« Nous pouvons prétendre écrire une page d’Histoire de France », a déclaré Jean-Luc Mélenchon.
Vers 16 h 30, le « grand Mélenchon » (comme l’a qualifié la députée insoumise Clémentine Autain, qui a cité « le grand Jaurès » en introduction) est entré en scène sous une standing ovation et les « Un-ion po-pu-laire ! » scandés par le public. Franc serrage de mains au premier secrétaire du PS Olivier Faure et au patron des Verts, Julien Bayou – le communiste Fabien Roussel est passé en coup de vent et a tourné les talons avant le discours –, longue accolade affectueuse à son directeur de campagne, Manuel Bompard, qui a négocié, pied à pied, et nuit et jour, pendant deux semaines, cet accord inédit pour les législatives…
Très en forme, parfois grave, parfois drôle, toujours habile, le prétendant à Matignon a livré un discours destiné à faire date, pour célébrer ce qu’il se refuse à appeler « gauche unie » ou « gauche plurielle ». Car « il faut arrêter de regarder dans le rétroviseur, c’est une autre l’histoire ». Comment l’appeler alors ? « La Nupes, a-t-il résumé sous les rires, oh ça va ! On s’est bien fait à “Larem” ! »
Le leader de l’Union populaire en est tout cas persuadé : loin d’être un simple accord électoral, la coalition formée pour les législatives ouvre un nouveau chemin pour une force « pérenne » – si toutefois ses membres font preuve de « fraternité » et de « camaraderie ». « J’ai assez vécu pour mesurer la profondeur historique de ce que nous sommes en train de réaliser. Nous écrivons une page de l’histoire politique de la France, et nous pouvons prétendre écrire une page d’Histoire de France ! », a-t-il lancé, soulignant que cet « accord général » à gauche était le premier depuis vingt-cinq ans, et même, de toute l’histoire, si l’on considère le nombre de candidatures uniques au premier tour.
Après avoir raté à un cheveu le second tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a, cette fois, réussi son grand œuvre : réorganiser la gauche autour de sa ligne de « rupture ». « Nous ne sommes pas en train de régler je ne sais quel congrès entre nous, ou en train de réaliser une partition. Nous posons un acte de résistance collective à une ère de maltraitance sociale écologique, démocratique », a souligné l’Insoumis, prenant soin de respecter, sur le fond comme sur la forme, les équilibres avec nouveaux partenaires. Et de montrer patte blanche sur « l’intolérable agression de monsieur Poutine contre le peuple d’Ukraine » à qui il a « dédié notre ferveur aujourd’hui », histoire de clore, une bonne fois pour toutes, l’épineux sujet qui a profondément clivé la gauche.
« Faites-vous plaisir pour une fois ! »
Loin d’être un pur meeting mélenchonien, l’après-midi avait d’ailleurs été soigneusement mise en scène pour exposer la pluralité des forces en présence. Un peu plus tôt dans la journée, on pouvait ainsi voir sur la scène des Docks, le patron des Verts Julien Bayou à la droite du patron des communistes Fabien Roussel, le premier secrétaire du PS Olivier Faure à côté de la députée insoumise Mathilde Panot (qui expliquait pourtant il y a deux semaines semaines son refus « définitif » de nouer un accord avec le PS), ou encore le député insoumis Adrien Quatennens derrière la « jadotiste » Éva Sas…
Il ne manquait que le NPA qui a enterré hier tout projet d’entrer dans la coalition. Et aussi quelques personnalités bien connues à gauche, à commencer par l’ancien candidat à la présidentielle Yannick Jadot ou la présidente du groupe socialiste à l’Assemblée, Valérie Rabault, qui n’ont jamais fait mystère de leur réticence à l’égard de cette union. Quant à François Ruffin, il a fait un passage express à Aubervilliers avant de repartir faire campagne dans sa circonscription.
Les meilleurs ennemis, qui s’envoyaient, il y a quelques semaines encore, des noms d’oiseaux à la figure, enfin réconciliés pour la bonne cause, affichant, parfois à la limite de l’excès de zèle, leur volonté de travailler ensemble pour emporter le « troisième tour » de la présidentielle – les législatives – au mois de juin prochain… Un état de grâce dont tout le monde se demande, en coulisses, combien de temps il pourra durer.
En attendant, on profite du moment et on parle beaucoup le « changer la vie », comme François Mitterrand. « On l’a fait ! », a lancé, micro à la main et veste rouge sur les épaules, l’eurodéputée Manon Aubry, avant de faire le « V » de la victoire, qui est aussi le nouveau logo de la Nupes. « Aujourd’hui, dans cette salle, c’est historique, il y a des Insoumis, des écologistes, des communistes, des socialistes et on va travailler ensemble », a enchaîné, sous les acclamations, l’écologiste de Hénin-Beaumont Marine Tondelier.
Manuel Bompard a ouvert le bal des interventions derrière le pupitre, sous les « Manu ! Manu », scandés depuis la salle : « Nous nous rassemblons malgré nos différences, nos histoires, nos rapports houleux, mais l’urgence est d’oublier le passé et de penser ensemble à notre avenir en commun », a lancé le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon.
Puis c’est le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui s’est présenté derrière le micro sous un tonnerre d’applaudissements duquel percent tout de même quelques huées. « Ils m’ont dit : “Attention, c’est des sauvages !”, mais je me suis dit au plus profond de moi : “Qui sont les vrais sauvages dans ce pays ?” Voilà des gens de droite et de gauche qui se réunissent et nous, qui sommes de gauche et de gauche, on nous demande des excuses. Plutôt que d’avoir peur je dis faites-vous plaisir pour une fois ! », a exhorté le socialiste, arguant que ses camarades n’avaient pas voté pour la loi El Khomri puisqu’elle… était passée par le 49.3.
Julien Bayou a enchaîné : « On nous disait que la fracture du référendum de 2005 était indépassable. Oui, désobéissons pour sauver l’Europe ! », a-t-il ajouté, suggérant que Mélenchon a fait un pas vers la position sur l’Europe des Verts sous le regard marmoréen d’Éric Coquerel, le père du « Plan B ».
Un appel à l’union de Fabien Roussel sous l’œil de l’écologiste Sandrine Rousseau, assise au premier rang, que le communiste n’a pas épargnée pendant sa campagne, quelques piques de Mathilde Panot, moquant les contempteurs de l’accord, comme Emmanuel Macron qui a vilipendé l’alliance de « la carpe » et du « lapin »…
À la tribune, Mélenchon avait commencé son discours en citant Paul Éluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. » Il l’a fini, comme toujours, en citant Victor Hugo : « Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe elle-même, tenir bon, tenir tête ! Voilà l’exemple dont les peuples ont besoin ! » Puis tout le monde s’est levé, et a entonné la Marseillaise.