DONNET Pierre-Antoine, AsiaLyst, 9 février 2021
La Chine en toile de fond et sa puissance militaire montante au cœur de leurs préoccupations majeures, le président américain Joe Biden et son administration organisent la riposte en menant des discussions approfondies avec les principaux chefs de la diplomatie européenne. Ils préparent aussi un sommet prochain du « Quad », ce forum stratégique qui rassemble les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde et dont Washington souhaiterait en faire « un nouvel Otan » en Asie.
Vendredi 5 février, les chefs de la diplomatie de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis ont déclaré leur intention de « relancer » les liens transatlantiques, lors de leur première rencontre virtuelle depuis que le président Joe Biden est entré en fonctions à Washington le 20 janvier. « Les ministres des Affaires étrangères ont convenu qu’ils souhaitaient relancer le partenariat transatlantique traditionnellement fort, et affronter ensemble les défis globaux à l’avenir, ont-ils affirmé selon un communiqué du gouvernement américain. Ce premier échange approfondi entre les ministres des Affaires étrangères depuis l’investiture du président Biden s’est caractérisé par une atmosphère confiante et constructive. »
Ces échanges virtuels ont été l’occasion d’aborder un éventail de sujets, dont l’Iran, la pandémie de coronavirus, mais aussi les relations avec la Chine et la Russie, a précisé Berlin. Le secrétaire d’État Antony Blinken a « souligné l’engagement américain en faveur d’une action coordonnée pour surmonter les défis mondiaux », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price. Des propos qui tranchent avec la politique du cavalier seul et de « l’Amérique d’abord » de l’administration Trump. Anthony Blinken et ses homologues ont « affirmé le rôle central de la relation transatlantique pour affronter les questions de sécurité, de climat, d’économie, de santé et d’autres défis auxquels fait face le monde », a ajouté Ned Price.
« Asie-Pacifique ouverte »
Plus important, l’entourage du président Joe Biden est en train de préparer la tenue d’une première réunion virtuelle au sommet du « Quad », ce forum qui réunit Washington, Tokyo, Canberra et New Delhi, croit savoir l’agence Kyodo samedi 6 février. Ce serait sa première réunion au plus haut niveau depuis que l’administration Trump a transformé ce « Dialogue quadrilatéral sur la sécurité » en un mécanisme dont l’objectif avoué est de contrecarrer l’influence croissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique.
Selon l’agence japonaise, l’agenda de ce sommet comprend en particulier des discussions sur le respect d’une « Asie-Pacifique ouverte » ainsi que sur les inquiétudes suscitées par les activités de la Chine dans la région, dont en particulier la militarisation chinoise conduite en mer de Chine du Sud revendiquée par Pékin.
« Un sommet du « Quad » ne serait pas une surprise puisque l’alliance sécuritaire contre la Chine en Asie-Pacifique est une stratégie constante des États-Unis », relève Shi Yinhong, un expert des relations internationales de l’Université Renmin à Pékin cité par le South China Morning Post. Ce spécialiste table cependant sur une évolution probable du « Quad » en « mini-OTAN » pour l’Asie-Pacifique après que le Royaume-Uni a manifesté son désir d’en faire partie. Ce plan de l’administration américaine a déjà fait surface à plusieurs reprises ces derniers mois.
Sans confirmer explicitement la tenue prochaine de ce sommet, le ministère japonais des Affaires étrangères a indiqué que le Premier ministre Yoshihide Suga et le président américain étaient tombés d’accord sur le principe d’un renforcement du « Quad » à l’occasion d’un entretien téléphonique fin janvier.
Le « Quad » a tenu sa première réunion au niveau des ministres des Affaires étrangères en 2019 à New York, puis une seconde en octobre 2020 à Tokyo [1].
Coup de fil à Xi Jinping en attente
Mais tandis que Joe Biden a appelé la quasi-totalité de ses principaux interlocuteurs étrangers, il n’a toujours pas téléphoné au président Xi Jinping, trois semaines après son investiture. Dans une interview à la chaîne de télévision américaine CBS diffusée dimanche 7 février, le président américain a expliqué qu’il n’y avait pas de raison pour les deux présidents de ne pas se parler au téléphone. Pékin, a-t-il dit, « a envoyé des signaux » dans ce sens. « Nous n’avons pas besoin d’un conflit, mais il y aura une concurrence extrême, a prévenu Joe Biden. Je ne vais pas suivre la méthode Trump et nous allons nous concentrer sur les règles internationales pour la route à suivre. »
Un premier contact officiel sino-américain a néanmoins eu lieu samedi 6 février lors d’un entretien téléphonique entre le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken et le chef de la politique étrangère du Parti communiste chinois Yang Jiechi. Le successeur de Mike Pompeo a profité de cette discussion pour affirmer que les États-Unis continueraient de se porter aux côtés des droits de l’homme et des valeurs démocratiques dans le monde.
« J’ai clairement dit que les États-Unis défendraient nos intérêts nationaux, lutteraient pour nos valeurs démocratiques et tiendraient Pékin pour responsable de tout abus contre le système international », a tweeté le nouveau secrétaire d’État à l’issue de cet entretien téléphonique. Les États-Unis « continueront de défendre les droits humains et les valeurs démocratiques, y compris au Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong », a précisé Anthony Blinken selon un communiqué du département d’État.
De son côté, Yang Jiechi a demandé aux États-Unis de ne pas porter préjudice « aux intérêts fondamentaux » de la Chine et de « corriger leurs politiques erronées ». Le responsable chinois a invité Washington à travailler avec Pékin dans le but de créer un environnement qui évite la confrontation, selon l’agence Chine Nouvelle (Xinhua).
Capacités nucléaires de Pékin
Entre-temps, les déclarations au sujet de la Chine se sont multipliées ces derniers jours au sein de la nouvelle administration américaine. C’est ainsi que le nouveau secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a qualifié la Chine de « menace constante » pour le Pentagone, lors d’une audition au Sénat. Son adjointe, Kathleen Hicks, a quant à elle déclaré que face à la menace croissante de la Chine contre Taïwan, l’engagement américain à l’égard de « l’île rebelle » devait être « transparent comme le cristal ». Quant au conseiller pour la Sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, il a estimé que la Chine représentait « un concurrent stratégique fondamental ».
Par ailleurs, selon le chef du Commandement stratégique nucléaire américain, l’amiral Charles Richard, les États-Unis doivent se préparer « à une possibilité très réelle » d’une attaque nucléaire à l’heure où la Chine et la Russie augmentent rapidement leurs capacités nucléaires. La Chine, a-t-il écrit dans un article du numéro de février du magazine Proceedings de l’Institut des forces navales américaines, est en train de devenir un « concurrent stratégique » des États-Unis dans ce domaine, tandis que son engagement pris dans les années 1960 de ne pas être le premier à lancer une attaque nucléaire « pourrait bien changer en un clin d’œil ». Et de préciser : « Pékin est engagé dans la recherche de capacités et d’opérations stratégiques qui ne sont pas cohérentes avec une dissuasion minimale, lui donnant une panoplie complète d’options, y compris un usage limité de même qu’une capacité d’attaque préventive. »
La Chine n’a jamais révélé l’étendue de son arsenal nucléaire. Mais les experts occidentaux l’estime généralement entre 200 et 300 ogives nucléaires, soit à peu près l’équivalent de celui du Royaume-Uni ou de la France, très loin derrière l’arsenal de la Russie ou des États-Unis.
Le 25 janvier, la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki avait été on ne plus explicite : « Ce que nous avons vu ces dernières années est une Chine de plus en plus autoritaire chez elle et agressive à l’extérieur. Pékin en vient maintenant à défier notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs d’une façon telle qu’elle exige de nous une nouvelle approche. »