États-Unis : les mensonges de Trump

Frédéric Autran, Libération, 12 novembre 2019

Dans son nouvel essai, Naomi Klein revient sur les débuts de la présidence Trump et l’urgence pour les démocrates d’offrir aux Américains une alternative progressiste.

A 47 ans, l’essayiste et journaliste Naomi Klein veut poser les bases d’une résistance efficace à Donald Trump. Dans son dernier livre, Dire non ne suffit plus (Actes Sud), paru en France le 8 novembre, la militante altermondialiste exhorte les forces progressistes à s’unir.

Ce livre incite les lecteurs, notamment Américains, à prendre du recul par rapport à la présidence Trump…

Je pense qu’après le rythme effréné des premiers mois de Trump à la Maison Blanche, les gens ont faim de perspectives. Ils veulent des éléments, historiques ou autres, leur permettant de remettre les choses dans un contexte global. C’est une approche saine, car si nous vivons en permanence dans l’instant, il est facile d’être désorienté, d’autant que Trump est très doué pour nous maintenir dans cet état.

Un an après l’élection de Trump, quel est votre état d’esprit ?

Je suis très inquiète. Je n’ai pas l’impression que les opposants à Trump, même s’ils reconnaissent les dangers de sa présidence, sont aussi concentrés, organisés et stratégiques qu’ils le devraient. L’énergie débordante des premiers mois de la présidence Trump, avec la marche des femmesla mobilisation contre ses décrets migratoires ou la mobilisation politique de gens qui ne s’étaient jamais impliqués auparavant, n’a pas encore été transformée en une force capable de battre Trump lors d’une élection.

Certains espèrent que Donald Trump n’ira pas au terme de son mandat. Qu’en pensez-vous ?

Cela m’inquiète beaucoup que l’opposition à Trump, et notamment l’élite du Parti démocrate, soit à ce point focalisée sur cette histoire de destitution, scénario extrêmement peu probable, plutôt que de se concentrer sur la possibilité, bien plus probable, de devoir l’affronter dans les urnes. Je veux être claire : je suis ravie que Robert Mueller [le procureur spécial qui enquête sur l’ingérence russe, ndlr] mène son enquête et il doit continuer à explorer toutes les pistes. L’idée que Mueller puisse nous débarrasser de Trump est évidemment séduisante pour beaucoup. Mais je crois que le Parti démocrate et les anti-Trump doivent laisser Mueller faire son travail et se concentrer sur la façon de battre Trump s’il n’est pas destitué. Mon livre s’intitule Dire non ne suffit plus parce qu’il exhorte les opposants à proposer, pas uniquement à s’opposer. En se focalisant sur l’affaire russe, on persiste à répéter «non, non, non».

«Le Parti démocrate doit se demander comment il a pu perdre contre un candidat aussi faible et pathétique»

Y a-t-il malgré tout des domaines où les anti-Trump sont force de proposition ?

Oui, sur la santé par exemple, notre réponse est très pertinente. Elle consiste à s’opposer aux efforts des républicains pour détricoter Obamacare, tout en proposant quelque chose de meilleur encore, à savoir un projet de couverture publique universelle. L’immigration est un autre exemple. Beaucoup de jeunes défendent le DACA [le décret d’Obama protégeant les migrants arrivés enfants aux Etats-Unis, annulé par Trump, ndlr] tout en martelant que le DACA n’a jamais été suffisant. Ils réclament davantage, notamment la régularisation de leurs parents.

Selon vous, le Parti démocrate a-t-il tiré les leçons de la défaite de Hillary Clinton ?

Je ne le crois pas. Et pourtant, le parti doit se demander comment il a pu perdre cette élection contre un candidat aussi faible et pathétique. L’establishment du parti est obsédé par le rôle de la Russie et cela ne fait que renforcer l’idée que les démocrates se sont fait voler l’élection. Cela leur évite d’avoir à se pencher sur leurs propres erreurs et de chercher à analyser pourquoi ils n’ont pas pu galvaniser leur base et pourquoi 90 millions d’Américains n’ont pas pris la peine de voter.

Le Parti démocrate semble n’avoir toujours pas digéré la bataille des primaires entre Clinton et Bernie Sanders ?

L’hostilité, voire la colère, qui persistent à l’encontre de Bernie et de ses partisans est totalement contreproductive. Certains continuent de marteler le même refrain : «Bernie n’est même pas démocrate.» Ils devraient se réjouir que Bernie, le politicien le plus populaire du pays, n’ait pas choisi de construire son mouvement à l’extérieur du Parti démocrate. Car s’il l’avait fait, ce dernier serait mort.

Vous précisez dans le livre qu’avant Bernie Sanders, vous n’aviez jamais soutenu publiquement un candidat…

Je ne crois pas que Bernie soit parfait. Si je devais imaginer mon candidat parfait, ce ne serait pas un vieux type blanc qui ressemble à un marxiste dogmatique, même si en l’occurrence Bernie ne l’est pas. La campagne de Bernie avait de sérieuses faiblesses, notamment sur les questions raciales et de genre. Trop souvent, ces sujets semblaient relégués au second plan par le discours sur les inégalités économiques. Mais en dépit de ces lacunes, la campagne de Bernie était historique parce qu’il a mis sur la table des politiques révolutionnaires. C’est pour cela que je l’ai soutenu totalement. Et puis sur le climat, un sujet crucial pour moi, il était excellent. Sa politique climatique était la plus audacieuse jamais défendue par un candidat à la présidence.

Selon les sondages, 60% des Américains sont favorables à l’émergence d’un troisième parti politique. Les idées progressistes défendues par Bernie Sanders peuvent-elles s’imposer au sein du Parti démocrate ?

Dans un monde idéal, nous ne serions pas coincés avec ce système bipartisan inefficient, et les pro-Sanders, le mouvement Black Lives Matter, les défenseurs du climat ou des droits des migrants formeraient un troisième parti. Je pense qu’il faut essayer une dernière fois de prendre le contrôle du Parti démocrate. Avec une différence toutefois : s’il y a un nouveau sabotage interne, si les instances antidémocratiques du parti cherchent à affaiblir le prochain candidat progressiste, il ne faudra pas faire comme Bernie, qui est rentré dans le rang et a soutenu Hillary Clinton. Il faudra faire sécession et créer un troisième parti.

Les élections législatives de mi-mandat ont lieu dans un an, mais les démocrates ne semblent pas du tout en ordre de marche. Quelles sont les priorités ?

Avant de parler des candidats, je pense qu’il serait stratégique d’élaborer une plateforme politique. Il faudrait que les différentes composantes de notre électorat (syndicats, défenseurs du climat, de la justice raciale, des droits des migrants et des femmes) se rassemblent pour définir une vision claire. C’est ce qu’a fait le Tea Party il y a plusieurs années. Ils ont élaboré leur programme puis ils ont demandé aux républicains de l’appliquer. Il se passe des choses au niveau local, mais nous avons besoin d’une réflexion au niveau national.

80% des électeurs de Trump continuent de le soutenir. Comment les convaincre de voter démocrate ?

D’abord, il faut arrêter de parler de la Russie car c’est une stratégie politique désastreuse. Les supporteurs de Trump ont des arguments pour contrer cette affaire : ils mentionnent Hillary Clinton, l’affaire de ses mails ou la Fondation Clinton. Quant à Trump, il sait très bien comment y répondre, en parlant de «Fake news».

Là où il est faible, c’est dans les Etats comme le Michigan ou la Pennsylvanie, où beaucoup de gens qui avaient voté Obama ont voté pour lui en raison des emplois et du commerce. Trump est vulnérable parce qu’il a menti à ses partisans, en leur promettant de protéger leur sécurité sociale et leur assurance santé, de purger Washington et de s’attaquer aux banques. Au lieu de ça, il a nommé des anciens de Goldman Sachs qui contrôlent la politique économique. Il faut l’attaquer sur cela, sur le fait que son projet de réforme fiscale va bénéficier aux riches et aux grandes entreprises auxquelles il promettait de s’attaquer.

Enfin, il faut mettre en avant un projet politique, comme l’a fait Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne, qui apporte des réponses aux besoins économiques et sociaux les plus urgents des électeurs. Le Parti démocrate ne peut pas être simplement anti-Trump, il doit être «pour» quelque chose.

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