François-Michel Le Tourneau, géographe, directeur de recherche CNRS à l’UMI iGLOBES. Institut des Amériques, février 2021
La région des Amériques est l’une des plus touchées par la pandémie de COVID-19 en termes de décès et de cas recensés. Malgré la remontée des pays européens dans ces macabres bilans depuis quelques mois, probablement à cause de l’arrivée de l’hiver, les Amériques demeurent en tête des classements des décès, et ils sont sévèrement touchés par la seconde vague. Certains pays sont les plus endeuillées au monde en valeur absolu (États-Unis, Mexique, Brésil) ou en valeur relative (États-Unis, Pérou, Mexique).
Dans ce contexte, la vaccination est un enjeu majeur. Disposant d’une organisation régionale de santé (l’Organisation Panaméricaine de Santé – OPS, une branche de l’OMS) et de pays pionniers dans la recherche sur les vaccins, on aurait pu imaginer que le continent aurait pu compenser les faiblesses des politiques mises en œuvre pour affronter la pandémie. Or il n’en est rien. Les pays américains se présentent en ordre dispersé, dans une ambiance de chacun pour soi, mettant en relief à la fois la « géopolitique des vaccins » qui se dessine au niveau mondial, les égoïsmes nationaux et la manière dont les controverses internes interfèrent avec les efforts nationaux et régionaux.
De la course à la production…
Dès le début de la pandémie, plusieurs pays ont cherché à mobiliser leurs capacités scientifiques pour produire des vaccins, seules solutions à long terme contre le coronavirus. Les États-Unis ont mis en branle leur immense recherche et développement dans le domaine pharmaceutique, injectant des fonds considérables, notamment par le biais de précommandes. Comme on le sait, grâce à des alliances avec des PME innovantes, deux sociétés étasuniennes, Pfizer et Moderna, ont été les premières à proposer des produits disponibles à grande échelle et rapidement homologués par les différentes autorités sanitaires. D’autres vaccins provenant des États-Unis sont en cours d’homologation, notamment celui de la société Johnson & Johnson. En face de cette immense puissance, un seul autre pays des Amériques a entrepris le développement d’un vaccin propre : Cuba. Basé sur sa tradition de médecine tropicale et d’épidémiologie, l’île dispose de deux vaccins en phase 1 (Mambisa et Abdala), avec pour objectif d’immuniser sa propre population dès 2021. Il est évident que si l’un de ces produits s’avérait performant, elle disposerait d’un outil diplomatique et commercial de première importance, en particulier dans le contexte de pénurie actuel.
D’autres pays, disposant de moins de capacité, ont préféré soit s’allier à d’autres puissances scientifiques pour disposer d’une capacité de production de vaccins, soit pour participer aux essais cliniques en échange de priorité dans l’approvisionnement des produits si ceux-ci s’avéraient satisfaisants.
Dans le premier groupe, on peut distinguer le Brésil, où l’Institut Butantan (équivalent brésilien de l’Institut Pasteur), s’est allié avec les entreprises pharmaceutiques chinoises pour non seulement tester mais surtout produire le vaccin CoronaVac formulé par l’entreprise chinoise Sinovac Life Science. Cependant, l’usine prévue à São Paulo pour la production de ce dernier ne devrait être prête qu’à l’automne prochain, ce qui laisse le pays dépendant des fournitures de la Chine (l’institut met pour le moment en dose individuelles les livraisons chinoises). Il en est de même pour la Fiocruz, institution fédérale qui, elle, a noué un partenariat avec la firme AstraZeneca. Dans les deux cas, le but non seulement d’approvisionner le marché national mais aussi de fournir des vaccins à d’autres pays de la région. Le Brésil se mettait ainsi dans la position de profiter de la technologie d’autres pays, en particulier de la Chine, pour son propre rayonnement diplomatique et commercial (une firme brésilienne se dispose aussi à fabriquer le vaccin russe Spoutnik, mais celui-ci n’a pas encore été autorisé par l’agence de régulation de la santé – ANVISA). Toutefois, la très mauvaise relation du gouvernement de Jair Bolsonaro avec le gouvernement chinois est venue compliquer ces perspectives. Devant les reproches incessants du premier, le second a ainsi (sans aucun doute volontairement) délayé la livraison des vaccins devant être envasés au Brésil. Se trouvait ainsi clairement rappelé qui était vraiment le propriétaire du vaccin… Tentant de contourner l’obstacle, les autorités fédérales du Brésil ont tenté d’obtenir des doses du vaccin britannique produites en Inde, s’exposant à un nouveau camouflet du fait de retards de livraisons de cette nouvelle source « alternative ». Dans les deux cas, les usines devant permettre au Brésil une production indépendante ne seront prêtes qu’à l’automne 2021 au mieux.
Dans le second groupe, beaucoup de pays se sont prêtés à des tests cliniques qui ont permis de quantifier l’efficacité des vaccins dans des contextes géographiques, sociaux, ethniques très divers. Le Pérou a ainsi été intégré aux tests du vaccin de Sinopharm et à ceux de Johnson & Johnson, le Mexique ceux de l’Allemand Curevac, du Chinois Cansino ainsi que l’Américain Johnson & Johnson…
… à la course à la vaccination
Si peu de pays ont pu participer à la course à la création de vaccins, tous se trouvent dans la situation de devoir obtenir au plus vite assez de doses pour immuniser une proportion significative de leur population. Ils se trouvent ensuite devant le défi logistique « d’acheminer les doses jusque dans les bras », impliquant l’ouverture de centres de vaccination, le recensement des personnes à vacciner, la détermination des ordres de priorité, etc.
Ici encore les États-Unis, qui disposent de plusieurs producteurs majeurs sur leur territoire, font la course en tête. Ayant commencé leur campagne dès le mois de novembre 2020, le pays vaccine plus d’un million de personnes par jour pour le moment, et le gouvernement Biden espère doubler ce chiffre – à ce rythme toutefois, il lui faudra au moins six mois pour réussir à immuniser une proportion suffisante de la population pour atteindre la fameuse immunité collective (en supposant que les variants du virus qui apparaissent ne remettent pas l’efficacité des vaccins en question).
Malgré l’importante logistique mise en place, les goulots d’étranglement sont nombreux et même si les fournisseurs semblent favoriser l’approvisionnement du marché étasunien, la plupart des administrations de terrain font état de flux insuffisants pour fonctionner à plein régime. Toutefois, ce sont déjà plus de 26 millions de personnes (7,91% de la population) qui ont reçu une première dose. Le Canada, qui avait pourtant approuvé le vaccin Pfizer deux jours avant son grand voisin, rencontre lui aussi des difficultés et le rythme de vaccination est bien plus lent. A peine 2,41% de la population avait été vaccinée le 28 janvier 2021. Cherchant un vaccin à tout prix, certains y sont prêts à voyager jusqu’au Yukon et à se faire passer pour des employés locaux afin d’obtenir la précieuse immunisation…
Nombre de personnes vaccinées |
Nombre de personnes vaccinées |
% de la population |
Monde |
98990000 |
1,32 |
Asie |
39290000 |
0,85 |
Amérique du Nord |
32790000 |
8,89 |
Etats-Unis |
31120000 |
9,40 |
Chine |
24000000 |
1,74 |
Europe |
24210000 |
3,24 |
Amérique du Sud |
2510000 |
0,38 |
Brésil |
2120000 |
1,00 |
France |
1530000 |
2,32 |
Canada |
955198 |
2,53 |
Mexique |
670307 |
0,52 |
Argentine |
375851 |
0,83 |
Chili |
67123 |
0,35 |
Costa Rica |
48128 |
0,94 |
Equateur |
2982 |
0,02 |