Manifestation contre la loi Immigration, Marseille 29.04.2023. Crédit : AN2302 via Wikimedia Commons CC BY-SA 4.0 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4b/Manifestation_contre_la_loi_Immigration%2C_Marseille_29.04.2023._2.jpg

Par Ananda Proulx, participante à la délégation jeune à l’UÉMSS

70 à 80% de la population de Mayotte se situe sous le seuil de pauvreté. la France a annoncé le déploiement de l’Opération Wuambushu, en vue de neutraliser la « délinquance » dans l’archipel.


Cet article est tiré de l’atelier Mayotte : l’opération Wuambushu en question organisé par Association internationale d’experts, techniciens et chercheurs (AITEC) et Médecins du monde. L’atelier s’est tenu dans le cadre de l’Université des mouvements sociaux et des solidarités à Bobigny.


Mayotte est un département outre mer de la France, situé dans l’océan Indien entre Madagascar et la côte du Mozambique. Alors qu’entre 70 à 80% de la population de Mayotte se situe sous le seuil de pauvreté et qu’il s’agit du département français le plus délaissé par la France,  celle-ci a annoncé le déploiement de l’Opération Wuambushu, en vue de neutraliser la « délinquance » dans l’archipel.

C’est pourquoi, à l’instar d’André Schuster, du groupe AITEC, on peut se questionner : comment ne peut-on s’attaquer qu’aux symptômes d’un problème endémique ? Pourquoi la France, une puissance mondiale, n’a pas plutôt proposé une solution plus pérenne, qui s’attaque au caractère endémique du problème au lieu de s’en prendre aux symptômes ?

En 1840, l’île de Mayotte est vendue à la France qui a officialisé son statut de département qu’en 2010. La population se situe autour de 270 000 personnes et l’âge moyen est de 23 ans en 202112. L’accès au logement est un enjeu de taille pour cette région insulaire. Autour de 40% des habitations sur l’île sont des « cases », soit des occupations illégales de fortune3.

Mayotte est composée d’une population assez hétérogène. En 2017, 48% de la population est considérée comme étrangère. Toutefois, la question identitaire s’avère beaucoup plus complexe. Certains personnes participantes de l’atelier originaires de Mayotte ont souligné que plusieurs personnes considérées comme étrangères proviennent d’îles voisines, comme Comores dont le drapeau comporte même quatre étoiles, soit une pour chaque île de ce petit archipel. Ces îles partagent une identité, une culture, voire même une appartenance selon les témoignages exprimés dans la discussion.

Reconduire à la frontière des milliers de personnes semble alors complètement absurde, puisqu’il ne s’agit pas d’une revendication locale. Mayotte voyait autour de 20 000 reconduites par an avant l’émergence de l’opération Wuambushu et expliquait 50% des reconduites dans tous les territoires français4. Pour André Schuster, il s’agit d’une attitude de fermeture et d’intolérance française quant à l’immigration, considérant l’accent que la France pose chaque année sur les déportations de personnes.

Le problème réside dans la distribution de la richesse. Depuis la départementalisation de l’île, c’est la classe privilégiée et éduquée, d’ailleurs minoritaire, qui bénéficie de l’afflux budgétaire conséquent. Pourtant, parmi les buts principaux de l’opération Wuambushu, on y retrouve la lutte contre l’habitat précaire et illégal, la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte contre la délinquance.

L’État français doit se responsabiliser sur ce problème qui touche sa propre population. Il est temps d’arrêter de traiter à part ces personnes ressortissantes sur un territoire qui fait partie de la République. Alors qu’on leur octroie un moindre souci prioritaire et que leurs propres intérêts ne semblent pas considérés, le sort que la France réserve à la population de Mayotte ne s’inscrit-il pas dans une logique néocolonialiste ?

Le discours dominant suit une ligne directrice qui amalgame immigration, délinquance et quartier informel / précaire. Le discours dominant est porté par les autorités locales et des collectifs virulents de citoyens qui font pression pour engager des actions contre ces « étrangers », qui sont de la même origine.

Selon Delphine Fanget, les « caillassages » dont sont accusés les Mahorais sans statut vivants dans l’Ïle de Mayotte sont perpétrés souvent par des élèves de nationalité française qui sont scolarisés. L’assimilation entre la délinquance, l’immigration clandestine et l’existence de bidonvilles constitue ainsi un faux discours.

L’existence de la pauvreté n’est ainsi que très peu abordée par les élus locaux. L’opération Wuambushu ne propose aucun plan d’action pour lutter directement contre celle-ci, alors qu’elle correspond au problème principal qui touche l’île et qui est à l’origine des enjeux de logement et de recours à la violence. Par ailleurs, le montant spécifique déployé par les dépenses publiques reste un mystère, mais on sait que 1800 policiers et gendarmes ont été envoyés au total à Mayotte5 ! Il est temps que la France réserve la même assiduité et considération pour tous et toutes.

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Data Commons (2020, janvier). Mayotte. https://datacommons.org/place/country/MYT/?utm_medium=explore&mprop=count&popt=Person&hl=fr []
  2. Institut national de la statistique et des études économiques. (s.d.). Statistiques démographiques de Mayotte. Insee. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039943?sommaire=5040030 []
  3. Linfo.re. (2023, août 30). Mayotte : les cases en tôles passent de 14 à 38 en 20 ans. Linfo.re. https://www.linfo.re/ocean-indien/mayotte/mayotte-les-cases-en-toles-passent-de-14-a-38-en-20-ans []
  4. Centre de recherche et d’information pour le développement. (s.d.). Arrêtez Wuambushu !. CRID.https://crid.asso.fr/mayotte-arretez-wuambushu/ []
  5. France TV Info. (2023, juin 25). Mayotte : l’opération Wuambushu est prolongée d’un mois. France TV Info. https://www.francetvinfo.fr/economie/crise-a-mayotte/mayotte-l-operation-wuambushu-est-prolongee-d-un-mois_5910425.html []