Élections européennes : les lignes bougent, les bisbilles restent

 

Rachid Laireche, Libération, 27 mai 2019

https://www.liberation.fr/france/2019/05/27/a-gauche-les-lignes-bougent-les-bisbilles-restent_1730044

 

Tout au long de la campagne européenne, à chaque fois que l’on échangeait avec une figure de gauche, elle mêlait le scrutin à l’avenir de sa formation politique. Une équation très simple : réaliser un gros score afin de peser lourd dans la reconstruction de la gauche. Chacun avec des ambitions différentes. La France insoumise, par exemple, souhaitait conserver son statut de première force acquis lors de la dernière présidentielle. Mais dimanche soir, la sortie des urnes a redistribué toutes les cartes. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon s’enlise (6,3 %) et Europe Écologie-les Verts prend la main (13,4%). Pour la première fois de leur longue histoire, les écologistes récoltent plus de 3 millions de voix. Une surprise. Un événement politique.

Désormais, Yannick Jadot et sa bande réclament le leadership afin de se lancer à la conquête du pouvoir. «L’avenir de la gauche, c’est l’écologie politique», scandent en chœur les dirigeants Verts. Contrairement à 2009, après leur succès (déjà) aux européennes (16,2 %), ils ne comptent pas gaspiller leur butin. «Notre mouvement politique s’est toujours défini comme un contre-pouvoir, et on a bien fait le job. Aujourd’hui, nous devons assumer nos ambitions, nous ne devons plus avoir peur d’accéder aux responsabilités», argumente le secrétaire national d’EE-LV et nouveau député européen, David Cormand.

Désaccords. Le nouveau statut des écolos fait jaser. Toute une partie de la gauche se réjouit de voir Jean-Luc Mélenchon à la traîne : elle ne souhaitait pas travailler avec lui. Des désaccords de fond et de stratégies. Raphaël Glucksmann, désormais chef de file des socialistes français au Parlement européen, déclarait récemment : «La gauche est de gauche, elle n’est pas populiste.» Le hic : les derniers propos de Yannick Jadot ne rassurent pas grand monde. Le député européen rêve de construire une nouvelle force avec la jeune génération, celle qui défile dans la rue, et répète que les Verts n’ont rien à faire avec la «vieille gauche». Des mots qui en vexent beaucoup. «S’il y en a un qui commence à dire « c’est autour de moi qu’il faut se rassembler », ça ne marche pas. Je l’avais dit pour Mélenchon, c’est valable aussi pour un autre», prévient le patron du Parti communiste, Fabien Roussel.

Les socialistes, eux, craignaient de replonger dans une longue crise à moins d’un an des municipales. Ils sont soulagés d’avoir franchi la barre des 5 %. Et se disent «partants» pour discuter avec tous ceux qui le désirent afin de construire une «force majoritaire». Le 19 mai, au Cabaret sauvage, à Paris, Najat Vallaud-Belkacem est sortie un instant de sa nouvelle vie pour filer un coup de main à Raphaël Glucksmann. L’ancienne ministre de l’Éducation en a profité pour évoquer un instant l’avenir : «Nous, c’est-à-dire toutes celles et ceux qui pensent qu’il y a un autre chemin entre le libéralisme et le nationalisme, un chemin qui passe par la justice sociale et l’écologie, un chemin nouveau qu’il faut tracer, ouvrir et suivre jusqu’au bout.» Comprendre : le destin des socialistes et des écologistes est lié. «S’agissant des idées, le PS s’est rénové bien plus profondément qu’on ne le croit, en faisant de l’urgence écologique le cadre dans lequel il réinvente son combat contre les inégalités et définit un humanisme de notre temps, confie-t-elle à Libération. S’agissant des actes, il reste très présent sur le terrain avec des milliers d’élus locaux qui font avancer les choses concrètement, et qui d’ailleurs avaient souvent anticipé dans leurs réalisations cette évolution théorique.»

Les socialistes, à part quelques éléphants, ne se racontent plus de fausses histoires : ils sont conscients que l’époque de leur centralité est révolue. Ils n’imposent plus le rythme. Pour autant, selon Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, le futur de la gauche ne peut s’écrire sans eux. Il n’est pas le seul à le penser.

Benoît Hamon pousse également pour que son mouvement, Générations, participe à la nouvelle configuration. Lundi, son entourage a pris la parole à sa place : l’ancien candidat à la présidentielle prend un peu de recul en politique, le temps de retrouver ses esprits après sa nouvelle déconvenue dans les urnes (3,3 %). Son fidèle lieutenant, Guillaume Balas, a rappelé aux curieux journalistes que Générations voulait être au «service de la construction de la maison commune». Une petite «poutre» parmi les autres.

Bataille. Le secrétaire national d’EE-LV a tenté de couper court aux doutes naissants. Il ne cache pas la «joie» qui anime sa famille politique, mais assure que les Verts ne «crânent pas». David Cormand emploie les mots «responsabilité» et «humilité». Puis il détaille : «Nous ne souhaitons pas être hégémoniques, ce n’est pas ça l’idée. Nous, c’est prendre le leadership pour réinventer autre chose, une nouvelle force qui a vocation à consolider un arc écologique majoritaire pour s’opposer aux libéraux et aux fachos.» Cormand veut faire les choses dans l’ordre. Son parti est en crise depuis des années. Les caisses sont vides et les militants peu nombreux. La priorité : créer une nouvelle force politique verte. Il rêve d’écrire une grande histoire avec la nouvelle génération de militants écologistes et les ONG. Dans un second temps, Jadot et les siens jurent être prêts à travailler avec «tous ceux qui sont d’accord pour mettre l’écologie» au centre de leur programme. «Pour être majoritaire, il faut faire 51 % et on sait que nous ne pouvons pas y arriver tout seul», ajoute Cormand, qui prévient néanmoins : «Le temps de la social-démocratie et du populisme de gauche est terminé, ces logiciels ne fonctionnent plus.»

Pendant ce temps, les insoumis sont dans leur coin, sonnés après le petit score de dimanche (6,4 %). Yannick Jadot n’a jamais été fan du «populisme de gauche». Tout au long de la campagne, les Verts ont mené une bataille à distance et acharnée contre La France insoumise. On ne sait pas si les gauches sont irréconciliables mais on a beaucoup de mal à imaginer Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot bras dessus bras dessous. Un dirigeant écolo confirme et ajoute : «La France insoumise a eu la main après la présidentielle mais elle n’a pas su ou voulu en profiter. Aujourd’hui, c’est à notre tour d’être en bonne position et on espère faire quelque chose de beau.» Un député insoumis agacé par le sourire des Verts nous a écrit : «Ils nous enterrent alors que nous avons beaucoup plus d’élus et de militants qu’eux. C’est étrange comme procédé.» Il a oublié de dire que tout va très vite en politique. Dans un sens comme dans l’autre.

Après le scrutin européen, ultime alerte pour la gauche française face à la montée des autoritarismes

IVAN DU ROY bastamag, 27 MAI 2019

L’extrême droite arrive encore en tête et progresse même en voix suite aux élections européennes du 26 mai. Le parti lepéniste, malgré son hypocrisie sur nombre de questions sociales, semble seul profiter de l’essoufflement de la majorité présidentielle. En face, parmi les listes de gauche qui se présentaient en ordre très dispersé, seuls les écologistes arrivent à sauver les meubles. Que feront-ils cette fois de leur relatif succès électoral ? La gauche, totalement éparpillée, peut-elle se reconstruire avant l’enjeu des élections municipales ?

Dans une gauche française dispersée façon puzzle, ce sont les écologistes (13,5%) qui s’en tirent le moins mal. En attirant notamment les votes des plus jeunes, ceux-là mêmes chez qui la préoccupation climatique est la plus forte, EELV profite du bon bilan de ses eurodéputés et tente de se placer en parti de l’avenir. Les écologistes bénéficient aussi d’une dynamique européenne : ils arrivent en 2ème position en Allemagne (20,5%) et leurs bons scores en Europe de l’Ouest leur permettent de gagner une bonne vingtaine de sièges au Parlement européen. Nous sommes cependant loin d’une « vague verte » : avec environ 70 députés, les écologistes européens constitueront a priori la 4ème ou 5ème force politique à Strasbourg, derrière la droite, les sociaux-démocrates, les libéraux, voire l’extrême-droite. Quelles alliances et quels compromis accepteront-ils de passer pour peser ?

En France, reste à savoir ce que le parti, désormais incarné par Yannick Jadot, fera de sa position de leader à gauche. En 2009, le mouvement écologiste avait réalisé un excellent score aux européennes (16 %), suscitant carriérismes, opportunismes et luttes intestines en son sein, avec nombre de retournements de vestes. Ces dérives, incompatibles avec la volonté affichée de « faire de la politique autrement » et d’incarner l’intérêt des générations futures, ont amorcé sa lente descente aux enfers électorale. Lors des législatives de 2017, EELV était balayée de l’Assemblée nationale. Ses animateurs ont-ils tiré les leçons de la décennie passée, catastrophique pour l’écologie politique ?

Un incohérent émiettement qui vient de se payer cash dans les urnes

En dehors des scrutins présidentiels très personnalisés, La France insoumise (LFI, 6,3%) n’arrive toujours pas à progresser durablement. Si LFI se maintient par rapport aux précédentes élections européennes de 2014 – Le Front de gauche, intégrant le Parti communiste, avait alors également attiré 6,3 % des voix –, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon perd un million de suffrages comparé aux législatives de 2017, alors même que la participation est similaire. En souhaitant faire du scrutin européen un référendum anti-Macron plutôt qu’un enjeu pour l’Europe sociale et écologique de demain, LFI s’est probablement trompée d’élections et de campagne. Ses ambiguïtés sur la question européenne, la personnalité de son leader, considéré par nombre d’électeurs de gauche comme trop « agressif », ne sont sans doute pas pour rien dans la désaffection subie dans les urnes. Ses partenaires au sein des autres grands pays européens s’essoufflent également : Die Linke s’affaisse en Allemagne (5,4 %) ; en Espagne, Podemos poursuit son érosion (11%) ; en Italie la gauche radicale est rayée de la carte.

Que faire des anciens partis qui, au 20ème siècle, incarnaient la gauche ? Le Parti socialiste (6,2 %), malgré son « relooking » avec Place publique de Raphaël Glucksmann, continue de perdre des voix comparé aux législatives de 2017. Avec son mouvement Générations (3,3 % des voix), Benoît Hamon semble avoir définitivement échoué à incarner une alternative entre PS et insoumis. Quant au Parti communiste, il paie sa stratégie en solitaire (2,5%). Cet incohérent émiettement vient de se payer cash dans les urnes. Bref, malgré le score honorable d’EELV, la gauche française se porte mal. Et n’a pas profité de l’érosion de la majorité présidentielle. La République en marche a pourtant perdu 1,4 million de voix comparé aux législatives.

Le salut viendra-t-il du mouvement social, en pleine ébullition ?

Le salut viendra-t-il du mouvement social, en pleine ébullition, depuis le début du mouvement des gilets jaunes ? Actions et mobilisations se multiplient sur l’urgence climatique comme sur la défense des services publics (grève des urgences dans les hôpitaux, actions d’enseignants et de parents d’élèves dans les établissements scolaires…). En tant que média engagé sur ces enjeux, Basta ! contribue à vous informer régulièrement sur ces mouvements, celles et ceux qui les font vivre, les nouvelles idées qui s’y ébauchent. Ces mobilisations sont cependant la cible d’un mépris et d’une répression de plus en plus inflexible de la part du pouvoir.

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