Quand une personnalité meurt, il arrive parfois que l’on ne respecte pas une trêve où l’on tait, par décence, la mauvaise opinion qu’on a du disparu. Ça a été le cas pour Margaret Thatcher, alors que la chanson Ding-Dong! The Witch is Dead! tirée du Magicien d’Oz est devenue l’une des plus populaires au Royaume-Uni. Le décès du milliardaire David Koch a créé le même genre de réaction très peu compatissante auprès d’un certain public.
Les médias de gauche étatsuniens n’ont pas pu cacher leur soulagement. Le LA Weekly a annoncé la mort d’un «infâme milliardaire de droite». Le magazine Jacobin déplorait qu’il soit décédé «deux décennies trop tard». The Nation s’est indigné de la puissance de son argent et a titré que «même sa philanthropie était toxique», alors que le Rolling Stone considérait que c’était son empire tout entier qui est toxique. Le comédien Bill Maher a affirmé ouvertement qu’il était content de cette mort et qu’il devrait «réévaluer son opinion sur le cancer de la prostate» (la maladie qui a emporté Koch).
Tant de hargne vient du rôle dominant qu’a occupé David Koch sur la scène politique. Et surtout des milliards de dollars que cet homme et son frère Charles ont fait pleuvoir pour soutenir les causes les plus inacceptables, propulsées par tant de fonds à leur service.
Le livre noir à écrire sur es frères Koch serait volumineux. Leur fortune combinée leur faisait prendre la quatrième place parmi les individus les plus riches au monde. Ils se sont enrichis en polluant allègrement la planète : par le raffinage du pétrole, les produits chimiques, les produits dérivés du pétrole. Et en allongeant toutes les sommes nécessaires pour maintenir cette situation.
Ils ont créé et financé différents think tanks, comme le Cato Institute, l’Institute for Human Studies (IHS), Americans for Prosperity, qui derrière des apparats scientifiques et leurs dénominations consensuelles, défendent les idées libertariennes les plus radicales. Avec ces canons, ils se sont entre autres attaqués à la possibilité de mettre en place un système de santé public et surtout, ils ont été parmi les défenseurs les plus acharnés du climatoscepticisme.
Le hic, c’est que l’action des frères Koch a débordé les limites des États-Unis. D’abord parce que les atteintes à l’environnement n’ont pas de frontières. Mais aussi parce que les frères Koch ne se sont pas gênés pour financer des «instituts» étrangers, tels l’Institut économique de Montréal, nourri par l’IHS, ainsi que l’a démontré le journaliste André Noël.
David Koch, beaucoup plus que son frère, a eu l’habileté d’être un généreux philanthrope. Il a donné pour la lutte contre le cancer, pour soutenir de grands musées et pour des institutions culturelles comme l’American Ballet Theatre. Cette stratégie pour se rendre acceptable a bien fonctionné, si on en juge quelques commentaires élogieux suite à son décès dans les grands médias.
Parmi les innombrables réactions provoquées par sa mort dans les médias étatsuniens (chez nous, cet événement a été assez peu couvert), peu de personnes se sont interrogées sur les distorsions profondes faites à la démocratie, causées par les interventions et les injections de fonds en provenance d’un homme si riche. Branko Marcetik du magazine Jacobin a tout de même fait un intéressant parallèle entre lui et Jeffrey Epstein, démontrant que tant d’argent, qu’il soit investi dans la politique ou pour cacher et perpétuer des crimes, ne peut qu’engendrer des crises.
Au Québec, nous ne sommes certes pas à l’abri de la fabrication de l’opinion publique à coup d’investissements très élevés : on le voit par exemple dans la prédilection pour les chroniqueurs très ancrés à droite dans les médias de Pierre-Karl Péladeau, dans la radio poubelle de Québec et ses animateurs grassement payés (situation bien décrite par Dominique Payette dans La brute et les punaises) et dans les «études» de l’Institut économique de Montréal.
Bien sûr, nous sommes encore loin de la situation des États-Unis où le pouvoir de l’argent ne semble plus avoir de limites. Mais nous n’en sommes pas protégés, loin de là. Au-delà du petit plaisir malsain que nous éprouvons à la suite de la perte d’un adversaire déloyal, la mort de David Koch nous fait rêver à la fin du détournement de la démocratie par les fortunes privées. Ou au moins, à son ralentissement.