Crédit : Miguel Discart CC BY-SA 2.0 via Flickr https://www.flickr.com/photos/151639852@N07/45205739415

Jimena Aragon, participante à la délégaton jeune à l’UÉMSS.

Voici le résumé d’un atelier faisant l’état des lieux des mobilisations et des alternatives en France pour une autre politique migratoire d’accueil. Les groupes à l’initiative de cet évènement sont : l’Union syndicale solidaire, la Ligue des droits humains, Le Collectif des Travailleurs Sans Papiers de Vitry, Solidarité Asie France, Attac France, Le collectif Uni.e.s Contre l’Immigration Jetable (UCIJ 2023).


Un des pays où la lutte pour la régularisation des sans-papiers fait couler beaucoup d’encre, c’est la France. Le terme « sans-papiers » fait référence aux individus qui résident sur le territoire français sans avoir de statut de séjour légal1. Ces personnes peuvent être des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée, des personnes en attente d’une régularisation, ou des migrants ayant dépassé la durée de leur visa ou n’ayant pas emprunté les voies légales pour rentrer sur le territoire. La situation des sans-papiers en France est complexe et politiquement sensible. Elle soulève des questions humanitaires, sociales, économiques et juridiques. Leur statut précaire peut les exposer à des risques tels que le travail informel, l’exploitation et la discrimination.

État des lieux des sans-papiers en France

On estime qu’en France il y aurait entre 600 000 et 700 000 personnes en situation de précarité dû à leur statut qui n’est pas régularisé. Plusieurs motifs peuvent expliquer le fait de vouloir trouver refuge dans un autre pays, entre autres les effets de la guerre ainsi que les inégalités économiques et sociales ou encore les crises environnementales qui sont de plus en plus fortes. Cependant, ce qui est souvent invisibilisé dans les débats entourant les personnes sans-papiers, c’est la situation de précarité dans laquelle ces personnes se trouvent, aspect central de leur situation en France. Cet état de précarité découle de leur statut de résidence irrégulière et engendre un large éventail de difficultés et de défis auxquels ils sont confrontés. Entre autres, ils rencontrent souvent des difficultés pour trouver un logement décent et peuvent être exclus du marché locatif officiel, se retrouvant à vivre dans des conditions insalubres ou temporaires et des logements surpeuplés. De plus, ils ont tendance à travailler dans des milieux où ils sont exposés à l’exploitation, aux bas salaires et aux mauvaises conditions de travail. Dû à la situation de vulnérabilité dans laquelle ils se retrouvent, ils sont ainsi plus susceptibles d’être exploités et vivre différentes formes d’abus. En outre, à cause de leur crainte constante d’être arrêtés et déportés, ces personnes auront moins tendance à signaler les situations problématiques dans lesquelles elles se retrouvent. Plusieurs mouvements sociaux et groupes non-gouvernementaux militent ainsi pour une politique migratoire d’accueil.

Au Canada, un programme officiel, mais qui autorise des abus

De notre côté de l’océan, nous voyons une situation avec certaines similarités concernant certains groupes d’immigrants. C’est le cas entre autres pour les travailleurs agricoles saisonniers régis par le Programme fédéral des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS)2. Le PTAS, qui est l’un des programmes principaux utilisés dans le domaine de l’agriculture primaire, permet de faire appel à des travailleurs temporaires internationaux provenant des Caraïbes et du Mexique afin de les faire travailler dans les champs agricoles pendant une période maximale de huit mois par année et ainsi essayer de pallier la pénurie de main-d’œuvre dans les champs. Même si l’entrée sur le territoire est légale, l’accès aux droits demeure incomplet.

Bien qu’au moment de l’implantation de ce programme dans les années 60 l’appel à la main-d’œuvre internationale se voulait une mesure de dernier recours, la pratique a confirmé que, désormais, les travailleurs du PTAS représentent un élément central pour le secteur agricole primaire au Québec. Juste en 2021, nous avons accueilli plus de 18 000 travailleurs agricoles venant de l’international, ce qui représente près du tiers des travailleurs dans cette catégorie accueillie dans l’ensemble du Canada pour 2021. Bien que la situation nous donne vraiment le sentiment d’avoir une formule gagnant-gagnant, il y a une facette plus sombre accompagnant le statut migratoire des travailleurs régis par le PTAS qui les rend plus vulnérables et plus propices à vivre dans la précarité. En effet, on ne compte plus les études qui démontrent clairement que vivre avec un statut temporaire entraîne une situation de grande vulnérabilité à l’exploitation. Pour des travailleurs avec un permis de travail fermé, qui leur empêche de changer d’employeur, cette vulnérabilité se voit encore plus accentuée créant ainsi une dépendance de ce personnes à leurs employeurs.

Puisqu’aucun témoin ne voit ce qui se passe sur le lieu de travail ou dans les résidences fournies par l’employeur et parce que ces personnes sont dans une situation de grande dépendance, il est très complexe, voire impossible pour elles de revendiquer des droits en cas de mauvais traitements. Bien sûr, ce ne sont pas tous les employeurs qui profitent de cette situation, mais s’ils le veulent, ils sont dans une position qui leur est favorable pour exploiter. Ainsi, plusieurs travailleurs agricoles internationaux voient leur quotidien hanté par la peur d’être déportés et marqués par les abus, l’exploitation et l’absence de droits.

Par conséquent, on retrouve deux situations qui, officiellement, sont différentes : un groupe qui se retrouve avec un statut d’immigration temporaire qui est officiel et un groupe où ce statut est plutôt clandestin. Par contre, la question se pose de savoir si les impacts de leurs statuts ne possèdent pas plus de similitudes qu’on le pense. En effet, dans les deux cas, ces deux groupes d’immigrants se retrouvent dans une situation de vulnérabilité et de précarisation; ils font ainsi partie intégrante du modèle de marchandisation et d’exploitation de l’immigration.

Deux pays, mais un même processus de marginalisation

En somme, que ce soit en France avec les sans-papiers ou de ce côté de l’océan avec les travailleurs agricoles saisonniers régis par le PTAS, il est clair que les statuts migratoires précaires ont des conséquences profondes et similaires sur la vie des individus concernés. Les barrières administratives et légales les exposent à l’exploitation, à la discrimination et à une dépendance envers leurs employeurs. Ces deux réalités, en apparence distinctes, se rejoignent dans leur vulnérabilité face à un système qui, d’une manière ou d’une autre, exploite et fragilise les migrants. Si les contextes et les formes de précarité diffèrent, le fil conducteur de la marginalisation persiste. Cela souligne l’importance d’adopter des politiques migratoires plus équitables, humaines et justes, qui reconnaissent les droits fondamentaux de tous, quels que soient leurs statuts, et qui visent à briser les cycles de vulnérabilité et d’exploitation. En fin de compte, que ce soit en France, au Canada ou ailleurs, la dignité et les droits des migrants doivent rester au cœur des débats et des actions pour créer des sociétés plus inclusives et respectueuses de la dignité humaine.

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Sans_papiers []
  2. https://www.cfa-fca.ca/fr/enjeux/le-programme-des-travailleurs-etrangers-temporaires-et-lagriculture-canadienne/ []