à l’esprit que le risque le plus important est celui de voir s’instaurer un régime militaire sur lequel ils ne pourront avoir aucun contrôle. Ce risque est, d’ailleurs, dans l’air du temps; et seul un dialogue entre les Nigériens eux-mêmes peut le mitiger. Les acteurs politiques et sociaux doivent s’en convaincre en considérant la petite fenêtre d’opportunités ouverte par la crise en cours.

Sur ce chapitre, l’élément important à considérer c’est que le bloc du pouvoir PNDS-Tarrayya est désormais fragmenté, avec d’un côté, le Président Mohamed Bazoum qui, s’il est établi dans ses fonctions, n’a d’autre choix que de trouver le moyen de gouverner le pays avec toutes les forces politiques et sociales significatives; et de l’autre, l’ancien Président Issoufou Mahamadou qui, maintenant que sa main est de plus en plus visible dans la crise en cours, n’a plus d’autre choix que de s’accrocher au char de celui qui a assuré sa sécurité pendant 10 ans, en espérant que ce dernier soit lui-même accepté. Cette nouvelle donne souligne tout l’intérêt pour les acteurs politiques et sociaux d’œuvrer à la restauration de l’ordre constitutionnel plutôt que d’accepter le fait accompli de la junte militaire. L’enjeu est bien entendu de préserver le cadre démocratique; mais, aussi d’éviter au pays des souffrances inutiles liées aux sanctions.