Hamid Benhmade, chercheur au Réseau québécois sur l’intégration continentale, 24 janvier 2021
Dans quelques jours, l’administration Biden prendra officiellement les reines des États-Unis. Bien que l’élection du nouveau président soit accueillie avec soulagement et espoir, néanmoins, plusieurs questions s’imposent et requièrent une analyse plus fine et rigoureuse, notamment sur sa politique au sujet des marchés publics.
En réalité, Joe Biden, qui se présente comme un président libre-échangiste et multilatéraliste, s’est clairement engagé à prioriser les entreprises nationales et les travailleuses et les travailleurs américains. Il affirme qu’il ne signera aucun nouvel accord sur le commerce et l’investissement, tant que les conditions de vie de la classe moyenne américaine ne soient pas améliorées.
Biden et la protection des marchés publics
Buy American, qui est au cœur des priorités de son plan de relance Made in All of America, ambitionne de faire des marchés publics un levier de la relance post-pandémie. À preuve, Biden envisage de resserrer les règles d’origine pour exiger plus de contenu américain.
Alors que les organismes fédéraux peuvent déroger à l’achat local sans explication ni examen, il prévoit également de limiter les dérogations qui seraient permises par le Buy American.
Sans oublier sa mobilisation contre l’étiquetage faux, mensonger ou trompeur, notamment, contre les entreprises qui faussement étiquettent leurs produits comme étant made in America.
Buy American sera par ailleurs étendu à d’autres formes d’aides publiques, en l’occurrence, les subventions publiques destinées à appuyer la recherche et développement. Désormais, lorsqu’une entreprise invente de nouveaux produits grâce à l’argent des contribuables, elle doit absolument les fabriquer localement, sinon elle doit rembourser le gouvernement.
À ces mesures s’ajoutent d’autres mesures, notamment, le renforcement du Buy America Act et du Jones Act. Si le premier exige que les produits manufacturés, utilisés dans les projets de transport, doivent être faits de matières extraites, transformées et fabriquées aux États-Unis, le second impose que les marchandises échangées entre les ports américains soient transportées sur des navires battant pavillon américain, construits aux États-Unis, appartenant à des citoyens américains et employant un équipage de citoyens américains.
La sécurité nationale passe par la sécurité économique
À l’opposé de son prédécesseur axé davantage sur une approche mercantiliste, Biden promet de collaborer avec ses alliées pour moderniser les lois sur les marchés publics. Notamment pour que chaque pays puisse utiliser ces marchés selon les priorités nationales. Toutefois, si les pays partenaires adoptent des pratiques anticoncurrentielles, il n’exclut pas d’appliquer agressivement les lois américaines, notamment, contre la Chine qui est déjà dans son viseur.
D’ailleurs, il est fort probable que l’Administration Biden s’alignerait sur l’Administration Trump qui vient d’ordonner aux entités fédérales de minimiser les achats de biens et services chinois. En effet, en réponse à la loi sur le renseignement national de la Chine, l’Administration Trump appelle à ajuster les lois régissant l’approvisionnement public, de manière à restreindre aux entreprises chinoises l’accès aux marchés publics fédéraux. En 2017, l’Assemblée populaire nationale chinoise a adopté la loi sur le renseignement national, selon laquelle, la sécurité nationale est l’affaire de tout le monde. Tant que les organisations actives dans le secteur du renseignement national respectent les pouvoirs qui leur ont été accordés, elles ont le droit, conformément à l’article 14, d’obliger les entreprises et les citoyens chinois à collaborer. Désormais, la portée internationale des entreprises chinoises confère aux services de renseignement la possibilité d’espionner directement de nombreux gouvernements du monde ainsi que leurs fonctionnaires. Malgré les ententes signées par la Chine avec les États-Unis, l’Allemagne et le Canada, la loi de 2017 prévoit que les services de renseignements soutiennent les intérêts économiques chinois. D’où l’urgence, selon le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Robert C. O’Brien, d’agir le plus rapidement possible contre le risque d’espionnage humain et technique chinois sur le sol américain (via les marchés publics).
Bien que les États-Unis soient tenus d’ouvrir certains marchés fédéraux à des soumissionnaires étrangers, conformément à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce, Biden a martelé à plusieurs reprises « qu’aucun contrat public ne sera attribué à moins que tous les produits utilisés par le soumissionnaire étranger soient fabriqués aux États-Unis ». Clairement, selon ses propres dires, la sécurité nationale passe par la sécurité économique. Ainsi, les temps changent, l’Amérique aussi.