Face à la contre-révolution conservatrice au Brésil

Raphaël Canet milite au Comité FSM2016 et était présent à la rencontre du Conseil international en octobre 2017 au Brésil.

Le Conseil international (CI) du Forum social mondial a tenu sa dernière rencontre à Salvador de Bahia (Brésil), les 15 et 16 octobre derniers. La réunion s’est déroulée dans les locaux de l’Université fédérale de l’État de Bahia (UFBA), qui sera aussi l’hôte de la prochaine édition du FSM, du 13 au 17 mars 2018. L’objectif général de la rencontre était de faire un bilan du processus organisationnel du prochain FSM, et de voir comment les membres du CI pouvaient contribuer et appuyer le processus global de mobilisation dans un contexte régional et global de grande adversité.

La réunion a été officiellement ouverte par plusieurs représentants officiels de l’État de Bahia ainsi que de l’université, notamment le recteur, qui est personnellement très mobilisé dans un contexte social et politique très difficile du Brésil. Les universités publiques y subissent d’importantes coupes budgétaires et cela donne lieu à de fortes mobilisations rassemblant les étudiants et les représentants de l’administration universitaire, contre le gouvernement Temer dénoncé pour sa corruption. La tension est telle que le recteur de l’université fédérale de l’État de Santa Catarina s’est suicidé pour exprimer radicalement la tragédie que vit actuellement le monde universitaire brésilien. Après nous avoir lu un message que lui avait envoyé son défunt collègue, le recteur de l’UFBA a affirmé son total engagement auprès du FSM. Car si l’offensive conservatrice attaque le monde de l’université, notamment le réseau public, c’est parce que l’université est aussi un lieu naturel de promotion des droits et de la liberté, selon lui. Tout comme le FSM, l’université renforce et alimente les forces progressistes et les aspirations à l’émancipation. Le FSM sera aussi l’occasion de dénoncer la dérive autoritaire du monde. « Dans le contexte mondial actuel de crise du capitalisme et d’offensive de l’impérialisme, le FSM a une importance fondamentale, c’est la voix de l’espérance, pour ramener la démocratie au Brésil et dans le monde », a affirmé quant à lui le gouverneur de l’État.

À 5 mois de l’évènement, il était important de faire un bilan de l’évolution de la conjoncture mondiale et régionale afin de réfléchir à la pertinence et l’apport du FSM, et surtout de développer des stratégies de mobilisation fortes pour l’évènement. Comment le FSM peut contribuer positivement au processus de transformation sociale en cours?

Le portrait général de la conjoncture nous place globalement dans un contexte défensif de contre-révolution. En Amérique du Nord, nous subissions les assauts de la contre-révolution sous 3 formes. Tout d’abord, l’impérialisme commercial des États-Unis. Nous assistons à un regain du discours populiste contre le libre-échange, qui ouvre la voie à la renégociation des accords de libre-échange afin de mettre de l’avant les intérêts américains (finance, multinationales qui bénéficient de la révolution numérique comme les GAFA). Mais il ne faut pas se leurrer. Nous n’assistons pas à la fin du libre-échange, mais plutôt à l’imposition d’un nouvel impérialisme économique agressif des États-Unis. Ensuite, la guerre aux ressources naturelles. L’Amérique du Nord est le théâtre d’une course à l’exploitation des ressources naturelles, notamment dans le secteur des énergies fossiles très polluantes (sables bitumineux, gaz de schiste…). L’enjeu se situe autour des infrastructures de transports de ces substances (pipelines, ports méthaniers, trains-citernes…), qui traversent des territoires autochtones, des villes, des cours d’eau… Les mobilisations se multiplient et permettent de nouvelles convergences (environnementalistes, autochtones, féministes, autorités locales, citoyens…). Nous avons eu une victoire au Québec avec l’abandon du projet Énergie Est. Enfin, la stigmatisation des migrants. Les politiques discriminatoires se multiplient aux États-Unis (latinos, afro-américains). Le discours sur le mur avec le Mexique attise les préjugés et tensions intercommunautaires. Nous avons récemment assisté à une vague de réfugiés haïtiens vers le Canada, en provenance des États-Unis, qui a provoqué des sentiments partagés dans la population (solidarité/rejet), ramenant la question identitaire à l’avant-plan dans un contexte préélectoral au Québec. Toutes ces politiques traduisent un processus en cours et renforcé de fermeture des frontières des États du nord à l’égard de la pression migratoire, réelle ou fantasmée, du Sud.

En Europe, nous voyons les effets très concrets de la phase de contre-révolution, notamment dans les succès de l’extrême droite et l’application des politiques néolibérales. Cela occasionne certes des mouvements de résistance, mais qui sont freinés par la division au sein de la gauche. Nous disposons des réseaux mondiaux dans beaucoup de secteurs, ce qu’il manque c’est la transversalité, une forme d’accord entre les mouvements pour parler d’une seule voix, pas pour avoir une vision unique du monde, mais pour dire, nous faisons toutes ces choses sur ces différents aspects. Il faut voir comment le FSM peut aider en ce sens.

Au Kurdistan, plusieurs révolutions sont actuellement en cours et doivent nous inspirer afin de poursuivre notre engagement dans une perspective féminine, écologique et démocratique. On a besoin d’outils d’autodéfense sur les fronts économiques, politiques, culturels, face aux pouvoirs globaux (exemple du Rojava). Au Maghreb, la situation est difficile, et il faut voir comment le FSM peut nous permettre de faire de nouvelles alliances. Pour cela, il faut traduire la conjoncture internationale dans l’espace du FSM, que les axes thématiques du FSM 2018 puissent nous solidariser avec les luttes locales et régionales.

Par ailleurs, dans le contexte global d’hégémonie de l’idéologie de la modernité fondée sur la white supremacy, le FSM de Bahia est un bon moment symbolique pour mettre de l’avant la question de la racialisation des rapports sociaux, pour aborder la question du racisme structurel et des nécessaires réparations symboliques. Il ne faut pas pour autant oublier le contexte d’inégalité croissant, dans les Amériques et dans le monde, qui doit aussi se situer au cœur des revendications. Si un autre monde est possible et nécessaire, la lutte contre les inégalités est fondamentale dans ce projet.

Dans ce contexte difficile, la plupart des membres du CI réunis à Bahia convenaient du fait que le rôle du FSM est d’innover afin de stimuler les différentes révolutions en cours (féministe, autochtone, numérique, écologique et migratoire) pour confronter la contre-révolution qui domine actuellement. Le FSM doit donner de la visibilité aux invisibles, appuyer les peuples, mieux connecter les luttes locales au niveau mondial. Le FSM doit être à la fois un espace de convergence et un espace public de controverse. Dans la conjoncture actuelle de profonds bouleversements, nous avons besoin de nouveaux paradigmes, de nouveaux narratifs, et surtout il est fondamental de resolidariser les groupes, de lutter contre la fragmentation des forces progressistes.

La réunion du CI précédait le Congrès étudiant de l’UFBA, qui a rassemblé 8000 étudiants et au sein duquel les travaux du CI se sont poursuivis sous la forme d’un séminaire thématique public de deux jours. Cela a créé un état d’effervescence et témoignait d’une réelle énergie positive autour du FSM 2018. Par ailleurs, l’engagement clair de l’UFBA aux côtés du FSM lève tout doute sur les entraves logistiques à sa réalisation. Le défi majeur demeure au niveau de la participation et donc de l’efficacité des stratégies de mobilisation qui vont être mises en œuvre. Les organisateurs parlent d’un objectif de 40 000 à 50 000 participants.

D’ici le FSM 2018, plusieurs moments forts de mobilisations se présentent à nous. Tout d’abord, les mobilisations autour de la COP23 qui se déroulera en Allemagne du 6 au 17 novembre prochain sont un bon moment pour rendre visibles les propositions alternatives de production, consommation et de vie, et de les promouvoir globalement. Ensuite, le Sommet des peuples contre l’OMC à Buenos Aires (Argentine) du 10 au 13 décembre prochain sera un moment important de mobilisation et de construction d’alternatives au nouvel impérialisme commercial global. Enfin, la journée mondiale de mobilisation contre le Forum économique mondiale, prévue à la fin du mois de janvier 2018.

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