Jean-Philippe Rémy, Le Monde, 27 novembre 2020 à
L’assaut des troupes fédérales dans la région dissidente du Tigré vise à consolider le pouvoir central, mais aussi à dissuader les vélléités autonomistes dans ce pays hanté par les questions d’appartenance nationale.
Au matin du jeudi 26 novembre, comme prévu à l’expiration de l’ultimatum de soixante-douze heures, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a annoncé la « phase finale de l’opération du retour à l’ordre public ». Menée par les troupes fédérales, celle-ci consiste à lancer l’offensive sur Makalé, capitale du Tigré, l’un des dix Etats régionaux que compte l’Ethiopie. Les jours prochains diront si la population a pu s’échapper, ou se protéger des combats dans cette ville d’un demi-million d’habitants coupée du monde ; et si les dirigeants de cette entité dissidente sont parvenus à fuir la nasse ou s’ils y mènent la résistance.
Debretsion Gebremichael, président du Tigré, également à la tête du Front populaire de libération du Tigré (FPLT), le parti qui s’est replié dans sa région d’origine après avoir été le cerveau et les bras de la coalition qui dirigea l’Ethiopie pendant près de trente ans, a prévenu que les siens étaient « prêts à mourir » pour défendre leur territoire. Il n’a pas dit s’ils comptaient combattre à Makalé. Ses propos traduisaient surtout que la guerre, qui a vu les forces fédérales prendre les principales villes du Tigré en moins de trois semaines, pourrait changer de nature et de terrain, pour se transformer en guérilla.
L’heure n’est pas aux compromis. Après avoir posé des conditions inacceptables pour une reddition (livraison de toutes les armes, arrestation massive des dirigeants), le pouvoir central a déclaré qu’il se montrerait « sans merci ». Une liste de 76 chefs du FPLT fait l’objet de mandats d’arrêt. La plupart sont des militaires, dont une partie constituait, encore récemment, l’ossature des Forces nationales de défense éthiopiennes (ENDF), l’armée fédérale qu’il a fallu purger en toute hâte avant qu’elle ne parte en guerre contre le Tigré, appuyée par des milices locales. Lors des semaines écoulées, alors que la tension montait jusqu’à provoquer le conflit, des pilotes originaires du Tigré avaient déserté, sabotant certains de leurs appareils. Depuis, des arrestations ou des limogeages ont eu lieu au sein des ENDF, y compris dans les missions de maintien de la paix en Somalie ou au Soudan du Sud, auxquelles l’Ethiopie contribue largement.
Menace de « destruction » du pays
Lorsque le premier ministre a annoncé, début novembre, son opération militaire, il a précisé que cette guerre civile refusant encore de dire son nom allait être menée en réponse à une menace de « destruction » de l’Ethiopie. A ce moment, sachant que le Tigré – coincé entre l’Erythrée, le Soudan et la région Amhara voisine – avait déjà été interdit d’accès aux journalistes sauf pour de rares visites encadrées, que les lignes téléphoniques et l’électricité y avaient été coupées, rendant tout suivi de la situation impossible, le mot « destruction » a été perdu dans le brouhaha de la propagande des deux camps, et mis sur le compte de la rhétorique de guerre.
Or le terme revêtait un sens plus profond, qui donne aussi la mesure de la gravité du conflit en cours en Ethiopie. C’est l’existence même de cette nation de 109 millions d’habitants qui se joue au cœur de cet affrontement, déclenché le 4 novembre. L’antagonisme entre le pouvoir central d’un côté, et le FPLT et ses dirigeants de l’autre, s’est fait sentir dès l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, en 2018. Même si l’ex-rébellion tigréenne marxiste-léniniste (tendance albanaise) – victorieuse, en 1991, du régime communiste du Derg aligné sur l’URSS, au sein d’une coalition de mouvements armés, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) − avait été depuis aux commandes de l’Ethiopie.
Bien que membre d’un des quatre partis de cette coalition, censée tenir compte des différentes « nationalités » du pays pour gouverner l’Ethiopie post-Derg, le premier ministre Abiy Ahmed, d’origine oromo, s’était empressé de « dé-FPLT-iser » le pouvoir. Il pouvait alors compter sur une grande partie de l’opinion publique éthiopienne, persuadée que les Tigréens avaient mis la main sur les ressources du pays. C’était en partie vrai. A une époque, à Addis- Abeba, même les mendiants étaient d’origine tigréenne. Après l’arrivée d’Abiy Ahmed, certains membres ou dirigeants du FPLT ont été mis en cause par la justice, notamment pour leur rôle supposé dans des détournements ou dysfonctionnements au sein du conglomérat militaro-industriel Metec. Ils se sont alors repliés vers leur capitale régionale, Makalé, qui subit aujourd’hui l’opération de « restauration de l’ordre ».
En mai, les élections ont été repoussées pour cause de Covid-19. En réalité, le pays menaçait d’être emporté par une masse critique de violences
Le point de non-retour entre le pouvoir central et les autorités du Tigré a été atteint lorsque ces dernières ont organisé, en septembre, des élections à l’échelle de leur région dont le pouvoir central refusait la légitimité. Des élections générales auraient déjà dû se tenir en Ethiopie en mai. Officiellement pour cause de Covid-19, elles avaient été repoussées. D’abord en août, puis à 2021. Mais la pandémie, dans ce cas, a eu bon dos. En réalité, confrontée à une multiplication des tensions locales – il y a aujourd’hui 1,8 million de déplacés dans le pays (soit 1 habitant sur 100), dont 68 %, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), sont les victimes de conflits locaux dans les dix régions –, l’Ethiopie menaçait d’être emportée par une masse critique de violences.
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Selon de nombreux observateurs, il était impossible de tenir ce scrutin, risquant de mettre le feu au pays, notamment dans les régions les plus peuplées – comme l’Oromia, dont est originaire le premier ministre –, qui échappent de plus en plus au contrôle d’Addis-Abeba. Dans ce contexte, l’annonce des responsables du FPLT de considérer désormais les autorités centrales comme illégitimes car ayant dépassé la fin de leur mandat, mais aussi d’organiser des élections de façon unilatérale, menait tout droit à une confrontation qui aura valeur d’exemple au-delà des questions électorales.
La crainte de la « destruction » exprimée par Abiy Ahmed s’inscrit dans une continuité historique propre à l’Ethiopie. Est ici en jeu une question de fond qui traverse le pays depuis qu’il existe sous sa forme moderne, apparue à la fin du XIXe siècle, et relève d’une hésitation entre deux visions institutionnelles : soit un Etat fondé sur une identité nationale, dirigé par un pouvoir centralisé ; soit une structure politique agrégeant des identités multiples. Aujourd’hui, cette seconde formule est à la fois à l’œuvre et en crise, sous la forme d’un « fédéralisme ethnique » mis en place après la chute du régime communiste en 1991, mais qui avait été théorisé et longuement discuté par les dirigeants du FPLT lorsque ces derniers étaient encore dans le maquis.
Créé par un petit groupe d’étudiants, de paysans et de sous-officiers, le 18 février 1975, à Dedebit, au Tigré, le Front populaire de libération allait devenir l’un des mouvements armés éthiopiens en lutte contre le pouvoir central, alors aux mains du colonel Mengistu Haïlé Mariam, aligné sur l’Union soviétique. Le groupe rebelle tigréen n’était alors pas le seul, et certainement pas le plus important, à combattre le régime du Derg. Un an plus tard, en 1976, ses membres rédigeaient un manifeste affirmant que le premier objectif de la lutte armée est l’établissement d’une République démocratique indépendante du Tigré. Aux dépens de la libération du territoire national éthiopien, et au nom d’un repli sur des valeurs qui remontent, selon les auteurs du texte, à la perte d’autonomie de leur région après la mort de l’empereur Yohannes IV, en 1889… Celui-ci n’était pas seulement l’un des empereurs ayant œuvré à l’unité éthiopienne, il était aussi le dernier à être tigréen.
Merera Gudina, un des dirigeants de l’opposition politique, également chercheur, dont la thèse portait sur ces questions, avait résumé le ton fiévreux qui régnait dans les maquis des années 1970. « Entre 1974 et 1978, la question nationale est devenue un sujet de controverse majeur entre les différents groupes d’extrême gauche [engagés dans la lutte armée contre le pouvoir], qui en débattaient comme s’il s’agissait de sectes religieuses », écrivait-il dans Ethnic Federalism. The Ethiopian Experience in Comparative Perspective (éd. James Currey, 2006, non traduit).
Instauration d’une « fédération ethnique »
Lorsque s’effondra le régime du Derg, et qu’entra dans Addis-Abeba, fin mai 1991, une coalition de forces rebelles, un bain de sang était redouté. Allait-on assister à un effondrement, à l’image de la Somalie voisine quelques mois plus tôt, quand, après avoir fait tomber la dictature de Mohamed Siad Barre (1969-1991), les rebelles s’étaient combattus les uns les autres selon leur appartenance clanique ? En Ethiopie, il n’en fut rien. Une coalition fut forgée pour encadrer le système de gouvernance. « L’instauration d’une fédération ethnique a empêché l’éclatement du pays », estime avec le recul Sonia Le Gouriellec, maîtresse de conférences à l’université catholique de Lille et spécialiste de la Corne de l’Afrique.
Le fédéralisme devait absorber les différences et les chocs. Le pays, dirigé en théorie par le FDRPE, coalition de quatre partis incarnant chacun une « nationalité », entretenait l’illusion d’un partage du pouvoir raisonné entre ces nationalités, dissimulant tant bien que mal un Etat-FPLT. « Il n’est pas étonnant que les diplomates et les spécialistes s’intéressent tant aux dirigeants du FPLT, note une source bien informée. Pendant trente ans, ils n’ont pratiquement eu affaire qu’à eux. » La contestation, née dans les années 2000 malgré les progrès de l’Ethiopie menée d’une main fer par l’ex-premier ministre, Meles Zenawi, s’est amplifiée à sa mort, en 2012.
Pendant six ans, l’Ethiopie était au bord du désastre. Des milices régionales se sont développées, contestant le pouvoir central, ou se mêlant de conflits locaux. En 2018, l’arrivée d’Abiy Ahmed laissait espérer la fin de la répression menée par les forces fédérales ainsi qu’une libéralisation de l’économie, jusqu’ici contrôlée en grande partie par des responsables politiques. Il était temps.
Jean-Nicolas Bach, chercheur au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique et directeur du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) à Khartoum, inscrit la crise actuelle dans une longue décennie de dégradation. « Le modèle mis en place en 1991 était à bout de souffle, explique-t-il. On l’a vu à partir des élections de 2005. Cela n’a fait que s’aggraver après la mort de Meles Zenawi [en 2012]. D’une part, parce que le pays était devenu incontrôlable, et que la crise de gestion de la diversité restait non résolue. D’autre part, parce que cette crise est enracinée dans les pratiques autoritaires d’un pouvoir qui n’a jamais envisagé de démocratiser réellement – même après 1991. Le premier ministre Abiy hérite de ce système. En d’autres termes, ce ne sont pas les appartenances nationales en tant que telles qui sont le problème, mais bien l’autoritarisme. »
Meles Zenawi avait été l’architecte visionnaire d’une Ethiopie industrialisée, tendue vers la croissance destinée à sauver le pays de sa misère, de son sous-développement et de la menace de l’entropie portée par les multiples « nationalités » (ou ethnies). Dans un texte d’hommage publié après sa mort dans la revue African Affairs, en 2012, Alex de Waal, politologue et responsable de la division Afrique au think tank britannique Chatham House, relevait une réflexion de l’ancien premier ministre : « Je suis convaincu que nous cesserons d’exister en tant que nation si nous ne parvenons pas à créer une croissance importante et un partage des richesses. »
Abiy Ahmed, lui, a pleinement conscience que le pays tremble à nouveau sur ses bases, mais pour des raisons différentes, dont certaines hantent la nation éthiopienne depuis des siècles. Jean-Nicolas Bach considère que le conflit en cours baigne à la fois dans l’histoire et dans cette contradiction des lectures historiques éthiopiennes, comme en témoignent les références constantes à l’empereur Ménélik II (1844-1913), fondateur de l’Ethiopie moderne. « Si l’on s’en tient à la période de l’empereur Ménélik, dit-il, il est fascinant de constater à quel point elle influence toujours les discours politiques. Ménélik a suivi une logique impériale de conquête. Au cours des trente dernières années, la vie politique en Ethiopie a été traversée par la question de savoir si cela fait de lui un héros ou un tueur sanguinaire. La même question traverse les tenants d’un nationalisme éthiopien (multinational) ou d’un nationalisme fondé sur les diverses nationalités éthiopiennes (ethno-national ou régional). Entre ces deux lectures, il y a désormais une ligne qui semble infranchissable, sans compromis possible. »
Comme au temps des empereurs
Cette classification fonctionne aussi avec ses codes. Ainsi, pour une partie de l’opinion de la région Oromia, adhérer à la doctrine de la centralisation signifie travailler au retour de la domination des Amhara, comme au temps des empereurs qui avaient conquis leur région. Pour preuve de cette théorie en forme de prophétie autoréalisatrice, ils observent qu’Abiy Ahmed – lui-même oromo – avait d’abord été porté par les mouvements de jeunesse de l’Oromia, les Qeerroo, au temps de la contestation du pouvoir tenu par le FPLT. Avant de s’entourer d’Amhara, dont des milices le soutiennent aujourd’hui dans une grande partie des combats au Tigré.
Certaines de ces milices revendiquent à nouveau le Wolkait, un territoire que s’étaient disputé les régions Amhara et Tigré, à la fin du Derg, avant d’être placé sous l’autorité du Tigré alors tout-puissant. Avec leur participation à la guerre menée par Abiy Ahmed, s’amplifie la menace de massacres au Tigré. Que se confondent ainsi des enjeux nationaux, imprégnés des craintes qui hantent la nation depuis des siècles, et des litiges très locaux, est peut-être un symptôme de la crise profonde que vit l’Ethiopie. Car l’opération contre Makalé a peu de chances de stabiliser le pays. « Jusqu’ici, les Oromo observent la situation, mais s’ils voient que le pouvoir central est faible et mis en échec au Tigré, ils pourraient entrer dans le conflit à leur tour, comme d’autres régions. La menace, à terme, c’est une dislocation de l’Ethiopie. Cela explique au moins en partie la force de la réponse du pouvoir central », note une bonne source régionale.
Abiy Ahmed n’est pas seulement conscient d’une menace de « destruction ». Il est aussi pénétré de l’idée qu’il lui revient de sauver l’Ethiopie, fût-ce en écrasant le Tigré
Abiy Ahmed n’est pas seulement conscient de la menace de cette « destruction ». Il est aussi pénétré de l’idée qu’il lui revient de sauver l’Ethiopie, fût-ce en écrasant le Tigré, une région difficile à réduire à résipiscence. Terre d’histoire, terre de sang, terre de foi et de résistance, le Tigré n’est pas forcément un cadeau pour qui veut en faire la conquête. L’armée du Derg, pourtant soutenue par l’URSS, n’a jamais réussi à y écraser le FPLT. C’est aussi dans le Tigré qu’avait été stoppée la percée conquérante des troupes coloniales italiennes lors de la bataille d’Adoua (1896). La région, qui est un des berceaux de l’Ethiopie, est aussi un traité grandeur nature d’histoire et de géographie, dans un pays hanté par l’éventualité de son éclatement. La lecture du passé est omniprésente et alimente les conflits.
On évoque dans les conversations, comme s’il s’agissait d’un événement pesant de tout son poids sur le présent, la période dite Zamana Masafent (« l’Ere des Princes », de 1769 à 1855), lorsque les grands seigneurs se disputaient le pouvoir. On cherche à évaluer si les empereurs qui ont fait l’Ethiopie moderne – au premier rang desquels figure Ménélik II – sont des unificateurs ou des colonisateurs. Du point de vue des régions conquises à cette époque et depuis rattachées à l’Ethiopie – dont une grande partie de l’Oromia –, il s’agit d’une invasion qui les a marginalisées, dont il faut aujourd’hui se sortir.
Dans l’immédiat, que va-t-il se passer au Tigré ? Les spécialistes estiment que ses dirigeants ont eu le temps d’arriver à la conclusion qu’une guerre classique ne pouvait être remportée. Qu’il leur faudrait par conséquent prendre le maquis, comme ils l’avaient fait au début de la rébellion. Au milieu des années 1970, le Front populaire de libération du Tigré prônait déjà l’évitement des affrontements en terrain ouvert avec des forces mécanisées, préférant l’usure, le harcèlement. Gérard Prunier, historien qui a dirigé le Centre français des études éthiopiennes à Addis-Abeba, et qui a vécu une partie de la guerre civile contre le régime du Derg dans le bush, est certain que ressurgissent les anciens réflexes : « Les hommes du FPLT ont caché des armes et des munitions dans de multiples endroits. Les troupes fédérales, ou ce qu’il en reste, avec leurs alliés des différentes milices notamment Amhara, peuvent prendre les villes. Mais il y a gros à parier qu’ils devront ensuite faire face à une guérilla extrêmement difficile à vaincre. »
Revendications autonomistes
Le combat n’a cependant pas pour seul théâtre les montagnes du Tigré. L’enjeu pour l’Ethiopie est de nature politique, et tient à la définition de l’Etat. « Abiy a promu une vision unitaire, qui s’est traduite par la dissolution de plusieurs partis ethniques et de la coalition au pouvoir, et par la création du Prosperity Party [Parti de la prospérité] que les élites du Tigré ont refusé d’intégrer, générant des frustrations dans la plupart des autres régions, y compris dans l’Oromia », relève Sonia Le Gouriellec. Dans l’intervalle, les revendications autonomistes – autorisées par la Constitution – se sont multipliées. En novembre 2019, un référendum s’est tenu dans le sud de l’Ethiopie, dans la Région des nations, nationalités et peuples du Sud (RNNPS). A l’issue du vote, la zone du Sidama avait acquis une certaine d’autonomie, devenant la dixième « région » du pays. Dans la foulée, dix autres zones ont demandé à mener à leur tour des consultations. « L’intervention militaire lancée le 4 novembre est donc à la fois un moyen pour le pouvoir central de se consolider, mais aussi de dissuader toutes les autres régions de réclamer leur droit à l’autodétermination », conclut Sonia Le Gouriellec.
En Ethiopie, l’obsédante question se pose à nouveau : le premier ministre Abiy Ahmed est-il le sauveur de la nation, ou son fossoyeur ? Pour ce dirigeant qui avait tenu un discours vibrant lors de la réception de son prix Nobel de la paix, en décembre 2019, avant de lancer, moins d’un an plus tard, une opération militaire dans le Tigré, la réponse est complexe. A Oslo, Abiy Ahmed avait dit son horreur de la guerre, vécue justement au Tigré, lors du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée (1998-2000), mais aussi son intention de travailler à l’unité du pays : « Il n’y a qu’un “nous”, car nous sommes tous liés par un destin commun d’amour, de pardon et de réconciliation. » Des propos qui, sortis de leur contexte, paraissent évoquer avec émotion l’unité de la nation, mais qui, en Ethiopie, traduisent la volonté d’imposer un projet politique. Ceux qui s’y opposeraient peuvent s’attendre, comme à Makalé, à subir les foudres du nouveau Menelik.