CHRISTIAN SALMON, Médiapart, 11 septembre 2020
La pandémie a bouleversé la campagne électorale américaine. Mais elle a surtout fait apparaître, sous le masque du pouvoir grotesque de Trump, les troupes violentes de l’Alt-right et les milices suprémacistes qui font peser une menace sur le scrutin.
Si les conséquences n’en étaient pas aussi potentiellement destructrices pour les États-Unis et le reste du monde, le phénomène de décomposition qui affecte la vie politique américaine depuis l’élection de Donald Trump serait fascinant à observer. L’épidémie de Covid-19 pourrait bien lui avoir porté le coup de grâce.
Dans un monde sans Covid, la campagne électorale battrait son plein en ce début septembre. Dans tout le pays, les deux partis mèneraient une campagne acharnée, frappant à des millions de portes pour attirer les électeurs le 3 novembre. Le Parti démocrate aurait nommé Joe Biden et sa colistière lors de sa convention de mi-juillet à Milwaukee, tandis que les républicains auraient confirmé la candidature de Donald Trump à Charlotte, Caroline du Nord, sous les vivats de ses partisans chauffés à blanc.
Dans ce monde imaginaire sans Covid, l’économie est en plein essor et le chômage a atteint son plus bas niveau depuis longtemps. Au cours d’une centaine de meetings à travers le pays, Trump a pu donner la mesure de son talent basé sur l’esbroufe, le grotesque et les mensonges habituels. Aucun obstacle ne semble se dresser sur le chemin de sa réélection. Aussi peut-il se moquer autant qu’il le veut de « Sleepy Joe » (Biden) qui peine à attirer les foules avec son plaidoyer pour un retour à la normale. Personne n’est malade et l’élection du 3 novembre est au cœur de toutes les conversations.
Le Covid-19 a tout changé. Le feuilleton des primaires s’est interrompu avec ses caucus d’un autre âge, ses coups de théâtre, ses rebondissements électoraux comme le fut la victoire de Joe Biden porté jusqu’à la nomination par des candidats félons qui n’avaient d’autre objectif que de ruiner la candidature de Bernie Sanders. Mais qui s’en souciait désormais ?
Du jour au lendemain, la course de petits chevaux des primaires démocrates qui alimentait la chronique médiatique céda la place à une tout autre chronologie. La campagne électorale rendit les armes devant l’avancée du virus. Ses « storytellers » pouvaient remiser leurs scénarios dans leurs tiroirs ; c’est le Covid-19 qui écrivait l’histoire, une histoire qui déjouait tous les pronostics et renvoyait l’élection aux calendes grecques.
La gestion de la pandémie par Trump a pris des airs de catastrophe nationale. © Free CCO, No Redes Sociales/Flickr
Le regard des journalistes se portait ailleurs. Ils ne comptaient plus les délégués gagnés par les Biden ou Bernie en vue d’une nomination démocrate, mais le nombre de décès du Covid-19 qui grimpait inexorablement jusqu’à atteindre, rappelait Bernie Sanders, le nombre d’Américains tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
Avec plus de 5,2 millions de cas et 180 000 décès dus à la maladie, la gestion de la pandémie par Trump prenait des airs de catastrophe nationale. Aussi longtemps que possible, celui-ci avait minimisé la gravité de l’épidémie, soucieux de ne pas compromettre les bons résultats économiques, son principal atout pour sa campagne de réélection. L’œil sur les cours des marchés, il avait multiplié les déclarations rassurantes, joignant le geste à la parole en serrant les mains à tout-va, sans se soucier du message que son comportement adressait à l’opinion.
Dans une vidéo mise en ligne sur son compte Twitter, le Washington Post a recensé « les 19 fois où Trump a minimisé le coronavirus ». Dans un livre à paraître, Trump révèle qu’il était conscient de la gravité de la pandémie, mais qu’il l’avait sciemment cachée pour ne pas affoler les Américains. Du coup, plus personne ne s’accordait sur les thérapies proposées et les mesures sanitaires à respecter pour endiguer l’explosion de l’épidémie. L’Amérique était une vaste salle d’attente où les patients échangeaient entre eux les dernières nouvelles du Covid-19.
La campagne électorale, ses stratèges et ses meetings aux allures de foire, tout cela semblait presque indécent. On n’avait pas le cœur à la frénésie des campagnes avec leurs ballons multicolores, leurs pancartes et leurs slogans simplificateurs.
Pendant la primaire démocrate, Joe Biden et Bernie Sanders réduisirent le nombre de leurs déplacements et annulèrent les grands rassemblements prévus. Les foules enthousiastes qui se rassemblaient autour de Sanders disparurent des écrans. On les vit s’adresser à de petits groupes de journalistes dans les salles de bal clairsemées des hôtels de leurs villes natales, Wilmington, Delaware, et Burlington, Vermont.
Les grands meetings tout comme les petites foires, les festivals et les marchés furent annulés. Les opérations de porte-à-porte traditionnelles conduites par des armées de militants se déplaçant à travers le pays pour encourager les électeurs à se rendre aux urnes furent revues à la baisse. De nombreux syndicats, qui fournissaient généralement des légions de travailleurs pour soutenir les campagnes démocrates, annulaient leurs activités.
Finis les cocktails de collecte de fonds, les poignées de main dans la foule. Les conventions du parti furent réduites à des événements virtuels. De nombreux États se sont résolus à changer rapidement les procédures de vote, privilégiant le vote par correspondance.
La pandémie a recentré l’attention des Américains en mettant au premier plan les problèmes de la santé publique, l’inégalité économique et raciale, et incité le public à revoir les critères de sélection des dirigeants qu’il voulait au pouvoir. Toute l’attention s’est portée sur la gestion de la crise par Trump qui, loin d’adopter les mesures d’urgence qui s’imposaient, se répandit en propos absurdes. Ce fut de sa part un festival de dénégations et de contradictions.
Le complotisme se répandit comme une traînée de poudre, révisant les statistiques de la pandémie, semant le doute sur les mesures sanitaires à adopter. Trump avait commencé par dissimuler la gravité du mal pour ne pas affoler la population, se défendit-il. En fait pour ne pas mettre en péril ses accords commerciaux avec la Chine, ultime corde de rappel pour une croissance économique en berne qui risquait de lui coûter un second mandat.
Peine perdue.
La pandémie continuait ses ravages sur une population désarmée, privée de masques et systématiquement désinformée sur les gestes barrières. Pendant ce temps, l’économie se contractait et le chômage repartait à la hausse jusqu’à atteindre bientôt les niveaux de la Grande Dépression. Trump se révéla incapable d’offrir une stratégie nationale pour combattre la pandémie, en multipliant les tests, le traçage des contacts et les mesures de quarantaine pour les cas de contamination. Il fut tout autant incapable d’organiser la reprise des activités économiques, d’offrir un plan d’aide aux chômeurs dont le nombre explosa pendant la crise.
Lorsqu’il apparut que la pandémie ne disparaîtrait pas par enchantement et que l’activité économique ne renaîtrait pas de ses cendres, le ton de la campagne changea.
Ce fut Kellyanne Conway, la conseillère de Trump (sur le départ), qui lâcha le morceau au cours d’une interview sur Fox News pendant la convention républicaine. Celle qui avait inauguré le mandat de Trump en formulant un de ses concept clefs, les « faits alternatifs » (« alternative facts »), a donné le ton du recadrage de la campagne de Trump incarné par le nouveau slogan « Law and Order » (« La loi et l’ordre »).
Le timing était parfait, laissa-t-elle entendre. Les scènes de violence qui se déroulaient à Kenosha, Wisconsin, après les événements de Charlottesville, Lafayette Square et Portland en fournissaient le cadre idéal. Conway alla jusqu’à déclarer que les scènes de désordre public étaient politiquement utiles pour Trump. « Plus le chaos, l’anarchie, le vandalisme et la violence règnent, déclara Conway, mieux c’est, car cela permet de clarifier le choix de celui qui est le meilleur en matière de sécurité publique et d’ordre public. »
Faute de croissance économique ou d’un reflux de l’épidémie, il fallait changer la conversation. Les troubles à Kenosha et à Portland ont donné au président et à la convention républicaine une occasion de déplacer la conversation politique nationale vers les questions de sécurité où les républicains pourraient être en meilleure posture.
Selon Kellyanne Conway, la convention démocrate était une production hollywoodienne. La convention républicaine, un reality show centré sur le personnage de Trump, omniprésent chaque soir au milieu de sa famille. Sur la photo de gauche à droite, Donald Trump Jr, Tiffany Trump, le président, Ivanka, Donald Trump, la première dame Melania Trump et Barron Trump, etc.
Deux producteurs de la série « The Apprentice » ont supervisé l’événement : Sadoux Kim, un adjoint de longue date du créateur de l’émission, ex-juge de Miss Univers lorsque M. Trump était propriétaire du concours, et Mark Burnett, un consultant de la production. Il avait pour eux le plus beau des plateaux, la Maison Blanche.
Le pouvoir grotesque de Donald Trump avait manifesté toute son absurdité et son incompétence dans la gestion de la crise sanitaire. La convention républicaine a mis à nu, sous le masque du clown, sa violence arbitraire. Elle a fait apparaître à la lumière des feux d’artifice qui crépitaient au-dessus du Lincoln Memorial son double visage, grotesque et menaçant, burlesque et incendiaire, impuissant devant le virus mais menaçant face aux manifestants pacifiques qui protestaient à Kenosha après la mort de Georges Floyd.
Trump s’était vanté un jour de pouvoir tirer sur quelqu’un sur la Cinquième Avenue en toute impunité sans perdre le soutien de ses supporters. C’était une blague. Mais cette fois il prit la défense de Kyle Rittenhouse, un jeune supporter de 17 ans qui était accusé du meurtre de deux manifestants à Kenosha.
Désormais, il étendait ce permis de tuer à ses partisans. « Ne vous y trompez pas : peu importe où vous vivez, votre famille ne sera pas en sécurité dans l’Amérique des démocrates radicaux », ont prévenu pendant la convention républicaine Patricia et Mark McCloskey, ce couple de juristes de St Louis (Missouri) qui avaient menacé arme à la main des manifestants de Black Lives Matter qui défilaient près de leur demeure au mois de juin.
Bien essayé ! est-on tenté de dire face à cette tentative de recadrer le débat électoral autour les questions de sécurité. Une stratégie qui n’a rien de nouveau tant les gouvernements ont l’habitude de miser sur le désordre pour provoquer le ralliement des majorités silencieuses… Mais il est rare qu’ils s’en vantent aussi ouvertement.
C’est peut-être là que le bât blesse, car les sondages de Fox News après la convention républicaine suggèrent que la tentative de Trump de recadrer la course autour de la loi et de l’ordre n’a pas tourné à son avantage. Selon le New York Times qui cite des sondages de Fox News, les efforts du président pour recadrer la campagne autour de la loi et de l’ordre n’ont pas fondamentalement tourné à son avantage ; Joe Biden mène la course sur cette question dans des États stratégiques.
L’impact de la pandémie a d’abord été perçu comme un empêchement, un rétrécissement et un ralentissement de la campagne électorale, les consignes sanitaires interdisant les grands rassemblements mais aussi les débats publics. Elle a tout autant aiguisé les contradictions de la vie politique américaine et accéléré un processus de décomposition de la vie démocratique à l’œuvre depuis l’élection de Trump.
Les appels à la violence lancés par le président de États-Unis, son refus de reconnaître à l’avance une quelconque défaite, ses tentatives d’empêcher le vote par correspondance, les violences organisées dans les rues pendant des semaines ont rendu possible une sortie de route qui risque de déboucher sur un chaos post-électoral et peut-être un mandat empêché.
« Créer le chaos est le dernier espoir de Donald Trump pour remporter la présidentielle », affirme Denis Lacorne, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), dans une tribune au Monde. Les tentatives de sabotage du vote à distance constituent la stratégie de dernier recours d’un président américain placé devant une défaite probable. »
Se préparer à un coup d’État
Trump a d’abord envisagé de retarder la date des élections. Or la date de la présidentielle, comme le précise l’article 2 de la Constitution, est déterminée par le Congrès, lequel, depuis une loi votée en 1845, a choisi comme seule date possible le mardi suivant le premier lundi de novembre.
Comme l’a récemment écrit le juriste Steven Calabresi, l’un des cofondateurs de la très conservatrice Federalist Society, dans une tribune au New York Times, changer la date des élections est inconcevable dans une démocratie constitutionnelle : un tel acte serait « fascisant » et ouvrirait la porte à « une mise en accusation (impeachment) immédiate du président ». Face aux critiques issues de son propre camp, Trump a dû faire machine arrière.
Mais il a tenté une dernière manœuvre qui visait à paralyser le dépouillement des votes par correspondance. En réduisant le nombre de postiers, d’heures supplémentaires pour les employés des postes, de machines à trier le courrier, Trump espérait produire une situation de chaos favorable aux électeurs républicains qui préfèrent voter dans les bureaux de vote, alors que les démocrates ont recours plus souvent au vote par correspondance, surtout en période de pandémie qui touche de façon disproportionnée les minorités ethniques.
Les nombreuses protestations des élus démocrates et les auditions prévues au Congrès du principal responsable des services postaux, Louis DeJoy, ont contraint Trump à reculer et à bloquer l’initiative du chef des postes.
« À supposer que l’écart des voix entre Trump et Biden soit infime dans certains des États décisifs, conclut Denis Lacorne, on peut s’attendre à d’interminables délais et à l’intervention des tribunaux pour mettre fin, prématurément, au comptage ou au recomptage des bulletins de vote, comme en Floride en 2000. Le chaos, à défaut d’un sabotage réussi du service des postes, est le dernier espoir d’un président aux impulsions fascisantes qui, ne pouvant envisager une défaite probable, blâme déjà ses adversaires pour “l’élection la plus frauduleuse dans l’histoire” du monde. »
« Je suis de plus en plus convaincu que l’élection est sans grande importance, m’écrit un ami éditeur à New York. Trump va se déclarer vainqueur quoi qu’il arrive, la Cour suprême le suivra, l’armée ne bougera pas et l’establishment démocrate, tout en protestant vigoureusement, estimera qu’il est plus responsable d’abdiquer que d’entamer une guerre civile. Tout dépendra alors des réactions sur le terrain. Ce que je t’écris, je ne parviens même pas à l’imaginer mais en même temps je ne vois guère d’autres possibilités… »
Upper Arlington, Ohio, 8 juillet 2020. © Dan Keck/Flickr
Ce scénario catastrophe, ils sont de plus en plus nombreux à l’envisager d’un bout à l’autre de l’échiquier politique américain. L’éditorialiste conservateur du New York Times, David Brook en décrit le déroulement comme le scénario d’une série TV : « Dans la soirée du 3 novembre, les Américains s’installent fébriles devant leur écran en l’attente des résultats de l’élection… Au petit jour, il semble que la nuit a été excellente pour Donald Trump. Au vu du premier décompte des bureaux de vote, Trump remporte la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan, trois États qui ne dépouillent pas les bulletins de vote envoyés par la poste avant le jour de l’élection. Trump déclare rapidement la victoire. Les médias ont beau prétendre que c’est prématuré, les supporters de Trump exultent. »
Les commentateurs ont beau répéter que 40 % des bulletins de vote envoyés par la poste sont en cours de dépouillement et qu’ils sont susceptibles d’être massivement en faveur de Joe Biden, rien n’y fait. Les médias pro-Trump confirment la victoire annoncée et font pression pour que Joe Biden reconnaisse sa défaite. Personne ne peut contrôler les émotions cette nuit-là.
Dans les jours qui suivent, au fur et à mesure que progresse le dépouillement des votes par correspondance, l’avance de Trump se réduit au profit de Joe Biden. Trump prétend y voir la preuve qu’une fraude massive est en cours et qu’on cherche à lui voler l’élection. La suite de ce scénario cauchemar est déjà décrite dans un documentaire qu’on peut voir sur Netflix, « Get Me Roger Stone » (« Appelez-moi Roger Stone ! »).
Ce dernier, un spin doctor spécialiste des basses œuvres de Nixon à Trump, raconte en détail le rôle qu’il a joué dans l’élection de G. W. Bush en 2000 en sabotant l’opération de recomptage des voix en Floride. Ces événements sont désormais connus sous le nom d’« émeute des Brooks Brothers ». Un véritable hold-up électoral.
« J’ai installé mon centre de commandement à un pâté de maisons du centre Clark, sur First Street, raconte Stone. J’avais des talkies-walkies et des téléphones portables, et j’étais en contact avec nos collaborateurs dans l’immeuble. » Le documentaire Netflix montre la foule qui entre dans les locaux, bouscule les agents et crée la confusion. À la fin, le recomptage est interrompu, ce qui permet à la Cour suprême de proclamer la victoire de G. W. Bush.
La même chose ne manquerait pas de se produire non plus seulement dans un État mais dans plusieurs à la fois si le comptage des votes par correspondance se prolongeait. Le Parti républicain a mobilisé 50 000 « observateurs du scrutin »… pour intimider les électeurs minoritaires le jour du scrutin ? Roger Stone vient d’être gracié par Trump d’une peine de 40 mois de prison. On ne sait pas quel sera son rôle au soir du 3 novembre mais on peut parier qu’il ne restera pas inactif.
« Le problème commence – mais ne s’arrêtera pas – avec Donald Trump, affirme le professeur de droit Lawrence Douglas, même si celui-ci a une fois de plus rappelé à la nation que perdre n’est pas une option. Il rejettera toute élection qu’il perdra, prétendant qu’elle est truquée. Aussi alarmant que cela puisse être, Trump seul ne peut pas faire planter le système. Au lieu de cela, une constellation inhabituelle de forces – la nécessité de s’appuyer fortement sur les bulletins de vote par correspondance en raison de la pandémie de Covid-19 ; les divisions politiques dans les principaux États du Michigan, du Wisconsin et de la Pennsylvanie ; et un Congrès hyper-polarisé – tous travaillent ensemble pour transformer le défi de Trump en une crise aux proportions historiques. »
En travaillant à un livre sur les alternances politiques aux États-Unis, Lawrence Douglas a compris que le système des élections présidentielles comportait un défaut de construction semblable à celui de Tchernobyl qui, placé dans certaines conditions de stress, rendait tout le système vulnérable à une panne catastrophique.
« Le risque d’un tel effondrement électoral est généralement plutôt faible, mais ce mois de novembre présente – d’une manière vue pour la dernière fois en 1876 – une combinaison de facteurs de stress qui pourraient conduire à un “epic fail” et au chaos. » Douglas évoque la possibilité d’un « Armageddon » électoral.
Jusqu’à récemment, les défenseurs de la démocratie se concentraient principalement sur la possibilité que Trump n’accepte pas les résultats d’une élection légitime. « Mais maintenant, un danger tout aussi grave est apparu, écrit David Litt, un ancien porte parole de Barack Obama, il se peut qu’il n’y ait pas d’élections légitimes du tout. »
Trump n’a-t-il pas menacé de suspendre le financement des États qui tentent de faciliter le vote par correspondance. Ses alliés républicains à travers le pays ont adopté des lois d’identification des électeurs, purgé les listes électorales et réduit le nombre de bureaux de vote dans les zones urbaines, forçant les gens à faire la queue pendant des heures pour exercer leur droit de vote.
Trump mène une guerre contre les électeurs démocrates, en particulier les Noirs, les Latinos, les Américains d’origine asiatique, les Amérindiens, les immigrants naturalisés, les pauvres et les jeunes… Une vieille tradition américaine, le « disenfranchisement », c’est-à-dire la privation du droit de vote appliquée aux votes des Africains-Américains dans le sud des États-Unis…
Que faire si Trump remet en question la légitimité des résultats électoraux et ne concède pas la défaite ? s’interrogent dans un article de The Intercept Frances Fox Piven et Deepak Bhargava.
Commencer par retenir la leçon de l’élection frauduleuse de G. W. Bush en 2000, affirment les auteurs de l’article. « Les démocrates se sont naïvement appuyés sur les tribunaux et les responsables locaux des élections pour valider la victoire de Gore. Le résultat ultime de cette pathétique stratégie démocrate n’a pas été seulement une victoire de Bush mais la guerre en Irak, la réponse raciste et inepte à l’ouragan Katrina et des milliards de dollars de réductions d’impôts pour les riches. »
Les auteurs soulignent la faiblesse de la stratégie démocrate qui risque de produire les mêmes effets. « La campagne de Joe Biden recrute des avocats, pas des organisateurs, et Biden lui-même a exprimé une confiance déplacée en l’armée qui “escortera le jour de l’inauguration [Trump] jusqu’à la sortie de la Maison Blanche”. »
Selon eux, nombreux seront ceux qui « exhorteront à ne pas “politiser” le processus, à attendre patiemment et à parler de “l’État de droit”, à ne pas “préjuger des résultats”, à faire confiance au processus et aux tribunaux, à rester à la maison et à laisser les types intelligents de DC [Washington DC, la capitale – ndlr] régler les choses en notre nom. Nous devons ignorer ces conseils et descendre dans la rue. »
Frances Fox Piven et Deepak Bhargava, qui expriment le point de vue de la gauche radicale, appellent à une mobilisation non violente dans toutes les villes des États-Unis dans le cas où Trump contesterait le résultat des élections. « Alors que les institutions, les normes et les élites ont échoué, il existe de nombreuses preuves que les protestations de masse produisent des changements. »
Et de citer le mouvement Occupy, les groupes de « résistance » qui se sont mobilisés au début des années Trump, le mouvement des droits des migrants qui se sont opposés par des protestations de masse au « muslim ban » de Trump et à la mise en cage des enfants à la frontière, la Marche des femmes, Black Lives Matter, tous ces mouvements qui ont recruté des millions de partisans, une base sociale puissante à partir de laquelle contester l’usurpation du pouvoir prévue par le président. (Lire sur ces nouveaux mouvements de résistance l’enquête passionnante du correspondant de Mediapart aux États-Unis Matthieu Magnaudeix, Génération Ocasio-Cortez, Les nouveaux activistes américains.)
« Nous devons nous préparer maintenant à répondre, affirment les auteurs de l’article, psychologiquement et stratégiquement, à quelque chose qui s’apparente à un coup d’État. Ce sont des scénarios sombres mais plausibles, et nous ferions mieux de les affronter plutôt que de les éviter. Le pire serait qu’un large front uni des forces anti-Trump soit pris au dépourvu dans les 72 heures suivant le jour du scrutin. Nous devons jeter les bases maintenant pour le type d’action de masse qui défend la démocratie. Ce faisant, nous nous rappellerons que la démocratie américaine n’est pas un ensemble d’institutions ou de règles, ou un événement qui se produit une fois tous les quatre ans ; c’est ce que font les gens ordinaires pour participer et façonner la vie de notre pays. »