Phyllis Bennis [1], extrait d’une présentation faite dans un séminaire de Dialogue Global, 10 décembre 2020
En juillet dernier. Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, a augmenté sa richesse de 13 milliards de dollars en une seule journée. En attendant, le filet de sécurité sociale des États-Unis s’effondre. Un enfant sur 6 s’endort le ventre vide. Pour bon nombre des 130 millions de personnes vivant en dessous ou à peine au-dessus du seuil de pauvreté, chaque problème de la vie quotidienne (un enfant malade, la voiture qui a besoin de réparations, rendez-vous au dentiste) devient catastrophique. Bien sûr, tout cela affecte de manière disproportionnée les non-blancs.
Il faut se souvenir que le capitalisme aux États-Unis a toujours été racialisé, race et classe étant imbriqués l’une dans l’autre. Maintenant, le racisme revient au premier plan. Certains acquis du passé, comme les droits de vote imposés en 1965 par le mouvement massif des droits civiques, sont érodés par le régime judiciaire. En essayant de «détruire l’État administratif», l’administration Trump aggrave le néolibéralisme dans sa forme la plus. Ce virage conservateur qui a conduit plus de 70 millions d’Américains à voter pour Trump en octobre dernier survient au moment où de nombreux hommes blancs craignent de perdre leurs privilège. pas nécessairement parce qu’ils sont racistes, homophobes, anti-femmes, mais parce que leur priorité est de défendre leurs privilèges. De tout cela émerge une société profondément divisée, où 50% des gens ne veulent pas se faire vacciner et ne se soucient pas de savoir si l’autre 50% vont tomber malades ou mourir.
De Trump à Biden : continuité
Trump a perdu. Les Démocrate sont gagné. Que se passe-t-il de leur côté ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils expriment le désir de continuité avec les régimes précédents, surtout sous Obama. Par exemple, les Démocrate s’opposent à Trump qui veut retirer les soldats américains d’Afghanistan, C’est davantage pour embarrasser Trump que par une position de principe, car dans le fonds, les Démocrates partagent les ambitions de maintenir les États-Unis à la tête du monde. Mais ils pensent faire mieux en changeant la manière de le faire. Par exemple, on privilégie les guerres aériennes, les drones et les missiles, comme on le voit maintenant en Afghanistan, Irak, Yémen, Syrie, etc. La militarisation de la politique américaine en Afrique se poursuivra probablement avec Biden via l’AFRICOM, une très grande infrastructure militarisée américaine construite sur ce continent. À l’heure actuelle, 53 cents de chaque dollar fédéral sont dépensés en armes à feu : ça va peut-être diminuer, mais d’une manière marginale. Outre le maintien des incursions militaires au Moyen-Orient, l’administration Biden devrait s’opposer à ce qu’elle appelle une «concurrence quasi-pair» contre la Chine et la Russie.
L’essor des mouvements
Il y a cependant des signes encourageants aux États-Unis. De puissants mouvements comme Black Lives Matter (BLM) sont en expansion. Ils n’hésitent pas à présenter des revendications qui étaient dans une époque antérieure considérées comme farfelues. Aujourd’hui, on n’a plus peur d’exiger la diminution des budgets de la police, par exemple. D’autres mobilisations se font dans la rue, en confrontation, comme avec la lutte des Premières nations à Standing Rock, ou le long des murs qui séparent les familles le long de la frontière mexicaine, etc. L’intersectionnalité est à l’ordre du jour, essayant de relier les politiques de classe à la lutte contre la discrimination. Une chose à noter, le langage des mouvements aux États-Unis ne fait pas souvent référence au socialisme ou à l’impérialisme. Beaucoup de mouvements sont basés sur la foi et utilisent le langage du christianisme. On considère généralement que la gauche doit accepter cette réalité..
Un dernier changement pour accroître nos espoirs est la montée en flèche d’une gauche politique au sein des institutions, y compris le Congrès. La fameuse « escouade » composée de 4 braves femmes non blanches a récemment été rejointe par 8 autres élus progressistes. Les socialistes démocrates d’Amérique ont considérablement augmenté leurs effectifs et leur soutien. Tout cela mènera probablement à des confrontations avec l’administration Biden. Le défi pour la gauche est de construire un grand front populaire, menant des batailles locales et nationales contre ce qui sera probablement un gouvernement de centre-droit.
[1] Phyllis dirige le projet New Internationalism Project à l’Institute of Policy Studies de Washington.